Par Marjorie Lévêque
Le Café Pédagogique Langues Anciennes a fait connaissance avec André Charbonnet, qui publie de nombreuses ressources sur son site personnel ‘Et ego in Arcadia’ (http://chaerephon.e-monsite.com/medias/files/index.htm) depuis juin 2010, parmi lesquelles un dictionnaire interactif de grec ancien, le microbailly.
Seul, André Charbonnet a entrepris et mené à son terme l’idée de retaper entièrement le dictionnaire Bailly abrégé afin d’en produire une version dynamique intégrable dans un logiciel de dictionnaire ! Ainsi, quand on lit un texte en grec ancien sur une page web, un simple clic sur un mot (qu’il y ait un environnement hypertexte ou non!) permet de consulter l’entrée correspondante du Bailly, mais aussi éventuellement d’autres dictionnaires (dont le LSJ proposé par Perseus), ou site (comme wikipedia)
Mal connu, ce « travail de Romain » mérite toute notre estime., d’autant plus que le logiciel « microbailly » est proposé au format « ouzoware » : si vous utilisez le dictionnaire numérique, vous vous engagez à aller boire un ouzo – ou toute autre(s) boisson(s) de votre choix – en portant un toast à Chaeréphon !
Bonjour André Charbonnet. Je vous remercie d’avoir bien voulu répondre aux questions du Café Pédagogique langues anciennes. Pour commencer, pourriez-vous faire votre portrait en quelques phrases ?
Après une maturité A (latin-grec), j’ai fait une maîtrise de lettres à Lausanne, où je suis resté après mes études comme assistant de recherche pendant quatre ans. Mais les débouchés en archéologie classique étant plutôt limités, je me suis lancé dans l’enseignement: 18 ans au collège, 10 ans au lycée. Je suis actuellement installé en Grèce, où je m’occupe de traduction.
D’où vous est venue l’idée de créer votre propre site web ? Quels étaient vos objectifs au début de la création du site ? Pourquoi ce titre (‘Et ego in Arcadia’) ?
Au départ, face à l’engouement pour internet dans l’enseignement, quand tout le monde se mettait à créer des sites pour sa discipline, et dans le contexte de remise en question de l’enseignement des « branches inutiles », il s’agissait de rappeler que le grec existe. Puis le site a évolué comme un site de nouvelles concernant les manifestations liées au grec, au latin ou à l’archéologie locale. Il s’agissait aussi de donner un reflet de ce que l’on enseignait dans le canton.
Depuis que j’ai quitté l’enseignement, il s’agit simplement de mettre à la disposition des gens intéressés des documents ou des réflexions sur des sujets parfois réservés à des spécialistes (épigraphie ou papyrologie).
Quant au nom, il s’agit évidemment d’un remake du tableau de Poussin « Et in Arcadia ego », avec une petite nuance de sens.
Votre site est riche de nombreuses rubriques et ressources. Travaillez-vous seul ? Avez-vous bénéficié de formations informatiques particulières ou vous êtes-vous formé sur le tas ?
Je travaille effectivement seul, après m’être formé sur le tas. À part un cours d’introduction aux méthodes quantitatives en histoire en… 1974, époque où l’on travaillait sur l’ordinateur de l’Ecole polytechnique de Lausanne, avec fortran ou le programme SPSS et des… cartes perforées!!!
Quel est, selon vous, l’apport des TIC à l’apprentissage des langues anciennes ?
Je ne suis plus dans l’enseignement depuis une quinzaine d’années, et je ne connais pas la situation en France. Pour moi, les TIC ne sauraient remplacer un enseignement sérieux des langues anciennes. Ma crainte est que parfois cela tourne au jeu, qui fait croire que l’on sait le latin ou le grec parce que l’on a utilisé une interface ludique etc. Je pense que les TIC sont avant tout un moyen de mettre à disposition des documents. Mais il faudrait que les élèves soient mieux formés à la critique des sources, et que l’on ne se contente pas d’un copier-coller, comme cela arrive de plus en plus, semble-t-il, même à l’uni…
A quel public destinez-vous vos publications ? Avez-vous des retours d’élèves ? de collègues ?
Mes documents s’adressent à n’importe qui, amateur ou spécialiste. Je n’ai aucun retour d’élèves de collèges ou de lycée. Deux ou trois personnes m’ont dit être intéressées par le Bailly, sans plus. Je sais par contre qu’un ou deux universitaires aux USA ont utilisé mon site, et ont demandé des compléments d’information sur tel texte que j’avais publié avec des conjectures personnelles; qu’un prof d’uni pensait utiliser mes documents épigraphiques pour son cours d’épigraphie. Une doctorante en français a utilisé mon site sur les poétesses grecques pour sa thèse sur la réception des poétesses grecques dans la littérature française des 16-17e s.
De nombreux documents et ressources que vous proposez sont en lien avec l’archéologie : des listes d’archontes, des inscriptions épigraphiques. Avez-vous une formation d’archéologue ? D’où vous vient cette connaissances de ces ressources ?
