» Les programmes scolaires sont rarement définis sur la base des résultats des recherches en éducation et sont souvent trop marqués par des considérations idéologiques », affirme, sans risque de se tromper, Bruno Suchaut, chercheur associé à l’IREDU et directeur de l’URSP. B. Suchaut a mis en évidence des compétences clés pour la réussite scolaire introduites dès la maternelle. Alors que le ministère consulte les enseignants sur les programmes du primaire, le Café l’interroge sur l’héritage de 2008 et les futurs programmes dans la perspective de la réussite de tous.
Le gouvernement est revenu sur l’aide personnalisée mise en place par la réforme de 2008 et tente de le faire sur les rythmes hebdomadaires. Est ce une bonne chose ?
Proposer une autre forme d’aide aux élèves que l’aide personnalisée et revoir les rythmes scolaires sur la semaine sont évidemment de bonnes idées. Mais, au-delà de la pertinence de ces idées, c’est surtout la manière dont celles-ci sont déclinées en actes qui compte, d’autant plus qu’une politique éducative ne peut s’envisager que sur le long terme. A ce titre, la réponse du Ministère, avec les mesures contenues dans la refondation de l’école sur ces deux thèmes, est à la fois floue et timide. La question essentielle et urgente à laquelle on doit répondre est de savoir comment proposer à tous les élèves de meilleures conditions d’apprentissage tout en apportant à ceux qui en ont le plus besoin toute l’aide nécessaire.
Il est évident que la nouvelle organisation du temps scolaire ne pourra répondre à ces besoins que très partiellement, voire pas du tout et cela pour plusieurs raisons, dont celle de ne pas avoir suffisamment pensé la question des rythmes scolaires dans sa globalité et de ne pas la considérer comme un levier d’amélioration mais comme une finalité. On risque ainsi déjà d’agir en fait assez peu sur la dimension chronobiologique en se limitant à l’organisation du temps dans la semaine, sans prendre aussi en compte la répartition annuelle. En ce qui concerne l’aide aux élèves, les activités pédagogiques complémentaires (APC) risquent aussi de ne pas porter leurs fruits dans la mesure où le temps consacré à celles-ci est réduit et que le contenu reste encore très flou et donnera lieu à des déclinaisons très variables d’un lieu à un autre. C’est donc davantage une approche globale qui articule complètement les temps scolaire et péri-scolaire, en privilégiant sur ces deux temps l’aide aux élèves en difficulté, qu’il aurait fallu privilégier. Mais évidemment, la conception d’une telle réforme en profondeur visant l’amélioration de la qualité de l’école nécessite du temps et l’adhésion de tous les acteurs.
Vous avez identifié des leviers de la réussite scolaire dans les premiers apprentissages. Etaient-ils pris en compte dans les programmes de 2008 ?
Les programmes scolaires sont rarement définis sur la base des résultats des recherches en éducation et sont souvent trop marqués par des considérations idéologiques, il serait certainement pertinent que les instances d’élaboration des programmes s’appuient davantage sur des éléments empiriques pour orienter leur action. Une étude récente de la D.E.P.P. basée sur la comparaison de panels est toutefois très instructive sur ce sujet. Il a été récemment et clairement montré que les élèves de l’école maternelle abordaient le CP en 2011 dans de biens meilleures conditions cognitives et scolaires qu’en 1997. Dans toutes les dimensions des apprentissages, les performances moyennes des élèves sont plus élevées en 2011 qu’en 1997. De plus, les écarts entre les élèves se sont réduits et les inégalités sociales se sont réduites. Les orientations prises dans les programmes de l’école maternelle pourraient alors être une piste d’explication de ces progressions temporelles. Mais, en même temps, ces résultats positifs pour l’école maternelle peuvent être paradoxalement considérés comme inquiétants pour l’école élémentaire puisque les résultats des évaluations internationales et nationales montrent nettement une baisse des performances en fin d’école primaire et au collège et une accentuation des inégalités au cours de cette dernière décennie. Faut-il alors mettre en cause les derniers programmes de l’école primaire qui n’auraient pas porté leurs fruits ? Faut-il aussi évoquer la faible adhésion des enseignants à ces programmes ? Il n’y a évidemment pas de réponse alimentée de manière factuelle à ces questions mais seulement des hypothèses plausibles.
Comment les prendre en compte ? Suffit-il d’un nouveau programme ?
Il est évident qu’il existe une distance parfois très grande entre les programmes scolaires (le curriculum prescrit) et leur application effective dans les classes (le curriculum réel). Il est alors préférable que les programmes scolaires soient élaborés en tenant au mieux compte de la réalité, c’est-à-dire en fonction des contraintes du terrain et de sa diversité. On peut alors s’interroger sur des programmes trop ambitieux qui ne sont en fait acquis totalement que par une minorité d’élèves. Ce n’est pas uniquement par les contenus des programmes que l’on peut inciter les enseignants à cibler les compétences transversales et prédictives de la réussite ultérieure, c’est aussi en leur donnant des outils didactiques appropriés et largement diffusés. Une formation continue, même légère, peut aussi contribuer positivement à accompagner les enseignants dans une démarche d’évolution des pratiques tendant à une plus grande efficacité.
Chaque réforme commence par les programmes officiels. Faut-il garder une dimension nationale aux programmes ou accorder plus d’autonomie aux écoles ?
Il est clair que les programmes scolaires doivent rester nationaux, comme le montrent bien les comparaisons internationales en éducation, cela est une condition nécessaire à l’équité de traitement entre les territoires et entre les élèves. Mais, encore une fois, penser que les programmes sont appliqués par tous et de la même manière est illusoire dans un système au pilotage encore très centralisé comme l’est le système français. On peut alors plaider pour un cadre national avec des programmes traçant les grandes lignes des objectifs à atteindre aux différents niveaux de l’école primaire et, en même temps fournir des outils aux enseignants favorisant leur mise en œuvre. Il ne s’agit aucunement de réduire la liberté pédagogique des enseignants mais plutôt de leur apporter une aide complémentaire pour transformer les objectifs et les contenus officiels en indications plus précises pour guider leurs pratiques. La question de l’autonomie des écoles dans ce domaine est un faux problème dans la mesure où, de fait, il existe une adaptation des pratiques au public d’élèves et le niveau d’exigence peut naturellement être différent d’une école à l’autre. Le défi est plutôt de faire en sorte que tous les élèves arrivent à maîtriser les compétences du socle et cela dépasse la question des programmes mais concerne avant tout les démarches pédagogiques et didactiques. Dans cette perspective, l’autonomie des écoles peut, en revanche, être un atout dans la mesure où un pilotage pédagogique existe réellement au sein des écoles.
Propos recueillis par François Jarraud