Mettre dans les meilleures conditions d’apprentissage tous les élèves de la classe implique de considérer qu’un élève n’est pas un être asexué, mais que dans la classe, il y a des garçons et des filles, chacun et chacun avec leur spécificité. Pour gérer efficacement la mixité dans la classe, permettant ainsi de faire réussir au maximum tous les élèves, il est important d’entrée de rappeler que tenir des statistiques sexuées des résultats et des comportements des élèves dans la classe ermet d’adapter en permanence sa pédagogie aux différences, aux écarts qui pourraient se creuser et ainsi construire une pédagogie pour tous et pour chacun et chacun.
L’échec scolaire masculin précoce : une réalité
L’OCDE dans un document de décembre 2010, elle-même a indiqué l’enjeu et les risques de l’actuel échec scolaire masculin : « Durant la plus grande partie du XXe siècle, ce sont surtout les performances médiocres des filles qui préoccupaient les décideurs attentifs à la variation du rendement de l’éducation entre les sexes. Toutefois, ce sont maintenant les moindres performances des garçons en compréhension de l’écrit qui sont source d’inquiétude. Il ressort des résultats des épreuves de compréhension de l’écrit de PISA 2009 que les filles devancent les garçons de 39 points en moyenne, soit l’équivalent de plus d’un demi-niveau de compétence ou d’une année d’études. »
En janvier 2011, à propos d’un public particulier, qui cumule les fractures sociales et ethniques relevées par le rapport de l’OCDE sur le système éducatif français suite à l’évaluation PISA : les enfants issus de l’immigration, la fracture sexuée est apparue béante au Haut conseil de l’Intégration : « La réussite des filles par rapport aux garçons dans leurs parcours est édifiante. Elevées dans les mêmes milieux familiaux, elles tirent leur épingle du jeu et obtiennent avec une plus grande fréquence des diplômes de l’enseignement supérieur, à quelque niveau que ce soit ( post-bac, bac+2, bac+5 et au-delà). Les explications avancées mettent en avant l’autonomie acquise par les filles dans la poursuite de leurs études et leur désir d’émancipation sociale, désir parfois soutenu par des mères souvent privées de scolarisation. Ce constat de différences entre filles et garçons par rapport aux comportements scolaires et aux résultats a été très largement souligné dans nos auditions. » L’analyse de l’enquête internationale PISA publiée en décembre 2010 a montré l’existence pour la France « d’une triple fracture Sociale, ethnique et sexuée ». « En France, dans PISA 2009, les filles possèdent 40 points d’avance sur les garçons, contre 29 en 2000. Les résultats des garçons en lecture passent de 490 points en 2000 à 475 points en 2009, quand les résultats des filles s’est maintenu de 519 points en 2000 à 515 points en 2009.»
Le Conseil économique social et environnemental (CESE) , ancien Conseil économique et social, la troisième assemblée de la République a publié en septembre 2011 un rapport « Les inégalités à l’école ». Ce rapport évoque clairement parmi les inégalités « Les inégalités selon les genres » et il écrit notamment : « Les inégalités de performances scolaires entre les élèves sont aussi étroitement associées au genre. Les filles sont en moyenne meilleures que les garçons…Il y a là une réalité complexe, difficile à saisir, qui renvoie probablement à des différences dans les conditions de socialisation des filles et des garçons dont nous ne sommes pas toujours parfaitement conscients….Les principaux indicateurs de la scolarité rendent compte du meilleur comportement scolaire et de la plus grande réussite des filles jusqu’à un stade avancé de leurs études……Ce qui est préoccupant dans le cas de la France est que le différentiel de performance filles-garçons se soit creusé ( +11 points ) depuis 2000 un peu plus fortement que la moyenne de ses partenaires……La représentation par genre des niveaux les plus faibles dans les enquêtes PISA est particulièrement éloquente. Elle montre la concentration de la difficulté scolaire sur les garçons. En France, 26% des garçons ( plus d’un garçon sur quatre !) et 14% des filles ( moins d’un fille sur sept) n’atteignaient pas, en 2009, le niveau de compétence 2 en lecture, considéré comme un minimum à atteindre pour réussir son parcours personnel….. »
I) Comment gérer le début du collège, la sortie de l’enfance, l’entrée dans l’adolescence, l’âge adulte ?
L’absence de « rites de passage » pèse plus sur les garçons que sur les filles et ce, à divers moments du cursus du jeune :
Gestionnaire de la cour de l’école ; subissant la cour du collège.
L’élève, notamment le garçon, était le « patron » de la cour et des divers espaces de l’école primaire qu’il maîtrisait bien. Il va se retrouver au collège dans un espace dont il ne possède pas toutes les clés, ce qui peut générer une certaine angoisse.
Le grand du primaire, le petit du collège
En CM2, le ou la jeune était le « grand » ou la « grande » de l’école. Il se retrouve en 6e, le petit dernier avec des élèves qu’il juge « beaucoup plus âgés » et « peu accueillants ». Un sondage réalisé à propos de la journée de lutte contre l’échec scolaire montre en 2010 que plus de 80% des jeunes jugent qu’ils sont bien accueillis par les enseignants et l’administration et seulement 50% jugent l’accueil des autres élèves du collège « satisfaisants ». La crise d’identité générée par ce changement de perspective peut être d’autant plus grave qu’elle se situe au tout début de l’entrée dans l’adolescence.
