Par Gardy Bertili
Nouvelle circulaire et/ou la fin des Cpe : rumeurs récurrentes…
Comme une rengaine, la fin du corps des conseillers principaux d’éducation (CPE) ponctue à intervalles réguliers la peur catégorielle. Les CPE courraient donc en permanence le risque d’être dissous dans le corps des personnels de direction, ou encore de disparaître, simplement. Cette peur traduit-elle une réalité inhérente au fonctionnement historiquement ambigu ou ambivalent de la catégorie ? Ou relève-t-elle du fantasme qui permet à la catégorie de faire parler d’elle, donc d’exister ?
Ce débat ne saurait être tranché, les deux hypothèses sont vraies. Le corps des CPE atteindra bientôt ses quarante années, âge où l’on doit, semble-t-il, réaliser sa vie et se réaliser, sinon, les handicaps se multiplient. Et pourtant, les CPE doutent d’eux-mêmes, de leur statut flou, de leurs missions ? Sont-ils des éducateurs, des éducateurs-pédagogues, des pédagogues-éducateurs, des simples « bouche-trous », des pompiers de service ? Ils ont toujours l’impression de ne pas être compris, notamment par les enseignants qui appartiendraient à la noble caste des missionnaires du savoir, et par les personnels de direction qui veulent les brider dans leur volonté éducatrice et réformatrice. Le dilemme instruction/éducation continue à planer subrepticement sur le fondement de la relation pédagogique et éducative. Or chacun, enseignant, CPE, personnel de direction, parent, partenaires, est convaincu que ce dilemme est totalement dépassé, l’école instruit, éduque, insère, construit, et elle remplit toutes ces misions à la fois. Et d’ailleurs, si l’école traverse des turbulences depuis une décennie environ, ce n’est pas uniquement parcequ’elle est soumise à une instabilité programmatique mais aussi parce que les missions qui lui sont dévolues ne cessent de croître, de s’amplifier, voire se contredisent, et parce qu’il n’est plus possible d’instaurer la distinction dehors/dedans ; les causes endogènes et exogènes qui produisent l’échec scolaire, le décrochage scolaire, les incivilités, les violences, semblent désormais se confondre : on doit agir en même temps sur l’ensemble des facteurs et paramètres pour être efficace. Mais est-ce la mission de l’école d’éduquer à tout, de combattre tous les maux qui gangrènent la société ? Le problème est que l’école demeure l’unique institution qui accueille quasiment l’ensemble d’une classe d’âge, tout au moins jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire. On a tendance à penser que si l’école ne se charge pas de tel type d’éducation qui s’en chargerait ? Or, l’école subit directement les crises de l’économie, des valeurs, de la société, de la culture, et que dire de celles qui atteignent la famille, l’Eglise, l’Etat…
Les missions éducatives des CPE deviennent, du coup, encore plus floues. Et ils craignent de faire les frais de la réduction budgétaire. La question à poser, et je sais bien qu’elle sera sujet à polémique, est celle-ci : l’école a-t-elle mieux fonctionné avec les CPE, ou encore aurait-elle mieux fonctionné ou pourrait-elle mieux fonctionner sans les CPE ? En d’autres termes, les CPE constituent-ils une « valeur ajoutée » au bon fonctionnement, à l’efficacité de l’école, ou sont-ils des empêcheurs de tourner en rond ?
Il est vrai que le statut prête le flanc aux critiques. Les contradictions sont nombreuses. Certains diront qu’elles constituent la richesse du métier. Mais cette richesse porte en elle ses propres limites. Par exemple, les CPE se réclament volontiers personnels enseignants mais ils sont identifiés personnels de l’administration. Et l’on pourrait les multiplier. Et qui ignore que le corps est très divisé sur une posture collective à tenir, d’où les demandes récurrentes des syndicats de personnels de direction pour réécrire une nouvelle cirulaire précisant la place, le rôle, les missions des CPE. Mais comment déclamer le statut et les missions sans attribuer une place précise dans l’organigramme des EPLE, ce qui provoquera inexorablement la redéfinition des pôles, des projets ? La vie scolaire existera-t-elle encore en tant qu’entité, ou se dissoudra-t-elle dans une grande entité pôle éducatif à côté du pôle pédagogique et pôle intendance ? Les projets vie scolaire auront-il encore une existence propre ou tout naturellement relèveront-ils du projet d’ensemble ou de la politique éducative générale de l’établissement ?
Cette nouvelle circulaire qui se prépare depuis plus d’une dizaine d’années est toujours en gestation, et elle est corrélée à la crise et aux mutations de l’école. Si son accouchemant tarde autant, c’est sans doute parce que l’équilibre n’est pas encore trouvé. Comment satisfaire les revendications des personnels de direction qui dénoncent le fait que les CPE n’appartiennent pas formellement à la direction (ou à l’équipe de direction), et éloigner les craintes des CPE d’être embrigadés, d’être mis au pas ? Les CPE sont souvent jaloux d’une indépendance illusoire et ils ont peur que la nouvelle circulaire contrecarre, voire anéantisse cette indépendance au profit des personnels de direction d’un côté et des enseignants de l’autre. En d’autres termes ils craignent de faire les frais d’une éventuelle clarification des missions de tous les acteurs et de l’école elle-même.
