Malade, André Ouzoulias a usé ses dernières forces pour un combat d’idées qui lui tenait à coeur. Il y a eu le combat pour la formation des enseignants où il s’était totalement engagé. Mais ces derniers mois, André Ouzoulias vivait dans l’urgence de transmettre sa pensée. Il nous a donné, au Café pédagogique, la magnifique série d’articles sur « Démocratiser l’enseignement de la lecture-écriture ». De tous les amis et collègues d’André, Rémi Brissiaud était le plus proche pour avoir travaillé avec lui durant plus de 30 ans. Il nous livre ici son témoignage sur l’homme, le chercheur et le pédagogue qu’était André Ouzoulias et finalement la « belle personne » qu’était André Ouzoulias.
André Ouzoulias avait une belle âme. Le pédagogue, le chercheur auquel je vais rendre un hommage succinct ne donne qu’une vague idée de la belle personne qu’il était. Certains ont su trouver les mots pour l’évoquer. Philippe Wattrelot lorsqu’il titre son hommage : « André Ouzoulias ou la conviction douce », Luc Bentz lorsqu’il écrit : « Je me souviens lui avoir dit, moi plutôt papa Poule avec mes élèves, que je lui aurais confié mes CP sans la moindre hésitation. » Mon hommage sera beaucoup plus académique parce qu’au-delà de la personne, il y a son œuvre, toute orientée vers la démocratisation de l’enseignement et je suis certain qu’André souhaitait avant tout que la démocratisation de l’enseignement, ce soit maintenant.
Avec André, nous avons commencé un long compagnonnage au début des années 80. Lui le philosophe se revendiquant psychopédagogue, ce qui est rare, et moi le mathématicien se lançant à cette époque dans des études de psychologie. Je crois qu’en collaboration avec de nombreux instituteurs du Val d’Oise, nous avons fait un travail utile : concernant les apprentissages numériques, nous avons évité que l’école française oublie totalement la culture pédagogique qui était la sienne et qu’un enseignement des nombres comme il s’effectue aux États-Unis, se généralise. Les recherches récentes appuient le point de vue qui a d’emblée été le nôtre.
Très tôt dans sa carrière, André s’était également intéressé à l’étude de l’apprentissage de la lecture-écriture. Ces 10 dernières années, il s’y est consacré à « temps plein » (il faudrait, bien entendu, évoquer son implication dans les débats autour de la formation des enseignants, son expertise dans la découverte de nouveaux talents pédagogiques, son activité syndicale…)
C’était un très grand pédagogue. Très souvent, les IEN et les conseillers pédagogiques connaissent bien ses travaux alors qu’il n’est jamais intervenu à l’ESEN. Ses textes, les captures vidéo de ses conférences sont en bonne place parmi les documents qu’ils mettent en avant pour animer la vie pédagogique de leur circonscription. Du fait des outils qu’il a développés, de son art à en expliquer les fondements théoriques en s’appuyant sur des exemples particulièrement éclairants, André Ouzoulias est aujourd’hui l’un des chercheurs les plus influents auprès des professeurs des écoles de France.
Il était en effet un très grand chercheur, cela ne se sait pas suffisamment. Un grand chercheur est quelqu’un qui élabore de nouvelles hypothèses et construit de nouveaux paradigmes expérimentaux, non pas concernant un micro sujet, mais pour répondre à des questions cruciales. Les principales questions qu’il a abordées sont celles-ci : tous les connaisseurs de l’école savent qu’une méthode d’écriture-lecture (l’inversion est volontaire), lorsqu’elle est bien maîtrisée, conduit à des réussites spectaculaires et s’avère particulièrement démocratique ; comment l’expliquer ? Comment s’en inspirer pour élaborer des pratiques pédagogiques que même des débutants peuvent s’approprier ? (la méthode la plus célèbre de ce type, appelée de manière trompeuse « méthode naturelle », est évidemment celle que Célestin Freinet a élaborée).
Il est le chercheur qui a permis de comprendre pourquoi les méthodes d’écriture-lecture « à la Freinet » sont si efficaces et démocratiques, montrant, parmi bien d’autres points, qu’elles sont source d’une première compréhension de la graphophonologie au niveau syllabique, préalablement au développement d’une conscience phonémique fine. Cela l’a conduit à élaborer une tâche d’analyse de l’écriture de mots simples qui prédit particulièrement bien les futurs progrès en lecture-écriture. Gageons que dans les années à venir, la tâche d’André Ouzoulias sera de plus en plus utilisée dans les GS et les CP. Tout laisse en effet à penser que parmi les tâches d’analyse phonologique, celles qui se situent à un niveau trop fin, sans utilisation de l’écrit, ont fourvoyé l’école maternelle vers des pratiques pédagogiques particulièrement élitistes.
Cela l’a également conduit à animer une recherche avec les écoles du Réseau Ambition Réussite des Mureaux (78) consistant à mettre en pratique / perfectionner les progressions et les outils élaborés à partir de ses travaux précédents. Les résultats sont si spectaculaires qu’aujourd’hui de nombreux chercheurs dans le domaine sollicitent Sylvie Amador, IEN de la circonscription et co-animatrice du projet, afin d’avoir la possibilité de visiter des classes associées à la recherche.
Le meilleur hommage qu’il sera possible de rendre à André Ouzoulias, indépendamment du souvenir de sa personne pour ceux qui ont eu la chance de le connaitre, consistera évidemment à s’intéresser aux futurs développements de ce qu’il a initié. En attendant, quiconque se soucie de la refondation de la pédagogie du lire – écrire dans une perspective de démocratisation, a la possibilité de lire les 4 textes qu’il a récemment mis en ligne sur le café pédagogique.
Rémi Brissiaud