Il est donc indispensable de faire comprendre, notamment aux garçons qu’ils sont « sortis » de l’enfance, sinon, comme les montrent les travaux de Sylvie Ayral « La fabrique des garçons », ils chercheront un rite initiatique de sortie de l’enfance par d’autres moyens, notamment la désobéissance…. Une enquête sur les sanctions au collège menée par Sylvie Ayral « La fabrique des garçons » a montré que plus de 80% des violences en collège étaient le fait de garçons ce qui l’a amené à penser « que pour les garçons la sanction est un véritable rite de passage qui permet à l’heure de la construction de l’identité sexuée, d’affirmer avec force sa virilité, d’afficher les stéréotypes de la masculinité, de montrer que l’on ose défier l’autorité » :
Dans treize collèges enquêtés récemment, aux caractéristiques socioscolaires très différentes, les garçons représentent de 74% à 89% des élèves punis et de 85,2% à 100% des élèves sanctionnés pour violence physique. ….Pourquoi cette surreprésentation masculine n’attire-t-elle pas l’attention des équipes éducatives alors que le ministère de l’Education Nationale réaffirme à chaque rentrée scolaire le principe de l’égalité des sexes et que les effets négatifs des punitions données de manière excessive sont démontrés depuis longtemps ?… Dans les faits, l’univers scolaire apparaît comme un lieu de confrontations intersexes et d’activation de stéréotypes de genre ( représentation de soi en tant qu’homme ou en temps que femme) plutôt que de coéducation des sexes. Garçons et filles partagent la classe en deux espaces distincts, ne mangent pas ensemble, ne fréquentent pas les mêmes endroits dans la cour, même si cela n’empêche ni les amitiés, ni les flirts, ni les amours qui se déroulent sur un fond de « guerre des sexes »………..En définissant les infractions et en punissant les garçons, l’institution scolaire stigmatise ces derniers et les consacre collectivement dans leur « virilité ». Elle renforce l’inégalité entre sexes dans laquelle s’inscrit en creux l’invisibilité des filles. »
Pèsent donc sur les garçons la disparition de tous rituels d’intégration sociaux à un moment donné de leur vie et le flou régnant entre 16 et 25 ans autour de l’entrée dans l’âge adulte.
Cette société d’adolescence où l’on est préado, et post-ado, où se développe pour les trentenaires la notion « d’adulescence », ni tout à fait ado, ni tout à fait adulte, elle heurte, on le comprend bien, beaucoup plus la construction de l’identité masculine que celle de l’identité féminine où la rupture enfant/adulte est marquée par des transformations corporelles et le fait d’être devenue en capacité d’être mère.
Nous vivons aujourd’hui une société marquée par la confusion des âges, où on demande le plus souvent à ceux qui la composent de devenir mature de plus en plus tôt pour rester jeune de plus en plus tard. La société semble avoir des difficultés à accepter qu’on puisse grandir et devenir adulte. On peut vraiment se demander si la société qui a inventé la notion d’adolescence ne fonctionne pas à l’image de celle-ci dans une situation de refus permanent de devenir adulte et donc « ancien » ou « vieux ». Le syndrome de l’adolescence peut se caractériser comme le moment où on renvoie à plus tard les décisions graves et où on vit sous la dictature du désir. Cette société d’adolescence où l’on est préado, et post-ado, où se développe pour les trentenaires la notion « d’adulescence », ni tout à fait ado, ni tout à fait adulte, elle heurte, on le comprend bien, beaucoup plus la construction de l’identité masculine que celle de l’identité féminine où la rupture enfant/adulte est marquée par des transformations corporelles et le fait d’être devenue en capacité d’être mère.
Dans la construction de sa personnalité, le jeune, spécifiquement le garçon, parce qu’il vit moins dans son corps le passage à l’âge adulte que les filles qui lorsqu’elles sont réglées savent qu’elles peuvent potentiellement être mère, a toujours eu besoin de rites d’initiation, de transmission et d’intégration. Ceux-ci ont été longtemps religieux (confirmation, communion solennelle) et civiques (les « trois jours » ; le service national). Aujourd’hui, il n’existe quasiment plus de rites d’initiation et de transmission, ce qui, la nature ayant horreur du vide, laissent le champ libre à des processus d’intégration réalisés dans le cadre de « bandes », de divers groupes, voire par des sectes ou des intégrismes religieux.
Si l’on veut éviter que le groupe, la bande, la communauté ne soit le seul élément initiatique repérable ,il faut rétablir des rituels d’intégration sociale, par exemple :
– pour marquer la sortie de l’enfance et l’entrée dans l’ère de la responsabilisation (13 ans est juridiquement en France ce moment)
– pour marquer l’entrée dans l’âge adulte, les établissements scolaires, les centres d’apprentissage, les mairies doivent organiser des cérémonies pour marquer ce moment décisif de rupture que représente « être majeur » avec les droits et obligations que cela représente
Les familles se rendent-elles compte qu’un travail bien encadré sur les limites, les dangers, les risques calculés, peut permettre d’éviter que des jeunes n‘aillent rechercher ailleurs des sensations extrêmes, des violences contre soi-même : véhicules motorisés lancées à grande vitesse, voire prises de substances « grisantes » comme l’alcool, des médicaments ou des drogues….et que quelques plaies ou bosses, des déchirures ou des vêtements un peu abîmés, peuvent être le prix à payer pour que le jeune se confronte, en étant encadré par des professionnels, à l’aventure, aux risques, à ses limites, et n’essaient pas de leur faire seul ou en bandes, sans contrôle.
En effet, transgresser, c’est pour l’adolescent le moyen, une manière de prospecter les limites, de les tester, de se mesurer aux interdits. Il est donc important que l’adulte ne se laisse pas prendre à ce jeu de transgression qu’expérimente l’adolescent. Il ne s’agit pas d’être laxiste, mais de travailler sur les limites et les régulations possibles.
Quand on interdit au nom du « principe de précaution » dans une cour de récréation les jeux de balles, la possibilité de grimper ici ou là, dans un centre de loisirs, les campements « sauvages », les rallyes d’orientation nocturnes, bref tout ce qui peut amener à travailler avec le jeune les peurs et les dangers, qu’on ne s’étonne pas des résultats ! Pour quelques cas médiatisés, on empêche l’adolescent de se préparer à gérer efficacement son passage à la maturité.