En tout état de cause, le statu quo est porteur d’instabilité permanente. Les CPE ne disparaîtront pas, ils apportent, et personne de bonne foi ne saurait l’ignorer, une réelle valeur ajoutée aux EPLE, ils sont les gardiens du temple, ils insufflent tant bien que mal le vent de la volonté éducatrice mais ils ne sont pas les seuls. Sans les CPE et l’équipe de vie scolaire, certains EPLE seraient davantage en feu. Qui servirait de tampon, vers qui les enseignants se déchargeraient-ils lorqu’ils n’en peuvent plus, qui prendra le temps d’écouter, de disséquer, de créer l’empathie, de trouver des compromis, de favoriser les conditions du débat, du dialogue, de pratiquer la médiation (entre élèves, entre élèves et enseignaants, entre parents et enseignants, …) de faire réfléchir l’élève sur lui-même ? Ce temps-là qui est un temps fondamental ne peut être pris par les enseignants, trop pris ou arc-boutés sur leurs missions d’instruction et d’évaluation (sommative le plus souvent), à moins d’augmenter leur temps de travail, et notamment leur temps de présence au sein de l’établisement. Et plus prosaïquement, qui assumera le rôle de pompier de service, qui assurera la continuité pédagogique et éducative ? Qui détiendra les outils, le tableau de bord du suivi des élèves, et pas uniquement les indicateurs sur l’assiduité ou la discipline ? Enfin, on serait mal inspiré de faire disparaître un corps que beaucoup de pays envient – certains envisagent même de prendre exemple sur le système français.
Par contre, le métier évoluera bien évidemment, et comment pourrait-il en être autrement ? L’école évolue, de profondes mutations la traversent, les CPE ne peuvent pas camper sur leurs positionnements historiques. Le « ni-ni »n’est plus tenable. Et sortir du « ni-ni » conduit-il à enlever aux CPE leur richesse et leur originalité ? Et est-il possible de définir le CPE sans être dans le flou, étant donné la prolifération des missions, et les caractéristiques particulières de chaque EPLE ? Est-il possible de penser un référentiel commun et national qui définirait les missions auxquelles tout CPE de tout EPLE de France peut se rapporter ?
En effet, comment exister en tant que CPE lorsque l’accompagnement éducatif a pour ambition de prendre en charge les élèves hors temps scolaire, lorsque les professeurs principaux s’impliquent, et heureusement, de plus en plus dans les tâches éducatives, lorsque les établissements développent des projets spécifiques de prise en charge des élèves et de la classe dans sa totalité ? Les classes dites « méthodo » ou « à projet », sont assez éclairantes à ce niveau. Les enseignants constituent des groupes de deux ou trois, mènent les entretiens, reçoivent les parents, travaillent avec les élèves leur projet d’orientation et personnel. Les résultats sont flagrants : les absences sont moins nombreuses, le décrochage n’existe quasiment pas, les problèmes sont réglés avec les élèves et au sein de l’équipe pédagogique. Du coup, le CPE a du mal à exister, il est réduit à s’occuper des absences et des retards. Il lui faut donc trouver un espace pour faire autre chose et autrement que ses traditionnelles fonctions, il lui faut s’impliquer dans ce travail d’équipe et trouver sa juste place. Et donc qu’adviendrait-il des CPE si ces « classes méthodo » se multipliaient ? Et comment exister lorsque le rôle éducatif du chef d’établissement devient encore plus affirmé et prégnant ? La mission éducative est désormais partagée, tout au moins dans le discours institutionnel, peut être encore trop incantatoire.
On voit bien la nécessité urgente du corps de se penser et de se repenser : repenser la relation d’équipe, la relation éducative avec les élèves, la relation pédagogique, sa place au sein de la communauté éducative, donc en d’autres termes il est urgent de penser et de repenser les missions du conseiller principal d’éducation. Quels espaces doit-il investir, est-ce uniquement l’espace éducatif ? D’autant plus que le corps n’échappera pas à cette question lancinante : comment faire mieux fonctionner l’école en réduisant le nombre de personnels, et donc le nombre de CPE et de personnel de Vie scolaire dans les EPLE ? Les établissements qui peuvent profiter des services de 2, 3 ou 4 CPE vont se raréfier. Penser et repenser la fonction, le métier, les missions, et le statut s’imposent. Chacun doit analyser et proposer des solutions avec lucidité, et laisser de côté les idéologies, certes historiques. Le choix ne se fera pas entre devenir personnels de direction ou rien, entre devenir des adjoints de vie scolaire ou des professeurs d’éducation (civique), entre conserver l’ambiguïté ou perdre son identité, et faut-il d’ailleurs s’adonner absiolument à un choix ? Les missions du CPE doivent se penser et se repenser dans le cadre de la refonte d’ensemble de l’école. Et dans le cadre de cette refonte, quelle place pour le CPE avec quels acteurs, pour quelles missions et pour quelles finalités ?
Nous sommes loin de la fin du feuilleton, les épisodes seront encore nombreux. Nous aurons donc l’occasion d’y revenir.
A suivre !