» À défaut d’en repenser les missions et l’organisation la question de la suppression du réseau formé par le Centre national de documentation pédagogique et les centres régionaux de documentation pédagogique pourrait de nouveau être d’actualité à brève échéance ». L’avertissement lancé par la Cour des comptes le 11 février est clair. Le Cndp doit évoluer ou disparaitre. Au vue des réactions du ministre et du directeur général du CNDP, l’évolution semble bien engagée. L’avenir du Clémi semble plus incertain.
« Je suis très critique car le CNDP consomme une subvention considérable or il n’y a pas de réel pilotage », nous a confié Patrick Lefas, président de la 3ème Chambre de la Cour des Comptes et auteur du rapport sur le CNDP. « Il faut tout reconstruire ». C’est que le jugement porté sur le réseau Scéren, très récemment rebaptisé Canopé, est d’une grande sévérité. Le CNDP a un budget de 136 millions d’euros dont 92 de subventions. Il emploie 1 886 emplois en équivalent temps plein dont 1 757 rémunérés par ses soins. Son réseau comporte 32 établissements publics et environ 180 lieux d’accueil.
Une offre obsolète, un réseau surdimensionné
La Cour des Comptes observe « l’inadéquation aux besoins du service public de l’éducation ». La production de ressources pédagogiques a lieu « dans des conditions qui ne répondent plus aux besoins du service public de l’éducation ni aux attentes des enseignants tant en ce qui concerne la production éditoriale que ses modes de diffusion au sein du système éducatif ». Selon l’enquête de la Cour, les ventes ont baissé de 30% depuis 2009 et seuls 11% des professeurs des écoles et 8% des enseignants du secondaire connaissent les publications du réseau. » L’offre éditoriale s’est adaptée avec lenteur aux supports numériques de diffusion. Fin 2012, seulement 6 % des productions du réseau sont de nature numérique ». Elle est pilotée par en haut, par les instructions ministérielles. Comme le dit le directeur général dans sa réponse officielle à la Cour, » l’orientation historique de la production du Cndp et de son réseau par le ministère a induit jusqu’ici une conception éditoriale basée sur l’écrit… La politique ministérielle appliquée au CNDP et à son réseau relève d’une politique d’information descendante , fondée sur l’offre, que le réseau Scéren n’est pas en mesure de remettre en cause étant sous l’autorité hiérarchique du ministère. Historiquement l’analyse du besoin des enseignants est effectuée par les corps d’inspection du ministère ».
La Cour juge aussi le réseau « surdimensionné » avec 122 points de vente et seulement 6 qui assurent au moins 100 000 euros de chiffre d’affaire. Autrement dit, en dehors de la librairie de la rue du Four, tous les points de vente sont déficitaires. Ils représentent 14% des effectifs du réseau Scéren. A cela s’ajoutent 133 médiathèques et 233 points relais (17% des effectifs) dont a fréquentation semble très faible.
Un pilotage entravé
Mais c’est surtout l’absence de pilotage que dénonce la Cour. Le statut actuel du Scéren c’est un établissement public autonome qui dialogue avec 31 autres établissements autonomes dotés chacun d’un conseil d’administration et d’un comité éditorial, 85 CDDP, 70 centres locaux ayant eux aussi des comités éditoriaux. Le tout correspondant à la tension entre les deux logiques du réseau : obéir aux ordres du ministère et répondre aux demandes des rectorats. » La personnalité morale accordée aux CRDP freine tout effort de mutualisation et oblige à recourir à des procédures contractuelles entre le CNDP et les autres établissements du réseau. La seule mutualisation de la fonction comptable permettrait une économie de 3,3 M par an et de 50 ETP » souligne la Cour. A ces organes s’ajoute le Clemi qui lui aussi a une grande autonomie alors que l’éducation aux médias est intégrée par la loi d’orientation dans les programmes. « Rien ne justifie le maintien d’une telel organsiation » affirme la Cour.
La Cour des comptes appelle à une reconstruction du réseau Scéren et de son indépendance. Il faut « unifier le réseau au sein d’un seul établissement public » et « définir une offre éditoriale selon les besoins des enseignants » et non les lubies de l’Inspection. Il faut aussi « réduire le nombre des implantations ».