2) Comment gérer les écarts garçons-filles dans les domaines de la lecture, de l’écriture et de la mise en œuvre des tâches scolaires ?
Annick Davisse a raison dans un débat sur la mixité scolaire de poser la question en terme de pratiques pédagogiques : « Cette difficulté des garçons , notamment des milieux populaires-bien que ces différentiels existent aussi chez les enfants d’enseignants- à rentrer dans les activités langagières pose des question d’ordre didactique. Ce n’est pas une affaire de relations avec les profs, cela a davantage à voir avec les contenus d’enseignement, la façon d’en penser les références. »
Ce n’est pas d’allergie à la lecture qu’il faut évoquer, mais de difficultés d’entrer pour le jeune garçon dans le « métier d’élève », dans la tâche scolaire. Compte tenu des stéréotypes fonctionnant encore dans les familles et dans la société, les filles qui effectuent très tôt de nombreuses petites tâches à la maison à l’inverse des jeunes garçons, savent mieux maîtriser les différentes composantes des tâches scolaires, composantes du métier d’élève :
– L’énoncé, l’ordre donné
– L’accomplissement de la tâche
– La Relecture, la Validation,
– La Correction éventuelle
– La Finition , la finalisation de l’exercice
On sait combien la non-maîtrise de ses composantes est pénalisante pour certains garçons qui vont refuser les corrections, et ne pas tenir compte de ce que signifie la finition en « bâclant » souvent leur travail scolaire.
Pourquoi cet état de fait et ce refus d’accomplir pour une partie des garçons les cinq composantes d’un tâche scolaire ? Nous nous trouvons ici face aux conséquences du formatage préétabli dans la toute petite enfance par l’éducation familiale, créateur de stéréotypes des rôles sociaux masculins et féminins. Si l’école ne les prend pas en compte dans sa pédagogie et ses approches, elle les conforte de fait.
Concernant la tâche scolaire, dans de nombreuses familles, les filles effectuent très tôt de nombreuses petites tâches à la maison à l’inverse des garçons qui vont les regarder faire et ne pas agir. Elles vont donc rapidement comprendre ce qu’est un ordre précisant la tâche à accomplir, à exécuter cette tâche, à attendre la validation de ce qu’elle a réalisé, à corriger ce qu’elle a mal exécuté et a terminer le travail demandé.
Comme le rappelle Samia Essaaba, professeur au lycée professionnel Théodore Monod de Noisy le Sec (93) : « A la maison, la fille est sommée de participer aux tâches ménagères quand son frère en est généralement dispensé. Et s’il est l’aîné, il peut carrément régner en maître sur la fratrie. Du coup, pour elles, l’école apparaît comme un lieu de valorisation. Alors, que pour les garçons, elle est un lieu de contraintes. »
Les filles apprennent donc souvent les cinq composantes d’une tâche avant d’entrer à l’école. Elles n’ont donc aucune surprise à les retrouver dans la classe à l’école, ce qui n’est pas le cas des garçons qui vont ne découvrir les composantes des tâches qu’en entrant dans l’école, donc avec un retard concernant ce qu’est le métier d’élève. Les observations faites, notamment en grande section de maternelle et en cycle 1 montrent que pour un nombre non négligeable de jeunes garçons, au-delà de l’acte d’apprentissage, il y a souvent des blocages concernant les corrections et la finition du travail : « En EPS, dès qu’il faut refaire un exercice, il y a pour certains garçons des cris et des pleurs » (professeure des écoles en grande section) ;
« C’est un refus permanent d’accepter pour la moitiés des garçons de la classe de refaire un exercice de mathématiques; Impossible de faire relire ces garçons, le travail est toujours bâclé et non soigné … » ( Professeur des écoles en CE1)
Les observations menées par des étudiants dans le cadre de leur master ont montré que plus de 80% des filles en fin de CP maîtrisaient les cinq composantes de la tâche scolaire pour juste un peu plus de la moitié des garçons. Dans le cadre de son mémoire de DHEPS ( Diplôme des Hautes Etudes des Pratiques Sociales) de l’Université de Haute Alsace (SERFA), intitulé « Une innovation menacée ? La mixité scolaire », Mme Céline Guérin a travaillé sur la tâche scolaire des élèves de lycée à partir des cinq moments repérés ci-dessus : « Il s’est avéré qu’en fin d’année toutes les filles avaient intégré les cinq étapes alors que seulement 30% des garçons allaient jusqu’à la troisième étape….J’ai réalisé un sondage auprès de garçons en échec ou largement en-dessous de leurs capacités de deux classes de seconde…. Ils ont tous déclaré s’arrêter à la deuxième étape. Ce sont précisément ceux qui ne rédigent pas leurs exercices, qui se scandalisent de ne pas avoir tous les points bien que leur résultat soit juste, et qui ne notent pas la correction des exercices en classe si on ne les oblige pas, persuadés que cela ne sert à rien…. Cette expérience m’a conduite à mener une enquête à propos des cinq moments de la tâche scolaire auprès de sept classes de lycée…..Les filles sont trois fois plus nombreuses que les garçons à effectuer les cinq moments de la tâche scolaire. 78% des garçons ne vérifient pas et (ou) ne corrigent pas…. »
Par rapport à des garçons, il semble que les trois chantiers suivants d’aide personnalisée à des élèves en difficulté devraient être privilégiés :
• Préparer la séance à venir :
Il s’agit d’éviter que l’élève ne subisse pas très vite un effet retard qui ne lui permettrait pas de suivre les apprentissages prévus pendant la séquence.
Pour cela, il faut lui faire comprendre ce qu’on va apprendre.
