Pierre Laurens, lecteur et traducteur éclairé de la poésie latine, publie ce mois-ci, en édition bilingue, une Anthologie de la poésie lyrique latine de la Renaissance.
L’auteur ouvre sa Préface en se faisant l’avocat du diable, en l’occurence, de « l’Académisme », de « la Paresse » et de « l’Incuriosité »: est-il bien nécessaire, alors que l’on a déjà tant à goûter de Cicéron ou de Virgile, de lire les poètes lyriques, et, qui plus est, les lyriques de la « décadence »?
La suite montre combien nombreuses et fortes sont les raisons qui plaident en faveur de ces lectures.
De l’Humanisme aux abords du Baroque, en passant par l’âge d’or de la Renaissance, ces textes montrent d’abord la vitalité ininterrompue de la poésie latine et, même, son évolution (l’auteur va jusqu’à parler de « révolution ») avec l’apparition, au XIIème siècle, d’une poésie ryhtmique liée par la rime, qui vient concurrencer et renouveler le vers classique. Le renouveau, de plus, se répand dans l’Europe entière, amenant chaque pays vers un nouveau classicisme.
Passionnants également sont les rapports de cette poésie avec son « homologue » en langue vulgaire: l’auteur souligne les influences à double sens de ces littératures et notamment, de quelle manière les littératures de langue vulgaire prennent pour modèles la poésie latine, ne serait-ce qu’à travers des formes poétiques telles que l’ode, l’épigramme ou l’élégie.
Pierre Laurens, centrant son propos sur le lyrisme personnel, pose la question de l’adéquation d’une langue étrangère à l’expression du moi; et de remarquer que, dans l’oeuvre latine de Pétrarque, le lyrisme personnel est beaucoup moins présent que dans l’oeuvre italienne. Cependant, l’oeuvre en langue latine inaugure la réflexion sur la création originale prenant sa source dans les textes antiques.
Les poètes suivants peuvent être lus à la lumière de cette problématique et révèlent une incroyable diversité: ainsi Ange Politien qui mêle à un « classicisme impeccable » une esthétique de la curiosa varietas. Autre maître du lyrisme personnel, Michel Marulle écrit une triste complainte qui prend pour sujet l’exil, mais aussi l’absence de la bien-aimée. Pontano, contemporain de Marulle, oppose au refus de sensualité de celui-ci une poésie voluptueuse et érotique et, tout en respectant scrupuleusement l’antique distique élégiaque, lui confère des pouvoirs inédits. La poésie sacrée connaît elle aussi un renouveau, avec, entre autres, Girolamo Vida.
On pourra également se pencher sur la cas de Jean Second (1511-1536), dont les Basia puisent chez Catulle, Martial ou encore Aulu-Gelle tout autant que chez ses prédécesseurs modernes (Pontano, Sannazar), pour aboutir à un poème « d’une saveur absolument neuve, d’une originalité absolue dans une fidélité totale à l’antique ». Cette oeuvre, d’ailleurs, a créé le genre des recueils de Baisers, qui se sont par la suite multipliés, tant en latin qu’en langue vulgaire, chez les poètes de la Pléiade par exemple.
Une fois encore, la poésie de langue latine contribue au renouvellement de la poésie en langue vulgaire: c’est, notamment, la contribution de celle-là à l’élaboration de l’esthétique baroque, grâce aux épigrammes amoureuses de Jacob van den Eynde (1575-1614) ou aux épigrammes sacrées de Rémond, de Pimenta ou de l’anglais Richard Crashaw (1612-1649) auquel Pierre Laurens accorde une place de choix.
Outre les notes et la bibliographie attendues, le dossier contient une chronologie éclairant les interférences entre la poésie de langue latine d’une part, la littérature générale et l’histoire d’autre part, ainsi qu’une synthèse sur les caractères des mètres antiques.
Par ce cheminement à travers une littérature méconnue, voire inconnue, rendue plus accessible par la vivacité de la traduction, Pierre Laurens amène le lecteur à réfléchir tant à l’alchimie créatrice individuelle qu’à la maturation des courants littéraires.
Pierre Laurens, Anthologie de la poésie lyrique latine de la Renaissance, Poésie/Gallimard n°392, 8.10 euros.
On peut lire ici l’Avertissement publié en tête de l’ouvrage, dans lequel l’auteur expose les différents choix opérés pour cette édition:
http://www.printempsdespoetes.com/le_livre/moteur.php?fiche_paru&cle=595