La réponse de V Peillon
Pour le ministre, le rapport « ne prend pas en compte la transformation en cours » quia été impulsée par le plan Scéren 2017 lancé en 2013 et par la nouvelle appellation éRéseau Canopé » depuis février 2014. Le ministère fait confiance au réseau pour accompagner la politique numérique du ministère. Il salue la mise en place de M@gistère ; le service de formation a distance des enseignants du primaire. » Le ministère ouvrira la question de l’évolutions statutaire. Un changement de modèle économique est nécessaire. Une simplifications des structures doit s’engager ». Mais, V Peillon estime que « le maillage territorial est incontournable ».
Canopé, planche de salut du CNDP
« Le constat a été fait », nous explique Jean-Marc Merriaux, directeur général du CNDP, interrogé par le Café début février. « Notre offre éditoriale n’est pas adaptée aux attentes des enseignants et aux besoins ministériels. Il faut effectuer notre mutation tout en accompagnant le personnel et en le respectant ». Canopé veut passer de l’édition papier, dominante au CNDP, à « des ressources multiformats adaptées à chacun des canaux de diffusion disponibles (print, web, mobile, TV) ». De 52 collections différentes, toute l’offre sera restructurée autour de 3 univers éditoriaux : « éclairer », « des contenus mieux adaptés aux enseignants », nous confie JM Merriaux, « maitriser » « des dossiers complets », et « agir » : « des ouvrages pratiques et des séquences didactiques ».
L’offre numérique sera revue. On passera de 350 sites web, dont 106 pour le seul CNDP, environ à une seul. Cela donnera au réseau une meilleure maitrise de ses contenus et aussi davantage de lisibilité sur l’offre. La restructuration devrait être terminée en avril 2014. Elle implique une requalification du personnel et un plan de formation a été lancé par le CNDP (118 formations pour 2014).
Le réseau de médiathèques et librairies également. JM Merriaux veut « mieux gérer l’offre de proximité » et faire évoluer les espaces vers des espaces de créations et d’accompagnement pédagogiques. Les nouveaux ateliers Canopé offriront un lieu de prêt de ressources, un lieu événementiel, un lieu de formation et un lieu d’expérimentations recherche. Pour JM Merriaux il devrait en exister un à terme dans chaque département. Cet alignement vers la formation et l’animation pédagogiques implique une refonte du réseau en lien avec les Espé et les collectivités locales.
La réforme la plus lourde concerne le réseau. La direction du Cndp envisage une autre organisation. Les CRDP autonomes pourraient passer sous l’aile du réseau central. Visiblement le ministère et la direction générale y sont favorables. L’avenir du Clémi est plus sensible. » Le CLEMI doit clarifier son action et son articulation avec le CNDP. Pour cela il est proposé de réaffirmer sa place au sein du CNDP et lui faire rejoindre la dynamique de réseau installée par le projet Scérén 2017″, écrit la Cndp dans la réponse à la Cour des Comptes. On lui demande d’entrer au bercail en échange d’un poste au Conseil du Cndp. Le réseau devrait renforcer son partenariat avec les collectivités locales particulièrement sur le numérique. Enfin la question des rapports avec les Espe se pose également. Les nouveaux centres de Canopé devraient participer à la formation continue et les sites de Canopé pourraient être englobés dans les Espé.
Un soutien syndical limité
« La restructuration du réseau, c’est une bonne chose », nous a dit Claudie Paillette, représentant le Sgen. « Ca sera plus cohérent et ca évitera des doublons ». Même accueil au Se Unsa où Hervé Ferrière estime que la perte d’autonomie des CRDP serait « la moins pire des solutions « dans la situation actuelle. « Le modèle de 1992 est totalement dépassé », confie-t-il. Par contre les syndicats sont plus réservés sur le réorganisation éditoriale. « Le plan de formation de la direction est ambitieux », nous dit H Ferrière. « Il faut l’accompagner et être vigilant. Mais on va jouer le jeu ». Au Sgen, Claudie Paillette est plus alarmiste. « Que vont devenir les personnels des métiers du papier ? On a des inquiétudes sur la gestion des ressources humaines qui n’est pas assez transparente ». Pour elle, « l’ouverture des nouveaux centres es « incohérente » alors que des centres anciens sont menacés. C’est le cas pour le CDDP 92, pour 2 antennes dans le Nord et 4 dans le sud. Pour Hervé Ferrière, « l’équité geographique » est aussi un souci premier. La réorganisation du CNDP se fait sous surveillance. Mais les syndicats sont déjà dans l’inquiétude de la publication du rapport de la Cour des comptes.
François Jarraud
PS : Cet événement a été tweeté en direct