Par exemple, préparer un travail de lecture, ce peut être :
– travailler en amont l’identification de certains mots ;
– leur raconter de façon très succincte l’histoire évoquée la leçon suivante. Du coup, ils ont une représentation mentale de cette histoire et leur attention pourra augmenter
– leur montrer ce qui va être important le lendemain.
• Soutenir pendant l’apprentissage :
Il s’agit de reprendre à l’identique ce qui a fait blocage pour permettre à l’élève de décomposer les différentes tâches qu’il a accompli , voir le chemin qu’il a parcouru et où se situent les zones de blocage.
Il s’agit de lui permettre de comprendre les différentes composantes nécessaires pour réaliser la tâche demandée.
• Faire autrement :
Il peut s’agir par exemple de faire refaire un exercice après un apprentissage effectué par un autre enseignant que l’habituel. Ce peut intéressant pour permettre aux jeunes de mieux s’identifier à l’adulte de faire qu’un enseignant masculin ( voire un étudiant ) fasse travailler le jeune garçon.
3) Etre attentif à l’utilisation des manuels scolaires
Le rapport au livre étant assez différent entre filles et garçons, il est fondamental si on ne veut pas accentuer les écarts de travailler spécifiquement en collège la manière de se servir le plus utilement possible les manuels scolaires. Peu de manuels sont souvent utilisés en primaire. La découverte d’un manuel scolaire pour chaque discipline du collège peut poser problème au jeune s’il n’y a pas été préparé.
Il est important de parcourir avec le jeune garçon le manuel de sa discipline pour en montrer toute les richesses et les possibilités. Cela aussi bien pour le manuel traditionnel que pour le manuel numérique. La relation au manuel scolaire est un discriminant important sur le plan social et culturel comme sur le plan sexué.
4) Etre vigilant sur l’utilisation du CDI par les garçons comme par les filles
La circulaire de rentrée 2011de l’Education nationale impose à tous les établissements scolaires « la mise en place d’indicateurs sexués sur les violences mais aussi sur les résultats scolaires des élèves » afin de leur permettre de pouvoir analyser leur situation. Il est très important pour un établissement scolaire d’établir des statistiques sexuées pour agir efficacement pour la réussite scolaire de tous et ce dans différents domaines. C’est ce qu’a réalisé en 2011-2012 le collège Marcel DORET du Vernet ( Haute-Garonne) . Voici quelques extraits du diagnostic qui recouvre toutes les études nationales et qui permet de travailler localement pour faire changer ce qui s’y déroule : « A première vue, le collège du Vernet, collège rural de 733 élèves ne pose pas de problèmes particuliers en termes d’inégalités entre les filles et les garçons. 54% de garçons et 46% de filles y sont scolarisés… La fréquentation du CDI montre que les filles lisent et empruntent beaucoup plus de romans que les garçons.. … » Cette constatation chiffrée a conduit à un travail spécifique en direction des garçons concernant le prêt de livres au CDI, afin d’améliorer leurs résultats scolaires.
5) Comment travailler la difficulté d’identification au moment de l’orientation ?
La Commission Européenne souligne dans son rapport concernant la France les difficultés des campagnes menées pour établir une égalité dans l’orientation des filles et des garçons : « Le point faible des mesures actuelles résident dans le fait qu’elles se concentrent essentiellement sur les filles. Ainsi, alors que l’intérêt des filles pour la technologie suscite beaucoup d’attention, on s’intéresse moins aux garçons et à leur éventuel accès aux professions liées aux soins. (…) Les initiatives d’orientation sensibles à la dimension de genre ont tendance à cibler plus souvent les filles que les garçons.(…)
Dans l’école française, le moment décisif concernant l’orientation des élèves se situe entre la classe de quatrième et la classe de troisième. Il touche donc les jeunes à l’âge de 14/15 ans.
Or, à cet âge où se joue une grande partie de ce qui va faire la réussite ou non du parcours scolaire des jeunes, où l’institution leur demande de construire un projet personnel , tous les spécialistes de la psychologie de l’adolescence le disent, c’est le moment du plus grand écart de maturité entre les jeunes garçons et les jeunes filles.
A l’adolescence, un entre-deux entre enfance et âge adulte qui commence de plus en plus tôt et finit de plus en plus tard, où la crise de l’intériorité se traduit par une image toujours insatisfaite de l’image de soi dans le miroir des autres. Est-ce que les jeunes garçons vont voir autour d’eux, des hommes plus âgés, des semblables en situation d’adulte-référent ?
