Mardi 18 décembre, le Ministère de l’Agriculture a organisé au Conseil Economique, Social et de l’Environnement, un colloque sur le thème « Produisons autrement ». Pour le Ministre, Stéphane le Foll, la journée était l’occasion d’illustrer le thème qui lui est cher, l’agro écologie, par des témoignages d’agriculteurs, de chercheurs, d’acteurs qui au jour le jour offrent un nouveau visage à l’agriculture. Au sein des déclinaisons du thème dans une prochaine loi d’orientation, l’enseignement agricole aura sa place avec en première ligne, ses exploitations pédagogiques.
De nouveaux visages, un nouveau modèle
Quels sont donc ces visages et ces pratiques qui tracent de nouveaux sillons pour une agriculture « écologiquement et économiquement performantes» ? Eleveurs, arboricultrice, producteurs de céréales ou directrice d’établissement public d’enseignement agricole, ils ont choisi des techniques et des méthodes respectueuses de l’environnement. Ils recourent aux auxiliaires de culture, limitent les labours, s’appuient sur l’agroforesterie et même nourrissent les limaces pour les empêcher de grignoter les récoltes. Farfelus, utopistes ? Pas vraiment, leur expérience prouve aussi que limiter l’utilisation de produits phytosanitaires s’avère rentable pour peu que l’on respecte les principes de l’agronomie.
Leurs choix culturaux sont aussi des choix de vie. Pour innover en agriculture comme ailleurs, il faut prendre des risques et ne pas s’arrêter aux regards goguenards des voisins. Produire autrement s’invente dans le collectif, se pratique sur la durée avec une bonne dose de patience. On mise sur l’avenir en voyant les prix des énergies fossiles s’envoler, des prix qui se répercutent sur l’utilisation des tracteurs ou les coûts des intrants. On observe et on apprend beaucoup pour comprendre comment favoriser une bonne récolte avec un recours minimal à la chimie. On vise une certaine qualité de vie où du temps est laissé à la vie sociale et où les rapports avec les acheteurs sont empreints de cordialité. Jean-Sebastien Gascuel, agriculteur proche d’une zone urbaine du Puy de Dome raconte la curiosité de ses clients sur ses méthodes et ses produits et le plaisir qu’il a à leur répondre. L’organisation du travail au quotidien est réfléchie. Aline Burri, éleveuse de bovins dans le Doubs a réaménagé points d’eau et pâturages pour éviter des allées et venues.
L’innovation, une nécessité collective
Les témoignages positifs ne cachent pas les difficultés à innover. Il faut souvent plusieurs années pour se lancer. La crainte d’échouer, de plonger dans un certain inconnu freine les ardeurs et rend le passage préalable dans une agriculture conventionnelle quasi inéluctable. Les réglementations ne facilitent pas les choses en particulier pour la gestion des semences. Enfin, l’impression de tâtonner appelle à un soutien accru de la recherche agronomique et du conseil agricole. Changer le visage de l’agriculture nécessite des mutations profondes de tous les métiers qui la composent. Le modèle économique doit être réinventé pour faciliter notamment l’accès aux prêts. Dans ce renouveau, l’enseignement agricole possède une place de choix et Stéphane Le Foll a souligné la nécessité de renforcer l’agronomie dans les programmes. Les exploitations agricoles des établissements se verront aussi attribuer un rôle accru d’expérimentation et de vitrine pour des modes de production différents. Maitriser les méthodes pour mieux raisonner ses pratiques culturales, voila un objectif à ancrer dans les référentiels de formation.
Le Ministre de l’Agriculture mise sur l’agro-écologie pour redonner un poids économique à l’agriculture française. Marion Guillou dans son introduction a rappelé les progrès effectués par le Brésil sur ce point, un exemple qui donne au modèle un caractère réaliste. Nourrir les hommes ne se réfléchit pas uniquement sur le plan de la quantité. Le défi aujourd’hui de la sécurité alimentaire est un défi sanitaire et nutritionnel où l’invention des pratiques anticipe les crises de demain. Marcel Griffon l’a rappelé : les contraintes économiques et les demandes sociétales appellent à un nouveau modèle agricole. La journée du 18 décembre avait pour mission de démontrer que ce modèle est déjà en construction.
Les échanges ont aussi montré que ce qui vaut pour l’innovation en éducation vaut aussi pour l’innovation en agriculture. D’une affaire de pionniers elle doit s’étendre vers la majorité pour s’effacer et entrer dans le régime de l’ordinaire. La loi d’orientation agricole fixera sans doute un cadre d’incitation et d’accompagnement du changement de modèle. Pour reprendre le propos d’un intervenant « le changement c’est maintenant, mais le changement c’est lentement » et surement sommes nous tentés de rajouter.
Monique Royer
Témoignages d’agriculteurs et compte-rendu de la journée