Ma discipline de maîtrise principale était effectivement l’archéo. J’ai participé, comme étudiant, à des fouilles à Avenches, à Octodure, à deux campagnes à Erétrie avec l’Ecole suisse; puis comme assistant de recherche, à trois campagnes épigraphiques à Philippes de Macédoine en collaboration avec l’EFA. Mon mémoire de maîtrise était en archéo. Je me sens plus à l’aise en archéo qu’en philologie pure, car j’aime bien vérifier sur le terrain ou concrètement si ce que l’on dit correspond à la réalité. La philologie pure tourne parfois à un exercice de style à usage interne… L’archéo, l’épigraphie ou la papyrologie sont pour moi de vraies sciences expérimentales, car les plus belles théories en ce domaine sont toujours à la merci du coup de pioche qu’un paysan donnera dans son champ, et qui va tout remettre en question… Ce qui incite à la modestie, ce qui devrait nous garder de nous écouter parler…
Vous proposez un « Addenda & Corrigenda » au dictionnaire Bailly. Comment l’avez-vous composé ?
Tout simplement en notant chaque fois que je constatais une erreur en utilisant le dictionnaire, que ce soit une faute de frappe ou une erreur de référence, ou des mots que je rencontrais dans une inscription et ne figurant pas dans Bailly.
Vous avez numérisé l’abrégé du dictionnaire grec ancien-français le Bailly pour le rendre dynamique et utilisable via un logiciel de dictionnaire. Vous avez pour ce faire « retapé » entièrement le dictionnaire ? Combien de temps ce travail vous-a-t-il occupé ? Y avez-vous travaillé seul ?
Il ne s’agit pas en effet d’une simple numérisation. Il existe au moins 2-3 sites proposant des numérisations du Bailly abrégé, que l’on utilise comme le dictionnaire papier, càd en feuilletant, etc. d’une façon purement séquentielle, sans accès aléatoire. Mon intention était de pouvoir utiliser des logiciels permettant de retrouver des mots en indiquant simplement un fragment, voire une orthographe approximative (ce que les traducteurs appellent recherche fuzzy), avec jokers, etc. Par ailleurs les logiciels que je propose, qui ne sont pas de moi précisons-le, permettent d’obtenir un accès aux mots du dictionnaire en promenant simplement la souris sur le texte, ce qui est très pratique pour une lecture cursive.
Il m’a donc fallu effectivement retaper tout le dictionnaire, seul. Cela m’a pris en gros 18 mois, à raison de 2-3 h. par jour.
Dans quel but aviez-vous entrepris ce travail ? Vous semble-t-il atteint ? Avez-vous eu des retours ?
Ce travail, je l’ai d’abord fait pour moi. Je cherchais sur le net quelque chose de ce genre, sans résultat. Et comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, je me suis dit qu’il valait mieux que je le fasse moi-même, cela éviterait d’être déçu… J’ai obtenu ce que je voulais, ce qui ne correspond pas nécessairement à ce que veulent d’autres personnes… Je ne sais pas aujourd’hui si quelqu’un a utilisé cette version informatique du Bailly.
Une équipe travaille à une version entièrement numérisée du Bailly qui sera en ligne. En avez-vous connaissance ? Y voyez-vous des avantages / désavantages par rapport à la version embarquée dans un logiciel que vous proposez ?
Non, je n’en ai pas connaissance. Mais est-ce que cela sera une simple numérisation des pages du Bailly en pdf, ou un dictionnaire comme le Robert électronique ??? S’il s’agit simplement de feuilleter des pages pdf, ce n’est pas très pratique… Cela allège simplement le cartable… Mais un dictionnaire comme le Robert électronique, ou ma version du Bailly offrent le gros avantage des liens hypertexte, et on peut passer des heures à sauter d’un mot à l’autre sans avoir à avancer, reculer dans des pages mal lisibles…
Comment voyez-vous l’avenir des langues anciennes ?
Je crains que d’ici quelques années il n’y ait plus d’étudiants capables d’aborder de façon autonome un texte antique. On se contentera de faire du copier-coller de seconde main, sans esprit critique. Ou alors le grec et le latin seront des disciplines pour la frime, ou pour améliorer sa moyenne au bac, ce qui est déjà le cas. Mais prendre l’humanisme au sérieux, pour reprendre un texte d’André Bonnard, je crois que c’est révolu…
Où en est l’enseignement du latin en Suisse ? Quelle formation ont les jeunes collègues ? Y-a-t’il comme en France une « crise des vocations » ?
En Suisse comme ailleurs, on a réussi à faire croire qu’il n’y avait point de salut en dehors des disciplines scientifiques ou des langues modernes. La restructuration des programmes de maturité a fait par ailleurs que l’enseignement du latin et du grec ressemble à une course d’obstacle: grec en heures supplémentaires, en dehors de l’horaire, c’est à dire durant la pause de midi, ou en fin d’après-midi. Le système des options a fait aussi qu’il est désormais possible de changer d’option en cours de route, et donc à la première difficulté, certains élèves abandonnent le grec ou le latin pour des disciplines moins difficiles ou plus « utiles ».
Quels sont vos auteurs latins et/ou grecs préférés ? Pour quelles raisons ?
Tous les auteurs m’intéressent. Cela dépend du sujet sur lequel je travaille. Mais évidemment, s’il s’agit simplement de se faire plaisir, alors bien sûr, il y a Homère, Sophocle, Aristophane, Platon, Hérodote. J’adore aussi les Présocratiques, ou les sceptiques et les cyniques.
Avant de nous quitter, pourriez-vous conseiller à nos lecteurs un livre, un cd et un film que vous appréciez particulièrement ? Quels sont les sites sur les langues anciennes que vous nous recommandez ?
Bien que cet ouvrage soit un peu vieilli, je pense que Civilisation grecque d’André Bonnard est très stimulant.
De même que Qu’est-ce que la philosophie antique, de Pierre Hadot.
Au cinéma, j’ai adoré Agora, qui raconte l’histoire d’Hypatie http://www.dailymotion.com/playlist/x22984_matisse2007_agora/
Pour cet exemple, nous sommes allés sur une page présentant un texte grec sans environnement hypertexte.
http://remacle.org/bloodwolf/poetes/homere/iliade3grec.htm
Si on tente de cliquer sur un mot, à la base aucune aide grammaticale ne nous est apportée. Il nous faudrait donc ouvrir un dictionnaire papier, ou utiliser les dictionnaires (grec ancien – anglais) proposés par le site Perseus pour constituer une liste de vocabulaire.
Une fois le microbailly installé dans un logiciel de dictionnaire, il n’y a plus qu’à cliquer ou à renseigner dans le logiciel un mot grec pour que l’article de dictionnaire Bailly correspondant s’affiche instantanément :
Notre Collègue nous propose un guide complet pour l’installation du microbailly sur les deux logiciels, avec en prime, des conseils de personnalisation ! Cela vaut bien le toast demandé !
http://chaerephon.e-monsite.com/medias/files/bailly.html
Le Blog de l’Ecole des Lettres a publié le premier avril un article de Thérèse De Paulis, professeur de lettres-listoire au lycée professionnel François-Truffaut, Paris, 3e qui pourrait presque passer pour une blague tant nous sommes tous convaincus qu’il est impossible de continuer l’apprentissage des langues anciennes au lycée professionnel… En effet, ni le latin, ni le grec ne sont inscrits aux programmes officiels du bac pro, tandis que les nouveaux programmes de lettres font la part belle à la culture classique…
« Parce qu’enseigner aujourd’hui c’est aussi prendre en compte les besoins des élèves pour enrichir leur vie culturelle personnelle, une expérience a été menée cette année pour initier des élèves de lycée professionnel aux langues et cultures de l’Antiquité. »
Le professeur a ainsi utilisé les heures d’accompagnement personnalisé d’une classe de première professionnelle gestion-administration pour initier les élèves au latin et au grec et leur montrer « qu’ils étaient capables de suivre un enseignement exigeant de façon totalement « gratuite » », puisque non évalué à l’examen.
Conçus en lien avec l’étude de la langue dans le cours de français, les cours de langues anciennes, ont amené ces élèves à se questionner « sur la langue, la phonétique, la formation des mots, l’étymologie, la morphologie et la syntaxe, l’identification et la reconnaissance des fonctions dans la phrase ».
Pour se convaincre du plaisir que les élèves ont eu à suivre l’atelier, il suffit de lire les réponses qu’ils proposent à la question d’un élève de troisième : « Je suis en 3e j’adore lire et j’adore écrire je veux devenir prof de littérature mais pour être prise dois-je faire du latin ou du grec ? »
http://www.ecoledeslettres.fr/blog/education/je-suis-en-3e-jadore-[…]
Lingua fervens, lingua movens
L’émission de webradio des « Souris et des Lettres » , créée par les membres du groupe TICE-Lettres de l’académie d’Orléans-Tours vous propose une émission spéciale n°2 consacrée pleinement à l’enseignement de la langue en cours de Langues Anciennes : « Lingua fervens, lingua movens »…
Au programme : l’édito, le sujet du jour (L’enseignement du latin et du grec, au lycée et au collège), des notes de lecture sur l’ouvrage de Dominique Augé « Refonder l’enseignement des langues anciennes : le défi de la lecture » , un récit pédagogique (« Ils n’apprennent plus comme avant – L’oralisation à partir d’un film documentaire »), des témoignages (« La maîtrise des langues anciennes grâce à des travaux sur l’image » / « Écrire par le biais de la correspondance ») et la recommandation de deux sites : l’émission « Nuntii Latini » proposée par la radio publique finlandaise YLE, et l’utilisation de l’outil piratepad, qui permet de travailler la traduction en groupe
http://webradio.tice.ac-orleans-tours.fr/eva/spip.php?article171
Les langues anciennes, plus modernes que jamais ?
Robert Delord, un des fondateurs du collectif « Arrête ton char », s’est entretenu sur France Info avec Emmanuel Davidenkoff, sur les menaces qui pèsent sur l’enseignement du latin et du grec, en montrant que ces langues sont omniprésentes dans nos vies.
L’émission peut être (ré-)écoutée en ligne :
http://www.franceinfo.fr/education-jeunesse/question-d-educa[…]
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