Malgré le rendez-vous pris par téléphone avec le proviseur-adjoint, quand le nouveau professeur de mathématiques, Mathieu Perrière, s’est présenté pour la première fois au Lycée Aristide Briand, le 6 juillet, il a été reçu par une secrétaire stagiaire qui devait accomplir une tâche d’accueil pour satisfaire une des innombrables obligations figurant au cahier des charges de sa séquence de formation en situation réelle. Après avoir longé quelques couloirs en compagnie de cette hôtesse, le nouveau venu s’est retrouvé en salle des profs, face à Madame Delattre-Beauvau, professeure de français, qui passait relever son dernier courrier de l’année. Cette future collègue a d’emblée signalé qu’elle avait un fils du même âge que lui et que jamais au grand jamais elle n’aurait voulu qu’il fût enseignant… Ensuite elle lui a montré la note de service qui pendouillait à la porte. De biais, Mathieu Perrière a lu qu’il fallait se présenter le lundi 3 septembre à 9h30 pour la prérentrée… Cette précieuse information engrangée, il est reparti vers l’immense portail du lycée, frêle silhouette juvénile remontant le courant désordonné d’une kyrielle d’élèves venant déposer leur dossier pour la rentrée prochaine.
Sur le terrain, les nouveaux professeurs sont reçus à minima. Aucune hostilité déterminée ne les frappe en particulier, mais les multiples usages d’un établissement leur opposent parfois un parcours initiatique très ardu ou plus simplement un bizutage tacite. Les classes difficiles, les emplois du temps détestables, les salles sans confort, le matériel laissé par les autres… quelques établissements ont tendance à satisfaire les désidératas des anciens déjà sur place au détriment des nouveaux… Bref ; de temps à autre, débuter rime avec expier…
Premier conseil : Éradiquer les pratiques kafkaïennes des académies
Nombre de rectorats distribuent un livret d’accueil, qui en général est une belle œuvre de communication inadaptée aux besoins concrets d’un nouveau professeur confronté à la complexité de l’administration scolaire. Dans chaque académie, tout nouvel enseignant devrait se voir attribuer un unique interlocuteur parmi les cadres administratifs (catégorie A). Ce référant aurait pour mission de réguler toutes les questions non pédagogiques (nomination, salaires, constitution de dossiers administratif, gestion de carrière, droits statutaires…) Le cadre en question servirait de médiateur permanent entre le nouvel enseignant qui est une personne et son nouvel employeur qui est un système.
Deuxième conseil : Codifier la première arrivée dans un établissement
Chaque établissement reçoit les nouveaux professeurs à sa manière parfois chaleureusement, souvent sans efficacité. Il faudrait garantir un accueil logistique ayant une réelle teneur professionnelle. Un nouvel enseignant doit pouvoir être opérationnel dans les premiers instants de sa prise de fonction. Il est du devoir de l’établissement de devancer les questions de clés, de casiers, de reprographie, de restauration, de parking…etc. sans attendre que le professeur ait à surmonter toutes sortes d’obstacles matériels au fur et à mesure de son intégration.
Troisième conseil : Formuler clairement la culture d’établissement
Un nouvel enseignant ne peut pas assimiler illico le projet d’établissement, le règlement intérieur, le dernier rapport d’activité, les PV des CA les plus marquants, les us et coutumes de l’établissement… etc. Or il n’est pas acceptable qu’un nouveau professeur découvre certaines habitudes au hasard parfois en ayant pris une initiative le mettant en porte à faux. Il serait opportun de prévoir un vade-mecum pragmatique énumérant de manière synthétique les dispositions essentielles : règles de notation des élèves, utilisation du carnet de liaison avec les familles, punitions, accès des élèves à l’infirmerie…
Quatrième conseil : Assurer une logistique confraternelle active et loyale
Les professeurs documentalistes devraient prévoir l’arrivée des nouveaux professeurs en préparant à l’attention de chacun d’eux, une collection à jour des manuels utilisés dans les classes où exercera le nouveau. Les professeurs de la même discipline que le nouvel enseignant devraient faciliter son accès aux matériels pédagogiques spécifiques en veillant à ne pas le défavoriser notamment en ce qui concerne l’emploi du temps et la répartition des classes.
Cinquième conseil : Protéger les nouveaux professeurs contre l’entropie du système
Les contradictions sont fréquentes entre les multiples hiérarques qui dispensent formations et conseils aux nouveaux professeurs. Par exemple, dans le passé on a pu assister à des conflits entre des professeurs en IUFM, les inspecteurs pédagogiques (IA-IPR), les inspections générales, tant sur le contenu des savoirs à transmettre aux élèves que sur les méthodes de transmission… Les nouveaux professeurs devraient être dûment fixés en ces deux domaines sans avoir à faire les frais de débats ou de conflits intra institutionnels.
Sixième conseil : Favoriser la recherche doctorale en pédagogie
Il est nécessaire que les nouveaux professeurs développent un intense intérêt pour la matière qu’ils enseignent. Si les nouveaux enseignants sont d’un niveau universitaire tout à fait avéré dans leur discipline, ils sont en général moins férus en didactique ou en psychopédagogie. Sans atténuer l’engagement des professeurs dans la recherche vouée à leur discipline, il serait utile de développer un programme national pour les inciter à produire des thèses en sciences de l’éducation ou dans tout autre domaine leur permettant de peaufiner leur connaissance de l’institution scolaire, des élèves et de l’enseignement.
Septième conseil : Aguerrir contre l’instrumentalisation
Un nouvel enseignant ne sait pas spontanément comment se situer par rapport à certains membres de la communauté scolaire ou à des interlocuteurs externes. Il court parfois le risque d’être piégé dans divers rapports de forces. Quand les circonstances l’exigent et dans le strict respect de la neutralité qui lui incombe, un chef d’établissement doit protéger tout nouvel enseignant contre l’instrumentalisation dont il pourrait être l’objet dans le cadre de ses missions, de la part de groupes ou d’individus (administrations, parents d’élèves, politiciens, lobbies, marques commerciales, entreprises, presse…)
Huitième conseil : Cesser d’imposer la résolution des disparités au nouveau professeur
Un nouveau professeur peut être amené à exercer concomitamment dans plusieurs établissements ou dispositifs distincts dans un même établissement. Une telle situation complexifie son adaptation. Les établissements ou dispositifs concernés ne devraient pas faire porter la charge de cette complexité au professeur. C’est à eux de s’entendre et de se coordonner pour simplifier les conditions de travail de l’enseignant et non à ce dernier de se débattre dans la disparité des règles et des pratiques.
Neuvième conseil : Organiser un feed-back professionnel efficient
Après la phase d’accueil de quelques heures, un nouveau professeur est souvent abandonné à son sort. Les questions qu’il peut alors poser se limitent en général aux conversations expéditives en salle des professeurs. Les nouveaux professeurs (collégialement) devraient bénéficier d’une réunion mensuelle avec les cadres de l’établissement (par exemple chef d’établissement, adjoint, CPE, gestionnaire…). L’objectif, serait d’entendre les nouveaux professeurs et de leur fournir des réponses incontestables pour leur meilleure professionnalisation.
Dernier conseil : Créer une instance exogène d’analyse des pratiques
Tout enseignant débutant devrait avoir la possibilité d’inviter deux ou trois personnes neutres dans sa classe lors de ses activités avec les élèves. Ces personnes extérieures à la hiérarchie pédagogique ou administrative de l’intéressé auraient pour mission de l’habituer à analyser ses pratiques et sa façon d’être face aux élèves. L’analyse resterait orale et ne ferait l’objet d’aucune utilisation dans la carrière du professeur. Les experts externes pourraient être retenus sur liste ministérielle parmi les enseignants des nouvelles écoles supérieures du professorat d’une autre académie que celle du lieu d’exercice du professeur.
Gilbert Longhi