Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs
Ce mois-ci, nous vous proposons :
– trois parcours de carrière : Eric Larcher, Anne de Reyniès, Betty Boillin,
– Eric Larcher, désormais à la retraite, vous permet de mieux connaître les métiers qu’il a exercés : coordonnateur des enseignements technologiques (dit « chef de travaux »), IA-IPR, DAFCO, DAFPIC, Responsable de Formation à l’ESEN. Son avis sur la mise en œuvre de la GRH au sein de l’Education nationale est intéressant, car il rejoint celui des rapports qui se succèdent dans ce domaine depuis 1998,
– Anne de Reyniès nous présente sa fonction de responsable de communication,
– Betty Boillin nous dresse au passage une analyse des secondes carrières réalisées avec les statuts de Réemploi, PACD et PALD au CNED.
Eric Larcher : un parcours professionnel diversifié au sein de l’Education nationale, au service de la pédagogie
Aide aux Profs a rencontré Eric Larcher lors du 31e Colloque de l’Association Française des Administrateurs de l’Education (AFAE : www.afae.fr ), qui était chargé d’animer la table ronde. Rapidement, un courant de sympathie s’est établi et Eric a accepté de témoigner de son parcours, mais aussi de rejoindre le réseau de personnes ressources que nous constituons au sein de la sphère éducative pour épauler les projets de mobilité des adhérents de l’association. Les composantes de ce réseau sont indiqués progressivement dans la rubrique « nos référents » sur le site de l’association.
Quel a été son parcours professionnel ?
Professeur de mécanique et construction dans l’académie de Créteil de 1972 à 1974, Eric Larcher devient formateur de sous-officier du domaine technique l’année suivante durant son service national. Professeur de la seconde au STS en lycée à Saintes (17) de 1975 à 1987, avec de plus en plus de missions académiques et locales, il devient coordonnateur des enseignements technologiques (fonction communément désignée par chef de travaux) au Lycée Pilote Innovant (LPI), au Futuroscope de 1987 à 1991. Il évolue vers l’inspection pédagogique régionale à Reims puis à Poitiers de 1991 à 1996, avant de devenir conseiller technique de recteur : DAFCO à Reims de 1996 à 1999, DAFPIC à Poitiers de 1999 à 2006. Enfin, il termine cette riche carrière comme responsable de formation à l’ESEN jusqu’à sa retraite début octobre 2008.
Quelles compétences vous ont apporté vos différentes fonctions ?
– des facultés d’anticipation, pour prévoir les besoins, prévenir les difficultés,
– une vision sur les questions d’organisation, d’évaluation, d’ouverture vers les partenaires,
– une expertise sur les filières d’enseignement, les parcours de formation jusqu’à l’insertion.
Betty Boillin, 51 ans, des Beaux-Arts à l’enseignement à distance au service de la 31e académie
Quel a été votre parcours professionnel ?
« En 1976, j’arrête mes études en Terminale pour entrer aux Beaux-Arts de Caen, où je poursuis des études, synonyme de la passion qui m’anime pour la gravure et le graphisme, jusqu’en 1979. Pour des raisons financières, je dois stopper ce cursus et réalise un stage professionnel de comptabilité à l’IUT de Caen en 1979-1980. En 1980-81, je poursuis ma quête professionnelle avec une formation de peintre en bâtiment via l’ANPE, dans le cadre d’un stage « BARRE », en pose de vitres et en peinture, mais ça ne me satisfait pas encore.
En 1981, je contacte la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris et réalise une formation de technicienne en sérigraphie et en imprimerie en 1982. Grâce à cela, je trouve du travail à Nîmes puis à Aix-en-provence dans plusieurs PME, jusqu’en 1984.
Ayant le goût du renouveau, de la diversité, j’ai ensuite cherché autre chose, pour fuir la routine, en réussissant le concours de préposée PTT en 1984 grâce aux cours du CNED. Cependant, affectée à Paris, une ville où il ne me plaît guère de vivre par rapport au charme de Nîmes ou d’Aix-en-Provence, je démissionne après quelques mois.
