Par Monique Royer
Durant une semaine à Carcassonne, près de 150 enseignants chercheurs étaient réunis pour réfléchir, partager et proposer autour de la didactique des mathématiques Organisée par l’ARDM, Association pour la Recherche en Didactique Mathématique, l’école d’été abordait cette année deux thèmes : la question de la profession d’enseignant de mathématiques et ses problèmes », et « la place du langage, notamment le langage naturel, dans les approches et recherches en didactique des mathématiques. »
Construire des savoirs
Les propos de l’école d’été s’adressent principalement à des enseignants chercheurs, des doctorants, des enseignants en établissement scolaires qui ont repris le chemin de l’Université. Ici on parle de construction des savoirs mathématiques et pas de maths, une nuance importante qu’Alain Bronner, enseignant chercheur à l’université de 2 et enseignant à l’IUFM de Montpellier, responsable de la 16e édition tient à préciser. Favoriser la construction des savoirs est un enjeu fort et multiple à la mesure de la diversité des apprenants. Il s’agit de former les citoyens de demain par l’acquisition des outils mathématiques minimum, de dépasser la recette pour maitriser le raisonnement. L’enseignant doit aussi permettre à une partie des élèves de poursuivre des études scientifiques et pourquoi pas pour quelques uns de rejoindre la prestigieuse recherche mathématiques française.
Pendant une semaine, visiter à la fois la posture de l’enseignant et la question du langage favorise une appréhension profonde de ce pari de la diversité. Le matin, des cours, sous forme de conférences, étaient proposés, complétés l’après midi par des séances de travaux dirigés permettant un échange de méthodes et un partage de diagnostics. Des posters présentant des recherches menées par des participants étaient commentés à l’heure des pauses. Les actes de l’école seront publiés à l’automne mais inutile d’y rechercher des recettes miracles pour enseignants en mathématiques. On y puisera plutôt des ressources et des réflexions favorisant des situations d’enseignement adaptées aux notions à acquérir. « Poser le problème, c’est déjà beaucoup » nuance Alain Bronner. « La didactique des mathématiques existe depuis quarante ans seulement et la discipline n’a pas la prétention d’avoir répondu en si peu de temps à tous les problèmes ».
Enrichir ses méthodes
Pour Alain Bronner, la principale difficulté rencontrée par les enseignants en mathématiques concerne la mise en activités des élèves. L’enseignement est souvent directif, les savoirs apportés prêts à l’emploi complétés par des exercices d’application. On a l’impression « d’une visite des œuvres où on fait découvrir les monuments qui composent les maths » alors qu’utiliser la méthode de l’enquête, partir d’un problème pour montrer l’intérêt des mathématiques rendrait la discipline plus attractive. Cette difficulté est partagée par les enseignants de maths du monde entier avec des variations selon les pays comme le montre l’enquête PISA.
Florent Gbagnidi fait partie de la première promotion d’enseignants chercheurs en didactique des mathématiques béninoise. Il est venu à Carcassonne présenter sa recherche centrée sur la diificulté d’attirer les élèves du Bénin vers des études mathématiques. Trouver de nouvelles méthodes d’enseigner les mathématiques parait nécessaire. Or, les enseignants du secondaire ont une formation initiale assez sommaire en didactique. L’Etat vient de mettre en place une formation continue dans ce domaine pour les enseignants.
En France, l’injonction de faire évoluer les méthodes existe dans les programmes mais elle rencontre peu de traductions dans les pratiques. La faute sans doute à l’idée répandue que pour enseigner les maths, il suffit de bien les connaitre. La mastérisation réduit encore les opportunités d’acquérir des méthodes renforçant la motivation des élèves à apprendre les maths et facilitant la gestion de l’hétérogénéité au cœur de la classe.
Une question de langage
Favoriser la construction des savoirs passe aussi par une meilleure maîtrise du langage utilisé par l’enseignant ou plutôt tous les langages. En cours de mathématiques, la langue n’est pas seule à l’ouvrage. Graphiques, symboles, courbes sont aussi utilisés. Le second thème de l’école centré sur la place du langage questionne la difficulté d’utiliser les différents signes et s’intéresse aux pratiques langagières dans la classe. Chaque discipline possède son discours sa forme, dans le cas des mathématiques l’illusion de la transparence impose son empreinte. Or, dans la construction de l’apprentissage des maths, l’interprétation de la représentation graphique, par exemple, peut poser problème. Parallèlement, le langage constitue le moyen d’élaborer des idées, d’objectiver ce qu’on fait dans l’action. Il permet à l’élève de formaliser, de généraliser ce qu’il a réalisé ou observé. Il favorise une attitude réflexive, source de motivation pour l’apprenant. Par exemple, en géométrie, la simulation, le jeu qui demande à l’élève d’expliquer à un autre ce qu’il doit faire pour construire une figure permet de mieux objectiver.
Le thème du langage souligne la particularité et l’intérêt de la didactique pour faire évoluer les méthodes. La discipline s’applique aux mathématiques et se nourrit aussi des observations et de méthodes venues d’autres domaines comme la psychologie, la sociologie ou la linguistique. Elle permet de prendre du recul sur les pratiques quotidiennes et de proposer de nouvelles pistes. L’éclairage historique montre que certains problèmes d’apprentissage existent depuis toujours. C’est le cas par exemple des nombres irrationnels. La didactique des mathématiques s’intéresse en particulier à ces obstacles épistémologiques liés à des notions, des concepts et qu’on rencontre partout. Elle s’interroge notamment sur le parti à tirer des technologies tout en se méfiant du leurre qu’elles pourraient représenter. Parmi les méthodes utilisées par la discipline, la recherche collaborative a l’avantage d’associer des enseignants de terrain, de se nourrir des pratiques de classe. Dans ce domaine, le lien entre recherche et pratique est particulièrement important. On le retrouvait dans la formation des enseignants ancienne mouture avec une alternance entre stage en classe et cours à l’IUFM. La recherche collaborative supplée partiellement aux incidences de la masterisation sur l’enseignement de la didactique mais est trop coûteuse pour être généralisée.
L’école de didactique des mathématiques est une pionnière. Pendant une semaine, elle favorise échanges et nouveaux éclairages pour une discipline peu connue entre des enseignants chercheurs venus du monde entier puisque onze nationalités étaient représentées. Anne Cortella est venue en voisine. Enseignante chercheuse en mathématiques à l’Université de Montpellier, elle avait envie de s’immerger dans une discipline voisine de la sienne, qui creuse des questions qu’elle se pose en tant qu’enseignante. Elle a apprécié la convivialité et la richesse des échanges impossible à trouver dans un colloque consacré aux mathématiques, une discipline nourrie essentiellement de théories.
L’école de didactique de mathématiques a aujourd’hui des cousins et des cousines dans d’autres disciplines. EPS, français, langues, sciences physiques, la recherche en didactique se partage et se propage. Favoriser la construction des savoirs constitue un savoir en lui-même. La formation s’étiole mais le besoin se développe : le pont entre les chercheurs et les profs n’a jamais paru aussi nécessaire.
Le site de l’ARDM
http://www.ardm.eu/