« Je fais ce métier pour changer le monde ». Professeur d ‘EPS au collège Rep Flora Tristan de Paris (20ème), Yves Le Coz réalise chaque année un film de danse avec ses élèves de 3ème. Un témoignage de leur parcours au collège qui vaut aussi brevet d’entrée dans un monde qui les attend. Pour Y Le Coz, les gestes gratuits de la danse sont des gestes d’amour et de confiance. Mais ce sont aussi des gestes qui élèvent et font grandir. Des gestes d’éducateur.
Comment est venu ce projet de film de danse avec les élèves ?
La danse fait partie des activités au programme. Je respecte les textes et j’enseigne aussi le foot, le rugby ou l’athlétisme. J’ai découvert la danse lors de ma formation initiale en Staps. Puis il y a eu la rencontre de deux formatrices parisiennes, Virginie Rapin et Sarah Jolivet. J’ai suivi leur stage durant trois années et elles m’ont transformé. Elles ont rendu possible cette aventure artistique avec les élèves. Elles m’ont donné la démarche de mise en scène, pas seulement technique mais aussi le goût d’une recherche artistique avec les enfants. L’idée que c’est possible. C’était tellement bien que leur formation a été arrêtée par l’institution…
La danse est une activité qui permet de mettre à égalité filles et garçons ?
Oui mais comme les autres activités. C’est un souci fondamental de penser à l’égalité entre filles et garçons comme de donner aux enfants une image corporelle positive. La danse bouscule les idées reçues sur les activités masculines et féminines. Ces questions sont dans la démarche même du film.
Mais la danse bouscule aussi l’idéologie du matériel et du rentable. La danse ne sert à rien. Mais c’est une expérience qui élève les enfants. On passe de nombreuses heures avec les élèves sur l’expérience de son mouvement et son ressenti.
Par exemple on prend un mouvement du quotidien comme je me lève et j’enfile un pantalon. En transformant ce mouvement en danse, chaque élève va en faire un mouvement plus ou moins fluide ou rapide. Il faut des choix artistiques liés à ce qu’il veut exprimer de son corps, ce qu’il veut montrer. Dans le film il ya une signature personnelle de chaque enfant en lien avec cette démarche.
C’est important que les élèves découvrent la beauté du geste c’est à dire aussi faire des choses pour cette beauté. Ils font l’expérience de l’élévation par l’activité artistique, du sentiment de bien être et d’épanouissement qu’apportent des activités gratuites, sans bénéfice matériel. J’espère qu’ils garderont mémoire de cette valeur.
C’est une démarche particulièrement adaptée à ces enfants des quartiers populaires ?
Non. Ce qui va pour les uns va aussi pour les autres. La question d’adaptation va pour tout le monde. J’encourage tous les enfants à vivre des expériences artistiques à 15 ans.
C’est une démarche collective ?
C’est avant tout un projet collectif. Dès le 1er cours d’EPS, ils savent qu’ils sont là pour faire un film et que c’est un projet collectif pour toutes les 3èmes du collège. Après articuler l’individuel et le collectif, ça varie chaque année. Ce sont des créations individuelles qui composent la chorégraphie collective qui nait de la recherche collective. Cette recherche de la chorégraphie nous occupe bien trois mois.
Comment arrivez vous à monter cette oeuvre ?
Dans le procédé de composition on accumule les leitmotivs, les refrains, les inducteurs. On crée autour de paroles de chanson, de poèmes, de calligraphies de leur prénom.Ca prend o ça prend pas. Il y a toujours le danger de la page blanche. Chaque cours qui commence interroge : vais je y arriver ?
Mais il y a aussi la motivation. Il y a un film à faire. Ils savent en ayant vu le film précédent que même les élèves les plus en difficulté ont leur place dans le film. Et puis on a joué au foot ensemble, on a ri ,on s’est chamaillé. C’est aussi cette relation avant la danse qui est fondamentale. On a appris à se connaitre , à être en confiance.
Ils apprennent quoi dans cette expérience ?
Comment germent les graines que l’on plante ? Ils apprennent des choses techniques comme s’écouter à l’instant T. Mais je prétends que ça les transforme en profondeur. Je fais ce métier pour transformer le monde pas juste pour faire mouvoir les enfants. J’ai l’idée que ce qu’on fait change les futurs adultes. Ils seront différents de ce qu’ils seraient devenus sans la danse. Mais comment mesurer cela ? Je ne peux mesurer que leur écoute pendant la création, leur concentration, leur confiance.
Qu’en disent les parents ?
Les parents qui viennent voir le film sont émerveillés par le film bien au delà du passage où apparait leur enfant. La question narcissique est mise au second plan. C’est vraiment l’oeuvre collective que les parents mettent en premier. C’est une des découvertes que j’ai faites. Mais sur 100 familles concernées chaque année seulement une quarantaine vient voir le film.
Propos recueillis par François Jarraud