Je poursuis mon chemin en réalisant différents travaux : serveuse, vendangeuse…j’ai alors 27 ans, avec le besoin de me poser quelque part professionnellement.
Grâce aux cours du CNED, je prépare et réussis le Bac Arts Plastiques en 1986 avec mention, puis enchaîne un cursus à l’université de Caen : DEUG, en 1986-88, Licence en 1989. Je prépare puis obtiens le CAPES d’Histoire en 1991 et suit les enseignements de l’IUFM de Rouen.
Affectée en 1991-92 à Bernay au Lycée Fresnel, puis en collège à La Saussaye et à Guy Môquet au Havre entre 1992 et 1995, le contact avec les élèves ne correspond pas pleinement à mes aspirations, car les meilleures conditions pour enseigner ne sont pas réunies, et je prends une année de disponibilité en 1995-96, c’est alors que je suis contactée par EDUCATEL pour rédiger des cours en histoire géographie de la Seconde à la Terminale. Ayant eu quelques soucis de santé entre 1994 et 1996, je demande d’être placée sur un poste en réadaptation que j’obtiens en 1996 au CNED. J’y réalise dans un premier temps chez moi des travaux de correction pour le plus grand collège de France qui est piloté par l’institut de Rouen du CNED, près de 20 000 élèves à distance.
En 1999, la directrice de l’institut, Madame Claude Linskens, me propose de travailler à mi-temps comme professeur principal sur site, et j’accepte : cela fonctionne très bien, et en 2000, ma réadaptation est transformée en réemploi.
Je suis ainsi devenue personnel du CNED. Je suis rattachée au pôle d’histoire-géographie pour lequel je réalise régulièrement du tutorat électronique, de la relecture et de la conception de séquences de cours. Je m’occupe aussi de la correction en ligne des copies du B2i, et de la correction électronique de copies en ligne, et c’est un ensemble de tâches qui m’intéresse beaucoup.
Durant les années 2000-2003, j’ai pu réaliser plusieurs stages pour accroître ma professionnalisation : Word, Excel, Acrobat. Cependant, depuis 2003, le CNED ne me propose plus aucun stage, alors que je pense avoir développé une expérience suffisamment riche et diversifiée qui pourrait être optimisée par la structure en réalisant de nouveaux stages pour continuer à diversifier mes champs de compétence. »
En quoi consistent vos activités actuelles ?
« Je suis professeur principal sur site des Classes Adaptées appelées aussi CAD. Elles concernent des enfants malades et handicapés. Outre un aménagement du rythme scolaire, et la possibilité de bénéficier d’un répétiteur à domicile rémunéré par lui, le Cned fournit aux élèves des devoirs adaptés qui permettent l’évaluation des mêmes connaissances qu’en classe indifférenciée, tout en limitant les manipulations et les travaux d’écriture. Ces devoirs sont élaborés avec la collaboration de tous les enseignants très concernés par cette question, et proposent deux supports possibles, selon le degré de handicap, dans chaque classe collège. Fournis sur support papier actuellement, ces exercices sont facilement transposables sur support informatique, et favoriseraient alors l’accès au savoir des personnes à mobilité réduite, à l’instigation de la loi sur le handicap de février 2005.
En histoire, géographie et éducation civique, j’épaule le responsable de formation du pôle disciplinaire, en concevant ponctuellement mais régulièrement des séquences de cours, des devoirs et leurs corrigés, des brevets blancs, des cours pour l’enseignement adapté aux enfants du voyage, puisque le CNED possède aussi un pôle d’enseignement en ce domaine. J’ai aussi participé à la mise en place du B2i et je souhaite réaliser des exercices interactifs pour les élèves. »
Quelles compétences avez-vous développées durant votre carrière ?
« Je suis toujours enseignante. Quand j’étais en présence des élèves, je dirigeais des projets éducatifs, je mettais en œuvre des sorties pédagogiques en histoire de l’Art. Depuis que je travaille au CNED, j’ai acquis des compétences en TICE, incontestablement, que j’aimerais développer. »
Anne de Reyniès, du professorat des écoles à une seconde carrière de responsable de communication
En quoi consiste votre parcours professionnel ?
