Une semaine en classe, une semaine à la maison : beaucoup de classes de lycées fonctionnent actuellement par alternance. Comment se confronter aux problèmes et aux défis que pose une telle organisation ? Au lycée Vaucanson à Tours, dans le cadre de l’étude d’une œuvre au programme, Claire Tastet a invité ses élèves à transformer des « Lettres persanes » de Montesquieu en « cartes postales persanes », partagées en ligne. Bilan : l’exercice de réécriture permet de travailler bien des compétences et la pratique transformative favorise l’appropriation. Regard décalé / regard distanciel : et si l’actualisation du livre consolidait sa patrimonialité ? et si le travail maison invitait à jouer davantage avec les textes et les savoirs ? et si on utilisait le travail à distance pour renforcer la proximité avec les œuvres ? …
Comment ce travail s’intègre-t-il à votre progression ?
L’exercice prend place en Première dans la séquence consacrée à « La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle ». L’œuvre choisie est celle de Montesquieu, Les Lettres Persanes associée au parcours « le regard éloigné ». L’exercice de réécriture intervient à mi-parcours de la séquence : plusieurs parcours d’exploration ont été travaillés, 2 analyses de textes ont été réalisées en classe, la lecture intégrale et autonome du roman est (en théorie) terminée.
Le travail a-t-il été réalisé en classe ou à la maison ?
La classe fonctionne selon une hybridation pédagogique soit une semaine en présentiel, une semaine en distanciel. L’activité a été proposée lors d’une semaine à la maison, elle fait partie d’une feuille de route, le temps estimé pour l’activité est d’une heure. Quelques cartes ont été commentées lors d’une classe virtuelle, en ligne.
Quels sont les objectifs de l’exercice ?
Les objectifs sont multiples. Le premier objectif est un objectif de lecture : l’élève est amené à choisir une lettre, librement mais dans une sélection imposée (la classe et le livre ont été divisés en trois). Ainsi l’élève est invité à parcourir une nouvelle fois l’œuvre, s’initiant à la lecture en diagonale.
Le deuxième objectif est un objectif d’analyse. Passer d’une lettre à une carte postale nécessite de synthétiser le propos et/ou de sélectionner les informations pour ne retenir que la « substantifique moelle » du texte. Or, j’ai constaté que plusieurs élèves, probablement déformés par la démarche d’analyse de texte, ont tendance à évacuer le sens général au profit d’analyses de détail qui finissent par ne plus former un tout cohérent. Il s’agit ici de tenter de remédier à cette difficulté.
Le troisième objectif est un objectif d’écriture. La consigne qui a été donnée aux élèves impose une reformulation. Il s’agit donc de s’affranchir du style de Montesquieu. Le quatrième objectif est celui d’une mise en image qui est tout à la fois analyse et appropriation. Certains élèves, par exemple, n’ont pas hésité à jouer sur l’anachronisme à des fins humoristiques comme on peut le voir dans une carte écrite par M. à partir de la lettre 82.
Enfin, il s’agit aussi de construire un document de révision qui permettra de donner une vision globale de ce roman foisonnant en le synthétisant. Il sera précieux quand on travaillera la dissertation sur cette œuvre ou lorsqu’il faudra s’y replonger en fin d’année par exemple…
Quelles ont été les difficultés et les satisfactions ?
Ce petit exercice n’a pas été aussi simple qu’il le paraissait à première vue. Beaucoup d’élèves ont peiné à reformuler et l’on notera cette incapacité parfois, à s’affranchir des mots de Montesquieu (certaines cartes proposent un copier-coller, d’autres opèrent un subtil dosage entre reformulation et emprunts).
En revanche, l’objectif de lecture et l’objectif de synthèse ont été atteints par la grande majorité des élèves. Cet exercice a fait apparaître aussi des fragilités de compréhension : certaines lettres, pourtant choisies librement, ont été mal comprises et un retour doit être fait en classe. Ainsi la carte de C. montre un élève qui se heurte à des difficultés de compréhension : il propose un copier-coller de phrases tirées de la lettre 44 et l’image proposée illustre mal ce qui est dit. Un retour sur cette carte, en classe, permettra d’engager une discussion et une analyse autour de la lettre. Il sera proposé à l’élève de retravailler la carte s’il le désire.
Il est à noter que peu d’élèves ont travaillé sur les mêmes lettres, on observe très peu de doublons, signe qu’ils ont cherché la lettre qui leur convenait ou leur plaisait le mieux.
Ce travail créatif a été mené dans le cadre d’un fonctionnement par alternance du lycée, semblable à celui que connaissent actuellement beaucoup d’établissements : quels problèmes et quels défis vous semblent poser un tel fonctionnement ?
Le défi majeur est celui d’un équilibre. Il est chimérique de penser qu’un élève peut travailler de la même manière en autonomie et en classe et nous avons pu tirer des conclusions instructives du premier confinement. La classe en ligne requiert une grande concentration et ne peut se substituer aux heures de cours en présence (sans compter l’inégalité de traitement induit par l’inégalité de l’accès à la connexion). Je pense donc qu’il faut agir sur deux leviers : faciliter l’accès à l’autonomie et favoriser des contenus qui n’impliquent aucune nouvelle connaissance.
Comment développez-vous l’autonomie des élèves ?
Pour faciliter cet accès à l’autonomie, j’ai fait le choix de distribuer une feuille de route à mes classes de Première. Elle est distribuée la veille de la semaine de confinement (le mercredi pour notre lycée, la semaine s’étendant du jeudi au jeudi). Elle est structurée toujours de la même manière : les compétences travaillées, le travail à réaliser et à remettre, l’activité et le temps de réalisation estimé. Ainsi, l’élève peut planifier son travail dès le début de la semaine de confinement. Les échéances et les rendez-vous ont toujours lieu les mêmes jours de la semaine, définis une bonne fois pour toutes : le travail réalisé doit être remis le mardi midi et il est corrigé en classe virtuelle le mercredi. Le lundi matin, j’assure également une permanence en classe virtuelle, sous forme de FAQ ; seuls les élèves ayant des questions y viennent me rencontrer. Enfin, un forum de la classe est ouvert sur le cours moodle et permet d’échanger à tout moment.
Qu’en est-il des contenus abordés ?
Au niveau des contenus travaillés, lors des semaines à la maison, j’ai choisi de ne pas travailler les analyses de texte qui figureront sur la liste du bac. Ce travail nécessite un échange et un accompagnement que la classe virtuelle ne permet pas à mes yeux et cela engendrerait de trop grandes ruptures d’équité. Aucun cours, aucune activité sur de nouveaux apports théoriques ou méthodologiques non plus. Certes, cela engendre un retard et j’ai pris sur moi d’alléger le nombre de textes qui figurera sur la liste si cela s’avère nécessaire à la fin de l’année. Pour autant, je continue à suivre scrupuleusement le programme. Je privilégie donc les exercices d’entraînement aux méthodologies déjà connues, les exercices de grammaire et surtout la connaissance des œuvres par des parcours à réaliser ou des activités d’écriture comme « Les Cartes Persanes ».
Quel bilan provisoire tirez-vous de ce fonctionnement ?
Pour l’instant, la stratégie fonctionne dans le sens où aucun élève n’a décroché. Tous et toutes rendent le travail demandé (à de très rares exceptions, très ponctuelles) et la correction faite lors de la classe en ligne permet de reprendre les points qui le nécessitent. Le retour en classe est plus difficile et induit une certaine lenteur là où il faudrait au contraire accélérer.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut