Faut-il croire ce que je dis, ou ce que je fais ? Après une journée de convention, les militants UMP ont entendu ce qu’ils voulaient entendre : » N’ayons plus aucun complexe pour occuper le terrain de l’éducation » et sus aux pédagos ! En fin de journée, Nicolas Sarkozy a tracé les pistes de l’Ecole d’après 2007, s’il est élu. Avec un discours appuyé en direction des enseignants : » N’ayeeeeez pas peur ! »
Il y avait de la schizophrénie dans l’air, à la « Convention pour la France d’après » organisée par l’UMP le 22 février à Paris, sur le thème de l’Education. « Le temps du système éducatif n’est pas celui du jeu politico-médiatique » affirmait d’entrée Gilles De Robien, ministre UDF salué par la salle qui pensait déjà aux échéances de 2007.
Noble affirmation, aussitôt démentie par une déclaration fracassante : « Il faut rompre avec le pédagogisme à tout crin, qui laisse croire que l’élève doit construire les savoirs, que le professeur est l’égal de l’élève. Les instituteurs ne se satisfont pas de cet état de fait, comme l’indiquent les jeunes enseignants qui sortent de l’IUFM. Il faut rendre aux enseignants les moyens de rétablir l’ordre, s’il le faut en faisant intervenir la police : chacun son travail !« .
Au-delà de l’assistance acquise à la cause, le propos était évidemment de s’adresser aux enseignants : « Il faut avoir le courage de dépasser la pensée 68(…) Depuis 20 ans, les professeurs sont soumis à rude épreuve, on a déconsidéré l’apprentissage (…) La société demande toujours plus aux enseignants. Ils ne sont pas des assistantes sociales« .
Marc Le Bris à la convention de l’UMP – Photo Café pédagogique. |
La présence à la tribune de présumés « experts du terrain« , comme Marc Le Bris ou Isabel Weiss était là pour en attester, en signifiant la volonté de ré-instituer les enseignants dans leur noble mission, pour « construire la cohésion nationale par les apprentissages« . Marc le Bris se tailla une ovation en demandant « de l’aide » pour que les orientations de M. De Robien soient bien appliquées dès la rentrée : « en effet, quand on sait qu’une seule méthode est conforme à la circulaire Robien (Léo & Léa, ndlr), et que tous les cadres ont été formatés par les méthodes globales des années 70, qui viendra vérifier que les enseignants appliquent bien la circulaire ?«
Mme Weiss, professeur de philosophie, enchaîna en décriant le « cynisme » des instituteurs pour qui « il vaut mieux faire des sorties que leur apprendre à lire des textes simples« , handicapant ainsi volontairement leurs élèves pour toute leur vie d’éléments fondamentaux « accessibles à tous, dont il est scandaleux de les priver« . Elle insista sur le caractère non-négociable du respect de l’enseignant, de l’ordre et du calme qui doit régner dans la classe, condition préalable de l’enseignement.
On atteignit des sommets avec la présentation d’un manuel d’économie (qui n’eut pas l’honneur d’être cité), selon lequel l’enseignement de l’économie était uniquement présenté à charge contre le marché, la droite et le libéralisme, amenant les vociférations de la salle s’exclamant « où est la République ? » ou « que fait le gouvernement pour attaquer les éditeurs ?«
Le choc vient toujours de l’étranger
« Les choses ne sont pas si mauvaises en France » expliqua alors en anglais Andreas Schleicher, au nom de l’OCDE, organisme peu soupçonnable de pensée soixante-huitarde. Contrairement à ce qui avait été doctement asséné plus tôt, il expliqua qu’il était urgent de ne pas imposer aux enseignants ce qu’ils doivent enseigner, et comment ils doivent l’enseigner. « On doit renforcer la coopération entre les enseignants, pour qu’ils comprennent les forces et les faiblesses de l’établissement où ils travaillent. Il faut aussi investir dans le réseau de soutien et la formation continue enseignants« . Il vanta la décentralisation, pourvu qu’elle soit assortie d’une norme nationale, et d’un travail national sur l’évaluation. « Les systèmes scolaires qui réussissent ne passent pas par la simple répétition. Encore faut-il individualiser, trouver des manières de responsabiliser les apprenants pour leur faire sentir qu’ils existent comme individu et non uniquement comme classe. Les défis posés à l’école iront croissants, et ce que nous avons du mal à réaliser aujourd’hui sera encore plus difficile demain, étant donnée l’expansion continuelle des besoins de qualification dans les sociétés industrielles.«
Illustrant le propos, Kristina Kaihari-Salminen, conseillère au National board of education de Finlande, décrivit ce qui, d’après elle, fait la réussite du système finlandais : aucune sélection, proximité du domicile, scolarité unique de neuf ans, beaucoup de soutien, pas de redoublement, pas de classement. Et pour les enseignants : large autonomie, recrutement local, formation sur 5 ans, liberté des méthodes, travail collectif, « social-constructivisme » en pédagogie, évaluation permanente, feed-back-positif des élèves,
Son collègue anglais, Alan Wells, insista sur la loi, dans un univers très libéral, demande désormais de se conformer à des objectifs de performance nationaux, dans une approche très centralisée. Si des améliorations sensibles ont été constatées, 20% d’élèves sont toujours en grande difficulté, eux-mêmes enfants de parents qui ont été en difficultés. Il mit en garde cependant « les inspections répétées qui produisent des tableaux de performance des écoles contre-productifs, dans une atmosphère de dénonciation publique qui n’est pas bonne.«
La salle mesura-t-elle alors le grand écart entre ces exemples internationaux et la volonté de « rompre avec le pédagogisme » affichée par ceux qu’elle avait entendu précédemment ? Certains, sans aucune doute.
« Comment sauver ce que l’Education a abandonné ? »
Ne s’y trompant pas, elle, Marie-Christine Bellosta, responsable de la Fondation pour l’Innovation Politique, fustigea l’expert de l’OCDE et ramena au premier plan la nécessité de « changer de méthodes d’enseignement » qui empêchent de « diffuser le savoir en laissant de côté les enfants les plus défavorisés« .
Elle réclama des « mesures techniques qui feront grincer les dents » : la suppression des épreuves didactiques aux concours de recrutement, « l’évaluation des élèves en fin d’année pour qu’on puisse évaluer la performance individuelle des enseignants« , la réécriture des programmes en incluant le socle commun à la fin du primaire, prenant soin de préciser qu’il ne devait pas être un viatique automatique pour l’entrée dans l’enseignement secondaire.
Xavier Darcos, ex-ministre, abonda : « Le constat est unanime, la théologie de l’Education recule devant les constats objectifs. Les parents ne sont plus dupes, ils n’acceptent plus qu’on impose à toute force les méthodes des bureaucrates. La réforme est donc possible si on accepte l’évidence : l’Ecole est inégalitaire, et plus elle s’enferme dans le constructivisme, plus elle est inégalitaire pour les enfants des milieux défavorisés qui ne peuvent pas avoir les compétences nécessaires. C’est la transmission du savoir qui est le seul moyen d’apprendre« . Mais sans ambages, il enchaîna immédiatement : « les établissements qui réussissent sont ceux qui ne lisent jamais le BO, qui innovent, qui bricolent, qui inventent leurs méthodes… Laissons les établissements fonctionner… Soyons concrets, pragmatiques : lorsque ça se passe bien dans une classe, qu’on veuille bien la laisser tranquille« .