« Après une licence de Biochimie et génétique à Orsay (Essonne), j’ai passé le CRPE en 1994, puis j’ai enseigné 7 ans de la petite section au CM1. J’ai ensuite voulu reprendre des études, et j’ai demandé une disponibilité qui m’a d’abord été refusée. J’ai alors menacé de démissionner et 2 jours après on m’a accordé ce que je demandais, et cela a été effectif deux semaines plus tard. Pour anticiper, j’avais mis de l’argent de côté et mes parents m’ont aussi beaucoup aidée. L’année suivante, j’ai voulu prolonger la disponibilité, mais j’ai essuyé un nouveau refus, et j’ai alors démissionné, car je venais d’être admise au DESS de journalisme à Paris VII. J’ai cherché du travail via mon réseau de connaissances et d’amis scientifiques, et j’ai pigé pour Inserm Actualités. Ensuite, j’ai travaillé pour l’ADEME en free-lance. Enfin, j’ai obtenu un poste de responsable de communication à la Délégation Régionale Paris 11 de l’Inserm en 2007. »
Quelles compétences aviez-vous développées comme enseignante ?
« L’envie de communiquer, de faire passer un message et de réfléchir avant tout en fonction de la cible visée. Selon les personnes, le moyen d’y parvenir est différent, on ne réagit pas tous de la même façon. En savoir-être, j’ai acquis des qualités humaines comme l’écoute des gens, de leurs besoins, un bon relationnel dans le travail en équipe, et avec différents partenaires. Le métier d’enseignant m’a permis de mûrir, de m’adapter rapidement à l’imprévu, de stimuler ma créativité. »
Cette reconversion, ce fut le « grand saut » ?
« C’est un projet longuement mûri. J’ai toujours eu l’idée de reprendre mes études un jour et j’ai saisi ma chance dès que ça a été possible matériellement. Quand j’ai voulu m’inscrire en maîtrise de Biologie pour reprendre mes études, la Faculté a d’abord tenté de me décourager, en me disant que c’était trop difficile. Mais j’y suis arrivée! Se lancer dans les métiers de la communication et du journalisme, c’est un saut dans l’inconnu, de l’incertitude, car ce n’est pas facile de s’y faire une place. Il faut être très motivé. J’ai toujours été soutenue par mon entourage, j’étais déterminée à changer de voie. Je n’ai mis qu’une semaine pour décider de démissionner. »
Aujourd’hui, comment le ressentez-vous après cinq ans ?
« Je suis ravie d’avoir changé de voie, j’adore mon métier qui est fait de rencontres et de projets nouveaux à chaque fois! Ca n’est pas forcément facile de passer du fonctionnariat au travail free-lance ou à la pige au début mais cela donne aussi un grand dynamisme. Aujourd’hui, je cherche encore à évoluer. J’aimerais travailler dans une agence de communication, pour un site web orienté santé, ou dans un journal interne, dans un milieu stimulant où j’aurais des perspectives d’évolution. Je n’envisage pas d’être à nouveau fonctionnaire.
Quand on décide de démissionner après avoir été fonctionnaire, on n’a pas droit aux allocations chômage, car on n’a pas cotisé aux ASSEDIC en fait. On ne touche rien de l’ANPE (devenue le Pôle Emploi). Il faut maintenant travailler au moins 3 à 4 mois avant de pouvoir être indemnisé, et encore, pas très longtemps. Il faut se préparer à cela, être soutenu par son entourage dans cette démarche, avoir les reins solides sur le plan financier. »
Aide aux Profs rappelle à ce sujet qu’en 2008 un décret a institué une Indemnité Volontaire de Départ pour les fonctionnaires :
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000018663838
Si les ministères à faible effectif ont réalisé la circulaire d’application du décret, il semble que ce soit plus complexe au niveau de l’Education nationale : quand paraîtront les circulaires qui permettront à ceux qui le souhaitent de bénéficier de ce pécule pour créer leur entreprise ou entreprendre une formation pour rebondir ailleurs ? Une partie de nos contacts s’en inquiète, car leurs courriers auprès de leurs différentes académies restent lettre morte.
