Par Jean-Michel Zakhartchouk
Je viens de lire les réponses des principaux candidats à l’élection présidentielle au questionnaire envoyé par le Forum permanent pour l’éducation artistique ; elles sont fort instructives et contredisent fortement l’idée qu’il y aurait le même vide dans les programmes des candidats concernant l’éducation artistique et culturelle(1).
Je suis depuis longtemps convaincu que l’enseignant doit avoir plus que jamais un rôle de « passeur culturel » et que la formation à la culture, entendue comme véritable appropriation par les élèves, est un des « fondamentaux » du socle commun pour lequel je milite également, notamment au sein du CRAP-Cahiers pédagogiques.
Or, si on lit les déclarations des trois candidats ayant des chances d’être élu, on trouve une nette différence entre celles d’une part de Ségolène Royal et François Bayrou et celle de Nicolas Sarkozy. Je voudrais ici livrer des citations significatives et proposer quelques commentaires.
On remarquera d’abord la longueur de la réponse des deux premiers, et l’évocation de mesures concrètes, plus ou moins solides, plus ou moins discutables, mais assez précises comparées à la brièveté et à une certaine désinvolture de la réponse du candidat de l’UMP.
Mais sur le fond, on ne peut que se féliciter de voir Bayrou et Royal mettre en avant l’idée que l’éducation artistique et culturelle est bel et bien essentielle. J’apprécie la phrase de Ségolène Royal : « Plus on centrera les activités de la classe ou de l’accompagnement scolaire sur des fondamentaux instrumentaux, plus on laissera aux élèves qui n’ont que l’école pour s’acculturer, perdre pied ; et seuls pourront enrichir leurs connaissances ceux qui, grâce à leur milieu familial ou leur lieu d’habitat, fréquentent les musées et les salles » et plus loin ses suggestions de relancer les TPE et les travaux croisés (les IDD faut-il traduire ?) ou encore de consacrer du temps aux activités artistiques « parfois à la place des études dirigées, du soutien ou de l’aide aux devoirs ». Enfin une rupture avec l’accent excessif mis sur le « soutien » dans nombre de déclarations antérieures !
C’est vrai qu’il y a des choix à faire et on sait que la politique ministérielle récente a par exemple placé le soutien dans les priorités pour les élèves en difficulté, d’où l’abandon des IDD dans la grande majorité des collèges. Il ne s’agit pas d’opposer les deux et je suis depuis longtemps particulièrement attentif à l’aide au travail personnel, aux apprentissages les plus « triviaux » de méthodes essentielles. Mais justement, cela ne peut être une machine de guerre contre la culture, alors réservée à ceux qui maîtriseraient les « bases ». Je souhaiterais d’ailleurs des engagements plus forts à rétablir pleinement les IDD et à reprendre l’idée du ministère Lang de les évaluer dans le cadre d’un nouveau brevet des collèges, ce qui est la seule façon de les légitimer pleinement. Et à redonner aux TPE la seconde année perdue…
J’ai été agréablement surpris de voir Bayrou soutenir que « l’éducation artistique et culturelle n’est pas accessoire par rapport aux apprentissages fondamentaux : les arts sont primordiaux pour accéder aux apprentissages fondamentaux, car ils leur donnent du sens ». Je ne puis que souscrire à cette idée, qui correspond bien au titre d’un colloque du CRAP dont j’ai été un des organisateurs : « la culture à l’école, c’est pas du luxe ! » (2)
François Bayrou est sans doute très loin de me convaincre sur de nombreux sujets, mais je ne puis que reconnaître une avancée dans ce document, en espérant qu’il ne s’agisse pas de simples slogans, non suivis d’effets en cas de victoire. Si on prend cette formulation au sérieux, cela signifie clairement qu’il n’y a aucun préalable à l’éducation culturelle, et il faut en tirer les conséquences en matière d’organisation du temps et des activités scolaires.
Quand on regarde les réponses de Nicolas Sarkozy, en revanche, on est bien loin du compte et je dirais même que si on les décode un tant soit peu, on est vite édifié. Si on trouve une vague déclaration sur l’importance de la culture au début de sa réponse brouillonne, on peut surtout lire un hymne à la liberté individuelle, contre le volontarisme d’une politique culturelle pour tous. En effet, « les familles [pourront] choisir d’inscrire leurs enfants dans un établissement scolaire proposant un mi-temps culturel ». On devine quels types de familles feront ce choix ! Par ailleurs, la part de l’éducation artistique dans les programmes se limite, selon lui, à l’histoire de l’art. Et on renvoie sur les collectivités territoriales la prise en charge des activités culturelles.
Sur le plan de la formation des enseignants, nette opposition entre Bayrou et Royal qui en pointent les insuffisances actuelles (de façon un peu injuste chez Bayrou envers les IUFM) et mettent en avant la nécessité de pratiques culturelles dans la formation elle-même. La proposition socialiste de pouvoir faire un stage d’immersion dans une équipe culturelle ou une association dans ce secteur pour les formés est intéressante. Bayrou, lui, propose des journées de sensibilisation artistique (obligatoires, semble-t-il) pour les cadres de l’éducation nationale. Par contre, Nicolas Sarkozy s’étonne de la question sur la formation des enseignants, fidèle à son style de répondre à une question par une question : « pensez-vous réellement que les artistes et les enseignants soient mal formés actuellement ? » et considère qu’il n’y aucun problème, puisque « la formation des enseignants est évaluée par des concours de recrutement très sélectifs ! »
On peut penser que ni Royal ni Bayrou n’insistent suffisamment sur la culture dans leurs discours, que celle-ci a une place trop limitée dans leurs programmes. Mais ces réponses à des questions précises contiennent des éléments intéressants, et des promesses qu’il faudra rappeler si l’un d’eux est président. Le discours flou et consensuel du candidat de l’UDF sur l’école ne paraît d’ailleurs pas vraiment une invitation à l’audace et au volontarisme et il est à craindre, du coup, que les belles intentions ne soient pas suivies d’effet. La candidate socialiste a du mal à trouver l’équation magique entre le souci de bousculer un peu notre vieille maison et celui de ne pas se couper de la grande masse des enseignants, méfiants dès lors qu’on voudrait leur « imposer » de nouvelles pratiques. L’obligation pour les établissements d’avoir un projet culturel ? On sait ce qu’il advient de ce genre d’obligations… pour le meilleur ou pour le pire !
Les réponses du candidat de l’UMP ne manquent pas, quant à elle, de nous inquiéter. Surtout si on les croise avec des déclarations qui vont à l’encontre de l’idée de l’enseignant passeur culturel. Ainsi récemment opposait-il une école de la démagogie où on demande à des élèves d’imaginer une autre fin au Cid, ce qui équivaudrait à leur donner l’illusion d’être au même niveau que Corneille à une école de l’excellence qui laisse poindre le visage de l’élitisme, malgré les proclamations lyriques en faveur du « meilleur » pour les plus défavorisés (3). N.Sarkozy semble ignorer d’ailleurs que l’activité qu’il dénonce est un vieil exercice rhétorique pratiqué depuis bien longtemps et qui peut permettre éventuellement de faire davantage accéder à la littérature classique. Et si le rap engagé conduit à la lecture d’Eluard ou la musique de certaines pubs à trouver un chemin de réconciliation avec Vivaldi, tant mieux ! Cela n’a rien à voir avec le fait de mettre un signe d’égalité entre le poème d’ado et Baudelaire, mais il est si facile de le faire croire à un public mal informé…
Confondre le travail patient, difficile, mais passionnant de « ruses pédagogiques » permettant une véritable appropriation par tous des œuvres, des textes, des pratiques culturelles, avec de la démagogie relativiste, voilà là une conception empruntée à Sauver les Lettres qui ne fait que renforcer l’élitisme et s’oppose à la démocratisation, au-delà des slogans et des belles formules. Car l’alternative est bien là : ou l’élitisme, la résignation à l’élitisme (tant pis pour les non-motivés, les peu intéressés, les peu volontaires !), ou bien le travail pédagogique de fond, qui sait prendre les chemins de traverse et les itinéraires verts pour parvenir à bon port.
En fait, je pense qu’il y a vraiment deux voies concernant la culture à l’école : l’une où on considère celle-ci de facto (et même si on ne peut le dire ouvertement) comme un luxe (4), qui passe après les « fondamentaux », l’autre où l’on considère la culture comme une des priorités majeures, dans l’apprentissage du vivre ensemble, dans la recherche d’une alternative au monde médiatique et à la consommation. Si on est encore loin du compte avec certains programmes politiques, on sait quand même que certains sont, disons, beaucoup plus éloignés de cette seconde voie que d’autres !
Jean-Michel Zakhartchouk
Enseignant et rédacteur aux Cahiers pédagogiques , auteur de Transmettre vraiment une culture à tous les élèves (CRDP Amiens)
Notes
1- http://www.laligue.org/ligue/articles/index.asp?rub=clt
2- http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2770
3- Voir le discours lyrique d’Angers du 1 décembre 2006 où défilent des noms d’écrivains et des citations de poètes en guise de programme culturel et éducatif.
4- Comme l’a dit un jour Marc Fumaroli (9 juin 2005, aux Matins de France Culture) : « La littérature ne peut s’enseigner qu’à des jeunes gens qui ont envie de littérature ». Rappelons que ce professeur du Collège de France préside actuellement une commission chargée d’opérationnaliser la partie « culture humaniste » du… socle commun !
Cet article avait été publié dans l’Expresso du 4 avril 2007
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/05042007Formationculturellepourtous.aspx