Par Claude Lelièvre
Comment l’Empire écrasa les « écoles centrales » et imposa un modèle unique d’éducation élitiste et militariste : le lycée. Historien de l’éducation, Claude Lelièvre est aussi un militant pédagogique, partisan de l’école du socle…
Après le coup d’Etat du 18 brumaire an VIII ( novembre 1800), il est question de remettre le pays en ordre après onze ans de « révolution » républicaine. Une réforme de l’enseignement est longuement discutée au Conseil d’Etat : Napoléon Bonaparte participe personnellement aux débats et fait établir douze rédactions successives du projet à Fourcroy ( nommé rapporteur) avant qu’il soit soumis au Corps législatif et devienne la loi du 11 floréal an X ( 1er mai 1802 ).
La pièce maîtresse du projet ( et sa grande innovation ) réside dans la création du « lycée » : il y en aura un par arrondissement de tribunal d’appel, et chaque création entraînera la fermeture d’une « école centrale » ( un établissement secondaire original créé par la Convention en plein mouvement révolutionnaire et républicain ).
Alors que les « école centrales » étaient dirigées par une direction collégiale d’enseignants, les « lycées » seront gouvernés part un’’ triumvirat’’administratif : le ‘’proviseur’’, le ‘’censeur’’, et un ‘’procureur gérant’’ ( à l’instar du ‘’triumvirat’’ des trois ‘’consuls’’ qui gouverne alors la France ; le ‘’premier consul – à savoir Napoléon Bonaparte – devant être appelé quelque temps plus tard à devenir ‘’empereur’’…).
Alors que les « écoles centrales » n’avaient pas d’internat, le fonctionnement des « lycées » va reposer essentiellement sur leurs internats. Les élèves sont regroupés en compagnie de vingt-cinq. Les mouvements, le début et la fin des cours sont scandés par le roulement du tambour. Les déplacements se font en rang par deux, et les élèves portent l’uniforme fixé par arrêté. La journée type du lycéen, durant tout le XIX° siècle, comportera 7 heures d’étude pour 4 heures de classe.
Alors que les « école centrales » fonctionnaient selon un mode que l’on peut qualifier d’ ’’optionnel’’ voire ‘’modulaire’’ puisque leurs élèves pouvaient librement choisir leurs parcours ( parmi de nombreuses matières, dans la mouvance de l’’’Encyclopédie’’ ), avec la création des « lycées », c’est le retour des progressions contraintes et les humanités classiques redeviennent quasi hégémoniques ( à l’instar des collèges d’Ancien Régime ). « Il faut que l’enseignement soit classique. Avant tout mettons la jeunesse au régime des saines et fortes lectures. Corneille, Bossuet, voilà les maîtres qu’il lui faut. Cela est grand, sublime et en même temps régulier, paisible, subordonné. Il faut des conseillers d’Etat, des préfets, des officiers, des professeurs. Telles sont les idées du maître [ à savoir Napoléon ] ».
Comme l’a souligné l’historienne Françoise Mayeur, « ce n’est pas leur insuccès qui a entraîné la disparition des écoles centrales [ …]. Il est même remarquable qu’en si peu de temps et avec tant de difficultés de tous ordres, la plupart des écoles centrales se soient ouvertes et que beaucoup aient eu une pleine activité […]. C’est d’en haut que vint la création d’un autre type d’enseignement secondaire qui laissait beaucoup moins de place à une autonomie des agents et des usagers » .
Après le mouvement révolutionnaire républicain, c’est le retour à ‘’l’ordre’’ ( un certain ordre, qui emprunte les voies jusqu’alors inédites du ‘’bonapartisme’’, mais qui auront des suites…). Comme le souligne là encore un autre historien, Antoine Prost, « on veut des internats, moins de liberté pour les élèves, et un retour aux humanités des collèges d’Ancien Régime : le choix ‘’pédagogique’’ est d’abord ici un choix politique ».
Claude Lelièvre