La longue indifférence en France à l’influence du genre dans la détermination des projets scolaires a occulté toute réflexion sur le fait que les garçons ont également des choix sexués et désertent certaines filières. Ce qui explique pour une bonne part l’absence de politiques d’actions et de pratiques pour travailler aussi bien l’orientation des garçons que celle des filles. Prenons garde aux discours « tous faits » qui nous disent que les filles, à l’inverse des garçons, vont sur des secteurs d’emplois moins « porteurs »…. C’est oublier qu’aujourd’hui les filles sont en terme de flux annuel de diplômées, majoritaires dans des secteurs comme la médecine, la chirurgie, les vétérinaires, la pharmacie, la magistrature, l’architecture :
On n’a pas toujours conscience de la rapidité avec les femmes ont fait irruption – j’emploie ce terme de manière positive- dans un certain nombre de métiers. En décembre 2010, le bâtonnier des avocats du barreau de Paris qui regroupe la moitié des avocats français est devenu pour la première fois une bâtonnière. Ce changement spectaculaire est l’indication d’une mutation complète de ce métier : « Il a fallu attendre 1900 et une loi spéciale avant qu’une femme ne puisse prêter serment en France. En 2010, 50,1% des avocats sont des femmes et le mouvement est encore plus flagrant chez les jeunes générations d’avocats, où l’on compte près de 65% de femmes »
Les professions qui interviennent autour de l’enfance et de l’adolescence, comme celle qui sont en prise avec le quotidien de la population, se sont en vingtaine d’années massivement féminisées. Notre société doit s’interroger sur le fait qu’aujourd’hui, entre 2 et 18 ans, les jeunes vont ne rencontrer pour travailler avec eux que des femmes : professeurs (80,3% de femmes dans le premier degré ; 57,2% de femmes dans le second degré, BTS et classes prépas inclus), chefs d’établissements, assistantes sociales, infirmières, avocats, juges, médecins généralistes, employées de préfecture ou de mairie, voire juges, tous ces métiers sont de manière écrasante féminins. ….. …
Les filles ont donc durant leur cursus scolaire et leur adolescence, présentes devant elles, des semblables, femmes référentes, auxquelles elles peuvent sans peine s’identifier, ce qui pour une bonne part expliquent également qu’elles souhaitent, leurs études réussies, rejoindre ces métiers qu’elles jugent valorisants. On peut en effet, penser que les filles se dirigent plus spontanément à la fin de leurs études vers des métiers qu’elles rencontrent pendant leur scolarité, avec lesquelles elles peuvent s’identifier, dont elles ont pu faire d’une certaine manière des modèles des personnes qui les exercent. Les jeunes filles construisent donc souvent un cursus scolaire adapté au métier choisi ce qui leur permet de réussir, mais il ne faut pas mettre de côté le fait que cette identification peut éventuellement freiner leurs ambitions.
La question du capital émotionnel garçons-filles est également un sujet à aborder, car il a sans nul doute un rôle dans l’orientation professionnelle des jeunes. Lié aux phénomènes d’identification des filles avec des métiers s’occupant de l’humain et du quotidien de plus en plus féminisées, il explique sans doute des éléments de motivation supplémentaire dans le travail scolaire des filles et dans leur choix d’orientation scolaire et professionnelle : « Le capital émotionnel pourrait ainsi venir apporter des éléments d’explication à la meilleure performance scolaire des filles relativement aux garçons…Les garçons et les filles n’entrent pas dans les situations d’apprentissage de manière identique , ne vivent pas les mêmes expériences et se construisent différemment par l’éducation sexuée dès leur plus jeune âge…..Chez les filles, le capital émotionnel développé ( empathie, souci du service, de l’écoute…) participe à leur orientation vers des filières à caractère « social » ou vers des filières d’ « humanités » ou vers des filières scientifiques dans le quelles elles choisissent les sections ou options où la dimension « humaine » ou « vivante » est présente, comme en biologie ou en filière de médecine, mais elles vont moins souvent en mathématique ou physique ( d’ailleurs, ne serait-ce pas l’illustration du problème de la déhumanisation de certains curricula en sciences « dures » ?)
On peut dire aujourd’hui que quasiment la totalité des professions féminisées sont des métiers visibles présents dans le quotidien et dans l’environnement des lieux d’habitation, alors que la majorité des métiers masculins sont souvent des métiers invisibles situés loin des territoires d’habitations. Certes, il reste les pompiers et les policiers, mais ceux-ci ont perdu de leur prestige…. Il y a un vrai risque pour notre société de voir une division du travail entre des métiers travaillant sur l’humain et la vie quotidienne très massivement féminisés et des métiers « techniques » ou financiers « réservés » au monde masculin.
Le problème concernant les métiers féminisés à recrutement par concours est double :
• Susciter des candidatures d’hommes dans ces métiers en les incitant à s’investir dans les professions travaillant sur l’humain comme la médecine, la magistrature, les avocats, la culture , les vétérinaires, l’architecture, l’enseignement……
• Lutter contre les difficultés de maîtrise de l’écrit par les garçons afin de leur permettre d’avoir de meilleurs résultats aux concours, car dans tous les concours de recrutement et particulièrement dans les concours d’accès au métier enseignant, les candidates réussissent bien mieux que les candidats.
6) Etre attentif à ne pas faire référence aux garçons par rapport aux filles et vice-versa
« Soucieux de traitement égalitaire, les chefs d’établissement s’avèrent assez perplexes devant ces évolutions, qui posent au fond laquestion de savoir ce que devient le genre, la place des modèles masculins et féminins, dans une société à visée égalitaire. »
« Pour réaliser l’égalité entre les filles et les garçons, il faut passer par une étape où l’on reconnaît les différences qui existent. Ensuite, il faut trouver une réponse constructive à la gestion des différences » : « Ne pas faire de différences entre les filles et les garçons ne suffit malheureusement pas. Pour réaliser l’égalité entre les filles et les garçons, il faut passer par une étape où l’on reconnait les différences qui existent. Ensuite, il faut trouver une réponse constructive à la gestion des différences…… Appliquée à l’école maternelle, l’approche intégrée de l’égalité entre les hommes et les femmes est une stratégie transversale qui consiste à prendre en compte les conditions, les priorités et les besoins des filles et des garçons dans tous les aspects de l’école ( culture, vision, objectifs, stratégies, pédagogie, activités , méthodes, personnel,…) afin d’améliorer l’égalité entre les garçons et les filles. »
Ce texte belge a l’intérêt de présenter la question en termes de diversité à reconnaître pour construire l’égalité et non dans une démarche de jeune asexué où on ferait des références indifférenciées aux uns et aux autres sans s’interroger sur les démarches à mener. Le comité de prévention de l’illettrisme en Ile de France, dans son dernier « Etat des lieux » de 2010 se place dans cette optique « Il faut travailler sur une stratégie précise concernant les jeunes garçons ? Lire est considéré comme activité de filles, alors que les écrans sont masculins »
A l’inverse, le rapport des filles aux matières scientifiques, elles, a, en France, donné lieu à de nombreux ouvrages sans s’interroger sur ce qui est la situation ailleurs : ainsi, il faut savoir qu’au Portugal, les mathématiciens dans les universités sont majoritairement des mathématiciennes et qu’en Inde, les ingénieurs sont en grand nombre des ingénieures.
