Par Gardy Bertili et Gabrielle Lamotte
L’indignation a fait le tour du web courant novembre: la presse s’en fait l’écho et les premières questions ont été posées au ministre dans les assemblées parlementaires.
En effet, alors que les professeurs de SVT ou de sciences économiques et sociales s’inquiètent face à la nouvelle seconde, que les communes peinent à mettre à mettre en place un “service minimum d’accueil”, que les suppressions de postes se font dans l’incompréhension, que la logique comptable prime, bref, que nombreux sont les personnels inquiets devant ce qui s’apparente à une casse du service public d’éducation, en même temps que son mépris, les ministères de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur ont lancé un appel d’offres pour assurer une « veille de l’opinion »: pister plutôt qu’écouter?
« Cette veille existe depuis 2006, c’est-à-dire avant l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy et de Xavier Darcos“ assure-t-on au ministère, comme pour se prémunir de ceux qui auraient comme un méchant doute.
Mais il s’agit bien d’une veille plus vaste, plus organisée, qui vise explicitement Internet et l’ensemble de sa face 2.0, celle qui bouillonne d’idées, de participation, de pétitions et d’appels circulant à la vitesse de la lumière.
Cette veille vise en effet à :
« Identifier les thèmes stratégiques (pérennes, prévisibles ou émergents)
Identifier et analyser les sources stratégiques ou structurant l’opinion
Repérer les leaders d’opinion, les lanceurs d’alerte et analyser leur potentiel d’influence et leur capacité à se constituer en réseau
Décrypter les sources des débats et leurs modes de propagation
Repérer les informations signifiantes (en particulier les signaux faibles)
Suivre les informations signifiantes dans le temps
Relever des indicateurs quantitatifs (volume des contributions, nombre de commentaires, audience, etc.)
Rapprocher ces informations et les interpréter
Anticiper et évaluer les risques de contagion et de crise
Alerter et préconiser en conséquence
Les informations signifiantes pertinentes sont celles qui préfigurent un débat, un « risque opinion » potentiel, une crise ou tout temps fort à venir dans lesquels les ministères se trouveraient impliqués. »
Toutes les formes d’intervention sur Internet sont bien listées ; il ne s’agit donc pas de surveiller uniquement les grands sites d’actualité:
« »sites « commentateurs » de l’actualité, revendicatifs, informatifs, participatifs, politiques, etc. Elle portera ainsi sur les médias en ligne, les sites de syndicats, de partis politiques, les portails thématiques ou régionaux, les sites militants d’associations, de mouvements revendicatifs ou alternatifs, de leaders d’opinion. La veille portera également sur les moteurs généralistes, les forums grand public et spécialisés, les blogs, les pages personnelles, les réseaux sociaux, ainsi que sur les appels et pétitions en ligne, et sur les autres formats de diffusion (vidéos, etc.) »
La surveillance donnera lieu à la rédaction de « notes de synthèse (rapport quotidien, note de synthèse hebdomadaire, cartographie commentée des acteurs et débats en présence) »
Concernant Internet qui est décidément bien visé, il est précisé: « l’analyse permettra un suivi précis de l’évolution de l’opinion internaute et des arguments émergents relayés et commentés sur ce canal. »
Internet étant un outil de diffusion rapide, on a aussi pensé à suivre avec précision les vidéos, pétitions en ligne, appels à démission, qui « doivent être suivis avec une attention particulière et signalées en temps réel« .
C’est pourquoi il est encore rappelé dans l’appel d’offres que la finalité de cette veille de l’opinion est de « mesurer la compréhension des problématiques en particulier dans les communautés online, détecter les signaux avant-coureurs, identifier les réseaux d’influence. »
La polémique autour de l’appel d’offres a gagné les rangs des parlementaires: les premières questions viennent d’être publiées au JO.
A l’Assemblée nationale, Martine Faure interroge:
»[…] s’il ne s’agit que de prendre le pouls du corps enseignant, il suffirait d’écouter et surtout d’entendre ce que ses membres ont à dire. »
Au Sénat, Jean-Marc Pastor ironise: « Il est vrai que l’efficacité du renseignement a été démontrée dans le cadre des opérations militaires durant les deux guerres mondiales. La guerre froide a par la suite imposé l’usage tous azimuts du renseignement dans la conduite d’une politique de sécurité dans les deux blocs. »
Quant à la sénatrice Virginie Klès, elle se montre incisive:
“Dans un contexte de réduction budgétaire et de diminution des effectifs, ce projet et les 250 000 euros qui lui sont alloués soulèvent trois types d’interrogation. En premier lieu, sur le plan institutionnel, il vient contredire les missions républicaines de son ministère chargé de former des esprits libres et non de contrôler ceux qui exercent cette liberté. En second lieu, au niveau politique, les justifications d’un tel projet ne peuvent faire oublier les risques d’une surveillance et d’un contrôle généralisé de la Toile. Enfin, en termes de liberté publique, les éventuelles sanctions prises à l’encontre des enseignants reposeraient sur des fondements fortement sujets à caution. »
Le député André Chassaigne fait une analogie provocatrice : « Comme la fièvre catarrhale ovine, la libre expression politique et syndicale sur les politiques publiques menées dans le domaine de l’éducation serait-elle désormais contrôlée par une nouvelle surveillance épidémiologique assurée par des entreprises privées ? »
Le coût de ce pistage heurte aussi les esprits. Le député Jean-Paul Bacquet le résume par cette phrase : « au moment où il est question de maîtrise des comptes publics et de rationalisation des dépenses, l’utilisation de 100 000 euros pour surveiller l’opinion et évaluer la contestation de la politique mise en place apparaît inappropriée. »
« Veiller sur » ou « faire de la veille » : le gouvernement a choisi son camp.
L’appel d’offres:
http://www.fabula.org/actualites/documents/26772.pdf
Dans la presse:
Rue89 (9 novembre):
http://www.rue89.com/2008/11/09/education-220-000-euros-par-an-pour[…]
Libération (10 novembre):
http://www.liberation.fr/societe/0101233231-education-nationale-e[…]
Marianne (28 octobre):
http://www.marianne2.fr/Le-gouvernement-veille-un-peu-trop-sur-le[…]
La question de Martine Faure (25 novembre):
http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-36109QE.htm
La question de Jean-Marc Pastor (27 novembre):
http://www.senat.fr/questions/base/2008/qSEQ081106410.html
La question de Virginie Klès (4 décembre) :
http://www.senat.fr/basile/visio.do?id=qSEQ081206473
La question d’André Chassaigne (9 décembre) :
http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-37256QE.htm
La question de Jean-Paul Bacquet (9 décembre) :