Quelles secondes carrières pour les enseignants en Postes à courte durée (PACD) et en postes à longue durée (PALD) ?
Les postes en PACD et PALD ne sont pas suffisamment nombreux pour satisfaire tous les besoins des enseignants qui, pour des problèmes de santé d’ordre physique ou psychologique, ne peuvent continuer à exercer leur métier dans de bonnes conditions.
Betty Boillin, « spécialiste » de cette question puisqu’elle est elle-même en réemploi (ce statut permettant une affectation définitive au CNED, demeure pour les personnels nommés par arrêté ministériel avant octobre 2006, mais n’est plus attribué depuis 2007, les Postes Aménagés de Courte Durée et de Longue Durée se substituant aux dispositifs antérieurs (cf décrets n°2007-632 et 2007-633 du 27 avril 2007), nous en parle :
« Non seulement le nombre d’emplois en PACD/PALD est clairement insuffisant, mais il y a depuis quelques années dans la Fonction Publique de l’Etat une diminution de ce type d’emplois, alors qu’il y a une demande, en augmentation d’enseignants qui en auraient besoin. En 2009, 13 500 emplois d’enseignants vont être supprimés par le Ministère de l’Education Nationale, c’est dramatique et déplorable pour de nombreux collègues, qui auraient bien besoin d’un poste aménagé au CNED ou dans une autre structure. En poste adapté de courte durée, le lieu d’exercice peut être au sein de l’éducation nationale ou auprès d’un établissement public administratif sous tutelle du ministre. Le lieu d’exercice peut également être dans une structure hors Education nationale, autre administration ou Fonction Publique. En poste adapté de longue durée, le lieu d’exercice des fonctions doit obligatoirement se situer au sein des services et établissements (dont les EPA) relevant de l’Education nationale. Les affectations au CNED en PACD et PALD sont réservées aux personnels atteints d’une affection chronique invalidante comportant des séquelles définitives, dont l’évolution est stabilisée, mais les rendant inaptes à un retour vers un enseignement devant élèves ou une reconversion.
Actuellement, les demandes des enseignants qui ont besoin d’un poste aménagé sont insuffisamment satisfaites. En dehors de ces issues, il demeure les congés de longue maladie (CLM), les congés de longue durée (CLD), les disponibilités d’office (l’enseignant est alors exclu de son poste et non rémunéré), les retraites anticipées, qui ne permettent pas le maintien en activité des personnes qui ont donné des années voire des décennies de patience pour mener des élèves vers leur réussite professionnelle. Il est important que le ministère de l’Education nationale ait un peu plus de reconnaissance pour les personnels qui accomplissent leurs missions de service public avec célérité, bien qu’ils connaissent des difficultés de santé.
Au CNED, les professeurs en PACD et PALD sont correcteurs ou tuteurs (1300 professeurs à domicile ) dans leur discipline d’enseignement. Selon leur expérience et leur connaissance des TICE, ils peuvent eux aussi réaliser des conceptions de cours, des séquences audio-visuelles. Certains sont professeurs coordinateurs, d’autres professeurs principaux. Après un poste en PACD, il y a parfois la possibilité d’obtenir un poste aménagé de longue durée (PALD) mais il n’est pas nécessaire d’avoir bénéficié d’une affectation en courte durée pour bénéficier d’un PALD, ou une mise à disposition, si l’enseignant a su développer des compétences essentielles au bon fonctionnement de l’institut. La toute récente intégration du CNED dans la 31e Académie en ligne ouvre de grandes perspectives d’évolution des fonctions des professeurs en matière de TICE.
Après leur affectation en PACD au CNED, les professeurs jugés aptes à réenseigner par les rectorats sont affectés sur des postes face aux élèves, à temps complet. Tous ne le supportent pas, car cette réintégration est parfois trop rapide, trop brutale. Avant 2007, il était possible de réaliser un mi-temps au CNED et un mi-temps en présentiel, et les enseignants appréciaient beaucoup ce système, mais maintenant cela a été supprimé et c’est dommage : pourquoi supprimer ce qui donnait satisfaction et correspondait aux besoins des personnels ? Il faudrait revenir à une formule analogue à celle du réemploi. »
Pour en savoir plus sur tous les métiers du CNED et leurs effectifs, vous pouvez consulter en ligne le mémoire de Master professionnel d’ingénierie et de conseil en formation réalisé en 2006 par Catherine TERSEUR : « le détachement au CNED : une seconde carrière ? » : http://www.univ-rouen.fr/civiic/index.php?id=74
Dans le n°99 du Café, Françoise Boissou avait évoqué les différents champs d’activité du CNED :
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2009/99_FrancoiseBoissou.aspx
Que signifie être «responsable de communication » ?
Anne de Reyniès nous décrit les fonctions qu’elle occupe depuis deux ans :
« L’INSERM est découpée en 13 régions administratives, et je suis responsable de la communication de l’une de ces régions.
J’ai en charge la communication interne, externe et institutionnelle. Je définis la stratégie de communication régionale que je mets en oeuvre. La formation de journaliste que m’a procurée le DESS a été très utile pour réussir dans ce métier. Il faut savoir écrire, être organisé, disposer d’une vision stratégique de la communication, savoir définir les besoins, trouver des actions de communication adaptées, organiser des évènements, établir et coordonner un réseau d’intervenants. C’est un métier très diversifié et enrichissant sur le plan humain. »
En quoi consiste la fonction de « coordonnateur des enseignements technologiques » (dit aussi « chef de travaux ») ?
Témoignage d’Eric Larcher : « J’ai exercé cette fonction entre mes 39 et 43 ans. Chef de travaux, c’est l’appellation administrative. En fait, on n’est pas chef, on pilote seulement des activités pédagogiques. Un IA-IPR m’avait sollicité et j’ai accepté. Cette fonction est apparentée au corps enseignant. Au ministère de l’Agriculture elle existe aussi, avec le grade d’ingénieur agricole. Dans l’Education nationale, elle existe dans tousles lycées technologiques industriels, dans les lycées tertiaires et les sections de biotechnologie.
C’est une fonction de coordination et d’animation de l’équipe pédagogique, incluant un développement des partenariats économiques avec les établissements du secteur.
Il s’agit d’organiser les diverses activités pédagogiques, les séquences de cours, l’utilisation des moyens et des ressources. Le coordonnateur porte les projets, stimule les équipes. Au lieu de laisser chaque enseignant dans son coin, sans cohérence pour l’apprenant, il est chargé de faciliter l’interdisciplinarité sur des projets communs.
Concrètement, on n’enseigne plus, mais cette fonction exige une grande disponibilité : je commençais vers 8h et terminais mes journées vers 21h-22h tellement cela me plaisait. Tous les mardis soirs se tenait une réunion pédagogique par filière et par niveau.
Je n’aime pas l’expression « chef de travaux », car cela monte parfois à la tête de ceux qui occupent ces fonctions, telle une « drogue du pouvoir », ce qui rejaillit bien entendu sur l’atmosphère de travail qui peut exister à ce moment là avec les collègues.
Après avoir occupé les fonctions de « coordonnateur des enseignements technologiques », peu d’enseignants reviennent devant élèves. Beaucoup deviennent proviseur de lycée, car ces fonctions leur ont mis le « pied à l’étrier », comme une seconde carrière temporaire, intermédiaire.
Lorsque j’ai occupé cette fonction, deux entreprises ont voulu mé débaucher, mais je n’ai pas été attiré par ces sirènes du privé, car il n’y avait pas de possibilités de promotion de carrière bien visibles.
Le quotidien est composé à 75% par la gestion matérielle. 10 à 15% seulement des chefs de travaux sont réellement des coordonnateurs-animateurs. »
Etre IA-IPR : missions, responsabilités, promotions
Témoignage d’Eric Larcher : « Le concours d’IA-IPR, c’est un concours un peu « bidon », car tout est déjà joué d’avance, puisqu’il faut avoir été en amont repéré par un IA-IPR qui vous propose de rejoindre ce corps. On m’a sollicité et je me suis donc présenté. Comme ma première affectation ne m’a pas plu, je l’ai refusée, ce qui a surpris le rectorat.
L’année d’après, le recteur m’a proposé trois options et j’ai choisi une région que je connais bien : Reims. Ce choix m’a évité de perdre beaucoup de temps dans les déplacements, puisque, avant l’époque du GPS, l’IA-IPR utilise la carte Michelin…car le rectorat ne songe même pas à lui fournir un plan de situation des établissements où il doit se rendre pour ses évaluations d’enseignants.
La fonction d’IA-IPR est très intéressante, car elle touche à la chose pédagogique, et permet d’apprécier de quelle manière est conduite la pédagogie dans les différents niveaux d’enseignement. En général, je réalisais 5 inspections quotidiennes, et mon horaire s’étendait de 8h à 19h en moyenne. Chaque année, j’ai réalisé de 100 à 110 inspections, alors que la moyenne dans le domaine technologique est de 50 à 60. Je prenais des notes sur mon portable pour aller plus vite, et je prenais aussi des photos de mise en situations pédagogiques pour mieux rédiger mes rapports.
Pour l’enseignant, l’inspection est signe de promotion potentielle. L’IA-IPR, pour établir sa note, se forge une opinion sur la valeur pédagogique de l’enseignant à partir de ce qu’il constate :
– le caractère novateur de ses rapports avec les élèves,
– la diversité de ses activités,
– la qualité relationnelle avec les élèves.
On fait une proposition de note. La note pédagogique est sur 60 points, et la note administrative sur 40 points.
Cette dernière n’a pas beaucoup de poids dans la progression d’un échelon à l’autre, puisque la fourchette est très étroite entre le début et la fin de carrière : personne ne démarre à 0. La note de départ est de 32 environ, et à partir du 6e échelon, il n’est pas rare d’être déjà à 38, ce qui n’a que peu d’incidences sur la progression de carrière ensuite.
Pour ce qui est de la note pédagogique, celle que nous attribuons est ensuite moyennée par le rectorat, encadrée strictement dans des fourchettes liées aux échelons. On s’arrange pour que le dernier échelon soit atteint juste avant la retraite.
Je regrette qu’il soit si difficile de faire prendre en compte, dans ces fonctions d’évaluation, la valeur professionnelle de l’enseignant, afin de valoriser son investissement pédagogique dans des projets par exemple. J’ai toujours eu des difficultés pour ma part, même pour de très bons enseignants, à leur obtenir des HSE pour faciliter leurs projets.
Pour valoriser les bons profs, sur le plan budgétaire, c’est le dénuement complet : il n’y a pas de budget, pas de moyens. Alors, à quoi bon faire des inspections si l’on n’a pas de moyens à donner ensuite ?
Un IA-IPR peut ensuite accéder – c’est dans un décret de 1990 – à des fonctions tout aussi passionnantes : devenir conseiller de recteur en occupant l’une de ces fonctions :
– Délégué Académique à la Formation Continue (DAFCO),
– Délégué Académique à l’Enseignement Technique (DAET),
– Chef du Service Académique à l’Indormation et l’Orientation (CSAIO),
– Directeur de Centre Régional de Documentation Pédagogique (CRDP).
J’ai pour ma part répondu à Reims à un appel à candidatures paru sur le site Evidens.
Etre conseiller de recteur est important, car le Recteur est un universitaire et très peu connaissent les spécificités de l’enseignement secondaire, et encore moins du Primaire. Leur représentation est fort éloignée du terrain. Un recteur ne reçoit pas de formation quand il est affecté, il est censé être opérationnel immédiatement, et il va donc se reposer sur une équipe qui connaît le terrain. Le recteur est assisté par un directeur de cabinet (le « Dircab ») qui est son contact avec le monde extérieur et filtre ses rendez-vous.
Lorsque l’on est conseiller de recteur, on explique d’abord les difficultés qu’il peut y avoir dans l’académie, les réussites aussi, on prépare les visites du recteur pour rencontrer ici et là des équipes pédagogiques, on suggère aussi, par des notes de synthèse, des améliorations.
Cette fonction m’a beaucoup plu, car j’étais autonome et je n’avais qu’un seul patron.
J’ai regretté qu’entre le DAFCO et le DAFPIC (Délégué Académique à la Formation Professionnelle Individuelle et Continue) il existe si peu de concertation. L’offre de formation dans une académie est loin d’être un continuum : tout est segmenté, les conseillers techniques travaillent un peu trop souvent chacun de leur côté, sans concertation entre les différents services.
J’ai été DAFCO à Reims, puis DAFPIC à Poitiers, au total, 10 années. J’ai eu à recruter des conseillers en formation continue (CFC). Chaque académie dispose de 25 à 60 postes de CFC, et quelques postes sont à pourvoir chaque année dans le cadre du turn-over. La fonction de CFC est assez épuisante, très exigeante, et peu y font carrière. Ce sont des postes d’enseignants, avec 10 semaines de congés par an –on est parfois obligé de repousser sa prise de congés tellement le travail est important – et une prime de 6560 euros par an. Beaucoup de CFC deviennent chefs d’établissements : en cela, cette fonction de CFC est un bon tremplin vers une seconde carrière de cadre administratif et pédagogique. Ceux qui ont été CFC avant de venir chefs d’établissement réussissent très bien dans leurs nouvelles fonctions.
Je pense qu’il serait intéressant de fusionner les fonctions de chef de travaux et de CFC, pour les appeler « conseiller en formation », étape nécessaire pour devenir chef d’établissement, plutôt que d’y accéder directement par un concours interne.
En quoi consiste une seconde carrière de Responsable de Formations à l’ESEN ?
Eric Larcher a occupé cette fonction et nous en évoque ses principaux attraits : « Il s’agit d’œuvrer dans le champ de la formation permanente des chefs d’établissements, des inspecteurs, et des cadres A de l’administration. Il y a une problématique d’actualisation et d’anticipation, en proposant des formations pour appréhender les différentes facettes du métier auxquels ils se préparent pour un plus ou moins grand nombre d’années. J’ai eu à concevoir les trames des formations, à recruter les différents intervenants. »
La GRH à l’épreuve des ans dans l’Education nationale, à travers le regard sans concessions d’un haut fonctionnaire retraité.
Eric Larcher a accepté de nous exposer sa vision du fonctionnement actuel de la GRH, liée à sa longue expérience : « Cela ne fonctionne pas du tout, on ne sait pas concevoir des recrutements professionnels. Recruter un cadre A dans la Fonction Publique de l’Etat pour 15 à 20 ans voire plus ne s’improvise pas, un concours interne ne suffit pas. Cela suppose un plus grand investissement au moment du recrutement : il faut faire attention, mettre en place des moyens suffisants pour recruter les bonnes personnes, prévenir d’éventuelles difficultés.
J’ai toujours eu le sentiment que l’on recrute sans précautions. Un chef d’établissement doit être capable de gérer une équipe, de mener des relations humaines de qualité, de porter des projets, de gérer les conflits avec intelligence, de supporter le stress lié à sa fonction, et le concours actuel n’est vraiment pas adapté.
Je pense qu’il est indispensable, au niveau académique, de mettre en place une petite équipe de conseillers en mobilité carrière qui réaliseraient des mini-bilans de compétences. Actuellement, les cellules dites de « seconde carrière » ne remplissent pas ce rôle. C’est pourtant un mode de fonctionnement accessible, une question de volonté.
Il faut vraiment réformer les processus de recrutement, se doter de processus professionnels, avec une partie des épreuves consacrée aux connaissances académiques et une deuxième partie consacrée au positionnement de l’individu dans le système éducatif et par rapport à la fonction à laquelle il postule, afin de vérifier que ce qu’il imagine correspond bien à la réalité du terrain.
Je suis partisan d’externaliser ce recrutement : des cabinets spécialisés, des associations indépendantes des académies pourraient s’en occuper.
Eric propose également de mieux évaluer les enseignants, sous la forme d’un rapport d’activité à réaliser chaque année, avec un entretien professionnel avec le chef d’établissement. Cette déconcentration de la GRH, déléguée aux chefs d’établissements, dès lors qu’ils auraient été formés en amont à cette évolution, permettrait de mieux prendre en compte l’investissement de chacun, de mieux valoriser les parcours de carrière, de transformer le mode d’évaluation des enseignants qui perdure et ne donne pas satisfaction actuellement.
L’expérience prouve que la performance des individus est meilleure quand la responsabilité est déconcentrée. Ainsi, le plan de formation des individus peut-il être décidé et mis en œuvre au niveau local, celui de l’établissement, puisque le chef d’établissement dispose d’un certain degré de latitude pour affecter des heures ici et là à des projets précis. »
Aide aux Profs, ils en pensent quoi ?
Eric Larcher : « J’en ai appris l’existence par une dépêche de l’AEF en septembre 2007. C’est important de préparer les sorties, les devenirs, alors que la GRH dans l’Education nationale ne remplit pas son rôle depuis des décennies.
La formation, par exemple, est sous-utilisée dans l’Education nationale. Même le DIF auquel ont droit les fonctionnaires depuis 2007 est mal pris en compte, avec une mauvaise information des personnels sur leurs droits.
Je pense que cette association devrait prendre une importance telle qu’elle sera capable de mettre en place des appuis régionaux toniques pour accentuer son action sur le terrain. Je pense qu’il faut un peu bousculer l’Education nationale dans le domaine des secondes carrières, pour alimenter la réflexion collective, montrer ce qu’il est possible de réaliser. Pour ma part, je serais très heureux de devenir l’un des correspondants locaux de votre association. »
Comme de nombreux cadres de l’Education nationale, en activité ou jeune retraité, Eric Larcher a rejoint notre réseau de correspondants locaux. Si vous avez-vous aussi occupé des fonctions administratives dans l’Education nationale, ou avez réalisé une mobilité hors enseignement, et que notre projet vous sensibilise, vous pouvez écrire à l’association par voie postale ou en prenant contact sur le site. Ainsi, vous contribuerez à épauler le projet de mobilité professionnelle (hors mutation classique) des adhérents.
Anne de Reyniès : « C’est très utile et important. J’ai eu le sentiment dans ma courte carrière de rencontrer plusieurs professeurs malheureux de faire ce métier d’enseignant. Beaucoup n’avaient plus le courage d’en partir. Etait-ce de la peur ? Du dépit ? Quand on s’est installé dans le confort d’un mode de fonctionnement, cela devient difficile d’en sortir. J’ai connu toutes sortes de classes, faciles, difficiles, des enfants agités avec différents problèmes, et je crois qu’il faut beaucoup d’énergie et de motivation aujourd’hui pour réaliser une carrière de 40 années comme professeur. J’ai beaucoup d’admiration pour ceux qui tiennent le coup avec bonheur, engagement et plaisir dans les établissements difficiles. Mais il faut absolument aider ceux qui veulent faire autre chose! C’est aussi important pour eux que pour leurs élèves… »
Betty Boillin : « Ce dispositif associatif part d’une bonne intention. Cela doit être intéressant à mettre en place mais pas facile à alimenter, à renouveler.»
S’agissant de cette dernière réponse, Aide aux Profs tient à souligner que le nombre de projets professionnels à accompagner a doublé cette année, puisque la fréquentation quotidienne a elle aussi doublé en moyenne sur les 9 derniers mois. Jusqu’en 2007, les enseignants ne repéraient l’association que sur le web. En 2008, près de 20% d’entre eux a connu l’association en salle des profs, par le bouche-à-oreille, entre collègues. Nous ne sommes donc pas du tout inquiets sur le potentiel à venir de l’association, appelée à augmenter d’année en année le nombre de ses adhérents.