Faut-il rappeler que si en France, en 2009, il n’y a que 35,9% de femmes diplômées en sciences, mathématiques et informatique, le pourcentage en Italie dans ce même secteur s’élève à 52% !
Les études menées montrent que très majoritairement les garçons sont majoritaires dans les prises de parole spontanées ou demandées dans la classe. A partir de ces chiffres, les conclusions de la plupart de ces études sont que l’école et le fonctionnement de la classe favorisent les garçons aux dépends des filles et de réclamer aux enseignants « de veiller à distribuer la parole plus équitablement dans la classe entre filles et garçons. » .
Si les pourcentages concernant les prises de parole dans la classe sont quantitativement exactes ( 44% de leur temps aux filles contre 56% aux garçons ), je ne suis pas sûr que l’analyse soit qualitativement exacte. Il suffit de suivre le déroulement d’une journée de classe, et des études ont été menées en ce sens, pour voir que l’enseignant, quel que soit le niveau scolaire, interroge, donne plus la parole aux élèves faibles et tout juste moyens qu’aux bons élèves, cela afin d’éviter que les bons élèves ne soient seuls à répondre et qu’ils puissent voir où en sont concernant les apprentissages du jour, les élèves susceptibles d’avoir le plus de difficultés et comme les chiffres nous le montrent, ce sont des garçons. D’autre part, par rapport à des élèves enclins à « chahuter » et là encore, c’est très majoritairement le fait des garçons, il vaut mieux les faire s’exprimer pour ne pas se laisser déborder. Donc, il n’y a rien d’étonnant à ce que la parole leur soit plus donnée qu’aux filles, qu’ils posent plus de questions par rapport à des problèmes, des règles qu’ils ne comprennent pas…. Vouloir « distribuer la parole plus équitablement entre garçons et filles » ne pourrait que contribuer à de plus grandes difficultés des garçons et entraîner sans doute de graves dysfonctionnements dans la gestion de la classe.
Le ministère de l’éducation du Québec a organisé ces dernières années plusieurs journées d’études sur la question de « La réussite des garçons ». Dans un document réalisé à l’occasion d’une de ces journées, on peut y lire : « Il apparaît donc opportun d’augmenter les choix possibles en termes d’apprentissage et de projets, d’avoir des approches pédagogiques différenciées. Tant le personnel enseignant que les parents ont avantage à prendre conscience que la construction de l’identité de garçons et de filles a une influence sur leurs intérêts, leurs stratégies d’apprentissage, leurs cheminements scolaires. Toutefois, il ne faut pas confondre approches différenciées et approches stéréotypées qui elles, au contraire, semblent à l’heure actuelle diminuer les chances de réussite scolaire des garçons. Par exemple, il serait déplorable que la lecture et l’étude paraissent trop « féminines » aux garçons ou encore que l’activité physique ou l’informatique soient perçues par les filles comme des activités masculines. (…) Pour favoriser la réussite scolaire des garçons autant que celles des filles, les programmes d’intervention auraient avantage à consolider chez tous les élèves une perception positive de leurs habiletés cognitives, c’est-à-dire à renforcer leur estime de soi académique ou leur perception qu’ils sont capables d’apprendre. Cette perception demeure un des meilleurs prédicteurs de la réussite scolaire et des aspirations scolaires, tant chez les garçons que chez les filles.»
Se construire une estime de soi
Il est essentiel que la classe et l’établissement scolaire soient un espace où l’élève, garçon comme fille, puisse se construire une estime de soi. Cela passe par un certain nombre de conditions qui doivent être au cœur des projets pédagogiques et des projets d’établissement :
1) Permettre à l’élève de se construire un fort sentiment d’identité personnelle qui lui donne une bonne assurance de sa valeur sans avoir besoin de la confirmer auprès des autres. Pour ce faire, à l’école comme au collège, surtout vers l’âge de 14 ans, il faut valoriser les parcours scolaires des garçons. Eviter les caricatures inconscientes, parfois explicites dans des conférences ou des brochures qui valorisent les parcours scolaires exclusivement pour les filles.
De ce point de vue, certains documents diffusés dans les écoles sont très injustes pour les garçons et véhiculent une idéologie d’inégalités « à l’envers » en faveur des filles. On ne peut qu’être inquiet des dégâts que pourraient entraîner chez les jeunes garçons en difficulté scolaire des documents remis aux élèves de collège et de lycée qui comporteraient, comme on le voit encore dans quelques-uns, des formules du type : « Valoriser le rôle des femmes » ou encore l’évocation de « la domination des garçons dans les apprentissages scolaires ».Si l’on voulait développer la violence entre les élèves et mettre en péril le Vivre ensemble dans l’avenir, on ne s’y prendrait pas autrement…..,
La valorisation pour les garçons se fait encore trop souvent en mettant en avant les élèves devenus chanteurs, acteurs, sportifs, c’est-à-dire une valorisation de compétences réalisées en dehors de l’école et non dans le cadre des apprentissages scolaires.
La démarche de valorisation aussi bien des garçons que des filles, devrait passer par la présentation de parcours scolaires réussis d’hommes aussi bien que de femmes, mettant en avant la diversité sexuelle, ethnique, sociale des personnes concernées, afin de renforcer pour chaque élève le refus de la fatalité liée à son sexe, ses origines, son territoire d’habitation.
2) Donner à l’élève l’aptitude à s’évaluer sans déni, à croire en ses capacités de réussite et à accepter certaines critiques. Chaque élève est un jeune en construction qui doit être fier de ce qu’il réalise dans l’école. Cette fierté du travail accompli, elle peut être ritualisée dans des cérémonies. Ce n’est pas un hasard si dans un certain nombre d’établissements, notamment situés dans des quartiers qu’on appelle difficiles, ont été remis en place des distributions de prix montrant au jeune et à sa famille que l’établissement est fier des réussites de ses élèves et sait leur dire merci. Ces cérémonies sont aussi des moments permettant de valoriser la diversité des réussites, de faire venir d’anciens élèves, garçons autant que filles, qui ont réussi.
3) Donner aux jeunes la possibilité de comprendre le monde pour ne pas le subir en leur permettant de mieux se connaître et de mieux connaître les secteurs d’activité potentiellement susceptibles de les accueillir. De ce point de vue, il faut éviter que certains métiers apparaissent comme logiquement féminins ( tous ceux qu’ils voient autour d’eux ) et d’autres logiquement masculins ( ceux liés à la production) par exemple, en faisant venir dans l’établissement des garçons exerçant des métiers comme professeurs, juges, personnels de services sociaux…
7) Etre vigilant par rapport aux élèves qui apparaissent « entre le groupe fille et le groupe garçon »
« Certains chefs d’établissement, qui semblent plus attentifs et plus soucieux en termes d’éducation, ont remarqué, avec ou sans instrument technique, des victimisations très sévères, par moquerie, isolement et exclusion d’un ou une élève, le tout souvent accompagné de « traitement », c’est-à-dire fabrication et diffusion d’une « réputation », le plus souvent selon des normes sexuelles sexistes (filles qui « ont une réputation », garçons soupçonnés d’homosexualité). » C’est justement la reconnaissance explicite des différences filles-garçons et le refus de considérer l’élève comme un être asexué qui peut permettre de donner une légitimité à des paroles concernant le respect de la diversité à l’intérieur de chaque sexe.
Si l’on considère chacun, comme un être asexué, non reconnu dans sa spécificité comme une fille ou un garçon, c’est là que peuvent se creuser des différenciations basées sur les stéréotypes des groupes : les valeurs supposées viriles pour les garçons, comme les valeurs supposées féminines pour les filles.
Le travail sur la diversité à l’intérieur du groupe-fille comme du groupe-garçon est important. Il faut y être attentif. Le rejet d’un garçon trop « féminisé » ou d’une fille jugée trop « virile » peut conduire à des harcèlements continus liés à de l’homophobie.
8) Etre attentif à ne pas utiliser de stéréotypes sur les uns et sur les autres et ne pas faire de l’ironie « mal placée »
Eric Charbonnier , de l’OCDE a analysé dans le journal le Monde, les résultats PISA concernant les élèves français : « Les entretiens qualitatifs montrent que les jeunes Français éprouvent un plaisir des apprentissages mais aussi une angoisse. On note d’ailleurs qu’elle est plus forte en mathématiques que dans les disciplines littéraires. Et les deux groupes qui prennent le moins de plaisir sont les enfants défavorisés et les garçons. »
Françoise Lorcerie dans son article insiste sur « La discrimination institutionnelle des garçons maghrébins » : « L’image de la fille victime du machisme de son milieu écrase dans la réflexion des éducateurs le problème spécifique du garçons sans place à l’école.(…) Comment en arrivent-ils là ? On ne le sait pas très bien, car le problème de l’éviction scolaire des garçons maghrébins a presque été invisible jusqu’ici…. Au total, les divers travaux disponibles conduisent à faire l’hypothèse d’une très forte inégalité genrée des parcours scolaires en milieu ethnicisé/racialisé au détriment des garçons. (…) D’un point de vue normatif, nous sommes ici devant un cas patent de discrimination institutionnelle. Rappelons qu’on parle de discrimination institutionnelle lorsqu’un ensemble de politiques ou de pratiques, neutre en apparence, entraîne un désavantage particulier pour une catégories de personnes par rapport à d’autres, sur la base de critères prohibés comme le sexe, l’origine ethnique ou la race. La loi française ne reconnaît pas la discrimination institutionnelle. Mais l’éthique, oui. »
Gérer la mixité s’impose, car plus de 45 ans de mixité dans les établissements scolaires n’ont pas permis de construire des relations apaisées filles-garçons : 80% des filles entre 15 et 18 ans estiment que les garçons ne les comprennent pas ; 56% des garçons pensent que les filles ne les comprennent pas ; Parmi les 51% d’adolescents qui déclarent avoir été victimes de violences ou d’injustices, l’apparence physique et le sexe ( pour les filles) apparaissent comme les deux principales causes des violences ou injustices subies, devant les origines ou le handicap, autres sources notables.
Yves Raibaud, maître de conférences à l’IUT Michel de Montaigne à Bordeaux responsable du master professionnel « spécialité de l’ingénierie d’Animation Territoriale » évoque ainsi les discussions autour du sexe avec des groupes de jeunes : « Dans ces discussions, les animatrices et les filles peuvent être parfois plus à l’aise car parler du corps, c’est un peu parler du soin, de soi et de la santé. Il se peut au contraire que les garçons aient du sexe une vision performante, ludique et violente qui se prête moins à une conversation posée. La présence d’un animateur pour parler du sexe avec les garçons peut être une bonne transition pour aborder plus tard le sujet « tous ensemble ». L’éducation non mixte peut parfois avoir un intérêt pour dénouer des tensions et des frayeurs propres à chaque groupe. »
Il est important que les discours, les documents sur lesquels l’enseignant travaille ne conforte pas les stéréotypes concernant chaque sexe. Il n’est également pas superflu de vérifier que le rangement de ma classe ne soit pas dévolu qu’aux seules filles, car l’absence de partage des tâches à la maison entre garçons et filles est un des éléments porteurs de l’entrée différenciée dans le métier d’élève et de la construction de l’ identité filles-garçons.
Les statistiques le montrent clairement. Le partage des tâches à la maison entre hommes et femmes n’a quasiment pas bougé depuis 40 ans.
80% des tâches domestiques sont assurées par les femmes.
86% des femmes se disent « décisionnaires » pour les courses
82% des femmes se disent « décisionnaires » dans l’éducation des enfants.
9) Comment gérer le « jardin secret « de la classe des filles comme des garçons, par rapport aux autres enseignants, aux familles… ?
Il ya un triple « jardin secret » dans l’acte d’enseignement :
– le « jardin secret » de l’enseignant qui a une vie privée indépendamment de sa fonction et qui n’a pas sa place dans la classe
– le « jardin secret » de l’élève, fille comme garçon, qui a une vie privée qui ne doit pas faire l’objet de remarques ou d’interrogations
– le « jardin secret » de la classe où ce qui se produit, se construit ne peut faire d’objet de récits détaillés aux autres collègues ou aux familles, sinon le climat de confiance de la classe risque d’être brisé.
La classe, l’établissement scolaire qui est aussi un espace d’intimité, de confidentialité pour le jeune comme pour l’enseignant. Il faut rejeter le modèle qu’on voit se développer dans certains pays où une caméra est branchée en permanence sur la classe qui peut par internet être consulté par les parents. Un enseignant peut donc légitimement expliquer à des collègues, à des parents qu’il ne répondra pas à leur question concernant au côté de qui le jeune Y. était assis pendant le cours ou à coté de qui la jeune Z. s’est installée durant la sortie en car, ni qu’il ne présentera à personne les couples qui peuvent se former ou se dé-former dans la classe. L’enseignant, le parent, l’enfant, chacun a sa part privée qu’il doit pouvoir préserver de toute intrusion même bien pensante. On ne peut pas tout dire à des collègues, à la famille concernant ce que fait un jeune dans la classe, notamment lorsqu’il s’agit d’un ( e ) adolescent ( e). Le jeune, pour grandir, pour développer son « estime de soi » doit avoir confiance dans le monde des adultes et dans les institutions. Elle ou il a besoin de se sentir « libres » dans ses différents espaces et de pouvoir préserver son intimité. Chacun doit voir respecter son intimité.
10) Comment travailler à gérer la mixité et non à la mettre en cause ?
Comme le dit Annie Lechenet de l’IUFM/Université de Lyon1 dans son intervention à la Biennale de l’Education 2012, il faut « mettre la mixité en crise, non en cause : « Il faut donc interroger ce sentiment de crise devant des violences entre élèves, sentiment qui fait débat sans être appuyé sur des connaissances suffisamment rigoureuses, et qui peut aboutir non pas sur une mise en crise de la mixité qui pourrait être féconde, mais bien sur une mise en cause qui ne semble pas être d’une parfaite bonne foi. »
Toutes les études montrent qu’en Europe comme en Amérique du Nord, la solution ne réside absolument pas dans l’abandon de la mixité. La réponse à des problèmes en relation avec des différences dans la qualité des apprentissages liées aux différences de sexe est d’ordre pédagogique et éducatif Le rapport EURYDICE « Différences entre les genres en matière de réussite scolaire : Etude sur les mesures prises et la situation actuelle en Europe » publié par la Commission Européenne en juin 2010 a l’immense intérêt de mettre une nouvelle fois l’accent sur le fait que mettre des filles et des garçons ensemble ne suffit pas à gérer l’égalité, mais qu’il faut gérer réellement la mixité pour obtenir la réussite de tous. Ce rapport essaie de sortir du débat piégé : classe ou école non mixte ; classe mixte en mettant bien en avant les expériences où dans une classe mixte, il y a des moments séparés non mixtes pour mieux favoriser les apprentissages et la réussite de tous. « Certaines écoles primaires ( En Ecosse et dans les pays nordiques) séparent les filles des garçons pendant de courtes périodes durant la journée, sans organiser de classes non mixtes fixes. L’idée est d’offrir plus d’espace à la fois aux garçons et aux filles »
Nous connaissons en France une non-mixité à postériori qui ne pose de problèmes à personne alors qu’elle est le reflet d’un malaise profond, qui se traduit par une présence massive des garçons, notamment issus de l’immigration, dans les dispositifs d’aide aux « élèves en difficulté »
Prendre conscience de l’échec scolaire masculin précoce est un véritable enjeu de société. Faire réussir tous les élèves, quel que soit leur genre, peut permettre de diminuer la violence, de rendre le travail sur les stéréotypes plus efficaces. Il ne s’agit pas de prôner des classes non-mixtes, mais de mieux penser la gestion pédagogique de la mixité dans le cadre de classes mixtes, pour toujours plus mettre en place les conditions d’un meilleur vivre ensemble. Il n’est plus possible d’en rester à la situation actuelle tant l’échec scolaire précoce masculin est précoce et pèse sur notre société. Les inégalités dans la réussite scolaire apparaissent pour une bonne part liées à une pédagogie inadaptée qui pénalise massivement les garçons et particulièrement ceux des milieux défavorisés où les familles ne peuvent compenser les manques de l’école. Le défaut français d’enseigner pareillement à tous les élèves sans prendre en compte leurs spécificités, leurs rythmes, apparait comme responsable d’un échec scolaire précoce, dès la maternelle, des garçons face à des filles plus matures dans certains domaines.
La mise en œuvre de pédagogies différenciées filles-garçons apparaît s’imposer comme une solution d’avenir qui doit permettre de mieux adapter l’enseignement et la méthodologie de diverses disciplines aux besoins des élèves et d’entrer enfin dans une dynamique d’égalité à tous les niveaux de la société , notamment par un meilleur partage des tâches au domicile, et de sortir du paradoxe français : une école dominée par les femmes et un monde du travail dominé par les hommes et leurs codes, avec des femmes écartelées entre leur désir de maternité et de réussite sociale.
Jean-Louis Auduc