« Et alors vint Sarkozy… »
Toute la journée, Nicolas par ci, Nicolas par là, les orateurs, ministres ou ex-ministres compris, avaient pris soin de s’inscrire dans le fil de l’intervention conclusive de la journée. Pourtant, comme il l’avait fait le matin dans le Figaro, le Président de l’UMP répéta son souhait de s’éloigner de ceux qui « entendent s’emparer des querelles sur les méthodes pédagogiques pour en faire des instruments au discrédit de l’école« . C’était pourtant ce qu’on avait entendu toute la journée… Nicolas Sarkozy poursuivit, précisant « qu’aucune circulaire au monde ne peut remplacer les 10 ans d’expérience d’une maîtresse qui apprend à lire« . Evanouis les pédagogos parcourant la campagne. Sa conclusion fut du même tonneau : « depuis des années, l’école s’entend dire qu’elle n’est pas capable de transmettre les savoirs complexes, qu’elle laisse trop d’enfants en situation d’échecs, qu’elle ne sait pas s’ouvrir, que les enseignants sont trop nombreux et pas assez travailleurs. C’est une injustice. L’école n’attend en réalité qu’une seule chose : qu’on lui dise ce qu’on attend d’elle, et qu’on lui fasse confiance« .
Confiance… Pourtant, quelques heures plus tôt, Robien avait à nouveau appelé à la rescousse « l’unanimité des chercheurs » montrant l’urgence du retour de la syllabique, un jeune cadre dynamique, fustigé l’immobilisme des enseignants, Ferry avait fait des bons mots sur l’impossibilité pour les profs d’enseigner la grammaire, on avait ridiculisé les didacticiens qui prétendent qu’on peut faire « apprendre l’hébreu ou les mathématiques par la transversalité« , dénoncé la « chappe de plomb qui pèse sur les enseignants interdits de parole par l’administration« . Claude Bébéar, PDG d’AXA, avait ajouté une couche de sépia en se déclarant « stupéfait du mauvais fonctionnement de l’école primaire dont 20% des élèves n’apprennent pas à lire« , rappelant que sa mère, institutrice, n’avait échoué qu’avec un seul élève sur sa carrière… Et Jacqueline de Romilly, académicienne, s’était une fois de plus étonnée qu’on écarte avec tant de méchanceté les jeunes âmes du grec ancien et des belles lettres, merveilleux instruments de l’éveil des consciences au bonheur d’apprendre… De controverse, il n’y en eut guère : un chef d’établissement osant dire que les TPE pouvaient être utiles fut copieusement sifflé par la salle…
Dans un tel contexte, quel crédit faire au discours du président de l’UMP, lorsqu’il souligne que tout progrès social est lié avec un progrès scolaire, que l’Ecole n’a pas réussi à réduire les inégalités sociales, en particulier ces dernières années, qu’elle secrète ses propres injustices, ou qu’il faut être exigeant avec les élèves de ZEP ?
Pour adapter l’école « aux besoins de notre temps« , N. Sarkozy proposa de développer le sport à l’école, d’intégrer les enfants handicapés dans les classes, d’avoir l’objectif que tous les élèves deviennent bilingues, de mettre un policier référent par école. Pour « tirer les conséquences de ce que nous apprennent les études internationales PISA », il ne « suffit pas de dire aux enseignants qu’ils ont un rendement insuffisant, mais il veut les former en 5 ans en articulant maîtrise disciplinaire et formation pédagogique« pragmatique »avec l’aide « d’enseignants référents » à qui on allégerait le service et augmenterait la rémunération.«
Et enfin, il annonça clairement avoir l’objectif de supprimer la carte scolaire qui « empêche les parents de choisir leur école« , favoriser l’autonomie des écoles, les évaluer mieux, valoriser les chefs d’établissement, renforcer les internats éducatifs et les études du soir. Et annoncer dès aujourd’hui la « garantie de revenir en arrière s’il le faut« .
Assurément, l’UMP s’est mise en ordre de marche pour faire de l’Ecole un thème fort de la prochaine campagne électorale.
Avec une ambition affichée par Nicolas Sarkozy à la fin de son discours : « Il faut admirer son maître« . Ah ! La sémantique…
Patrick Picard