Souvent les rapports finissent aux oubliettes. Ils ont occupé quelqu’un qui n’avait pas grand-chose à faire ou ils ont servi d’alibi à un ministre voulant montrer qu’il agissait. Ce n’est pas le cas du rapport Delahaye » Grande pauveté et réussite scolaire « . Plusieurs académies s’en sont saisi et des établissements appliquent ses recommandations. Voici l’exemple du collège Alfred Kastler de Stenay, dans la Meuse.
Le collège fait partie d’une cité scolaire implantée en zone rurale, incluant un lycée général et technologique et un professionnel. Le bourg de Stenay ne compte pas plus de 2700 âmes. Les élèves viennent en bus de la région alentour.
Le collège est classé en REP (réseau éducation prioritaire) – 61% des élèves sont issus de catégories socioprofessionnelles défavorisées. Il compte une Segpa (section d’enseignement général et professionnel adapté) pour les élèves en grandes difficultés et une classe Ulis (unité localisée pour l’inclusion scolaire) pour les enfants en situation de handicap.
Désert
» Ici, on est loin de la violence de certains quartiers, souligne Jean-Christophe Vélain, le proviseur de la cité scolaire, le climat scolaire est serein. C’est davantage un problème de désert culturel et de familles vivant assez loin, isolées, peu disponibles pour venir au collège. »
Après la publication du rapport Delahaye, Gilles Pecout, aujourd’hui recteur de Paris, alors à la tête de l’académie de Meurthe-et-Moselle, a décidé de faire une priorité de la question de la grande pauvreté à l’école. En juillet 2016, sous la direction de l’IPR (inspecteur pédagogique régional) Jean-Michel Wavelet, une expérimentation » Réduire les effets de la grande pauvreté » est lancée, impliquant 12 collèges et 4 500 élèves au total.
» Lors de la préparation de son rapport, Jean-Paul Delahaye était venu dans notre établissement, explique Jean-Christophe Vélain, lorsque l’expérimentation a été lancée, c’est naturellement que nous l’avons rejointe car nous agissions déjà dans ce sens-là. «
Droit
Voici les principales mesures prises au collège de Senay. Certaines sont toutes simples, de bon sens. Elles demandent toutefois du temps, une sensibilisation et une implication des équipes.
1. Les familles les plus démunies renoncent trop souvent à demander des bourses, ce qui est pourtant un droit. Par méconnaissance ou découragées devant les papiers à fournir. Le collège Alfred Kastler remet les dossiers aux élèves avec un reçu à faire signer par les parents. S’il n’y a pas de retour, il passe un coup de fil, rassure et explique les documents à fournir.
Cette année, on a enregistré 31% de demandes de bourses contre 26% l’an dernier. » On a gagné 5 points, même s’il reste des progrès à faire « , reconnaît Jean-Christophe Vélain.
Packs
2. Les fournitures scolaires sont chères et parfois les allocations de rentrée n’y suffisent pas. Le collège propose des packs aux élèves de sixième à des prix avantageux : 30 euros pour toute la papèterie de base, 20 euros pour les classeurs, équerres, etc., et 14 euros pour la calculatrice.
Quelque 85% des familles ont opté pour ces packs. Le foyer socio-éducatif s’occupe des achats groupés. Comme il n’y a pas d’association de parents dans l’établissement, l’administration se charge elle-même de faire les paquets et de les distribuer.
Echelonnement
3. Les élèves habitant loin, la grande majorité déjeune à la cantine. Mais pour les parents vivant dans la précarité, les retards de paiement s’accumulent. La secrétaire chargée du recouvrement a été sensibilisée : elle leur propose un échelonnement. Pour les plus démunis, on fait appel aux fonds sociaux.
Dans le collège, le repas est au tarif unique de 2,95 euros. » Pour ce prix, on a une qualité à faire pâlir nombre de restaurateurs, se félicite le proviseur, toute la cuisine est faite sur place, y compris les légumes transformés sur place, par une équipe d’une dizaine de personnes et un chef. »
Pas loin
4. Lorsque Jean-Christophe Vélay a été nommé à la tête de la cité scolaire il y a cinq ans, on organisait au collège un voyage scolaire d’une semaine au ski à 400 euros. Impossible de suivre pour certaines familles. Désormais, toutes les sorties et les voyages sont placés sous ce slogan : » Pas loin, pas cher, pour tous « .
Pour y parvenir, les visites de musées, gratuites, se font dans un rayon de cent kilomètres – à Metz, Verdun, Nancy… De même pour les sorties théâtre, notamment pour la cinquantaine d’élèves suivant l’option.
La seule sortie payante cette année sera à Anglet, sur la côte basque, pour les quatrièmes. « On travaille pour parvenir à un montant maximum de 150 euros pour six jours, explique le proviseur. On imagine des actions de solidarité pour financer le voyage. Mais ce n’est pas simple car nous avons peu de parents très investis. »
Espace parents
5. L’établissement veut par ailleurs développer la co-éducation. Ce qui, là encore, n’est pas évident lorsque les parents sont peu présents. » Pour attirer les familles à l’école, explique Jean-Christophe Vélain, on leur demande de venir chercher les bulletins de leur enfant. «
Un espace parents a été créé pour recevoir les familles, notamment les plus éloignées de l’école. Avec ses 7 bâtiments, dont un internat, répartis sur 5 hectares, l’établissement ne manque pas de place. » Il faut écouter les familles, leur redonner confiance, privilégier aussi une pédagogie bienveillante « . Pour renouer le lien, l’établissement est en contact avec deux centres sociaux.
Inclusion
6. Souvent les Segpa, où les élèves de milieux défavorisés sont sur représentés, sont installés à l’écart, voire dans un autre bâtiment. A Alfred Kastler, les sixièmes Segpa sont inclus dans les classes » ordinaires « . Une partie du temps, ils suivent des matières avec leurs camarades – EPS, SVT, accompagnement éducatif – et une autre partie du temps, ils ont des enseignement adaptés. Peut-être l’an prochain l’expérience sera-t-elle étendue aux cinquièmes.
Lorsqu’on demande à Jean-Christophe Vélain ce qui le motive, lui et son équipe, il répond sans hésiter : » cela peut paraître bateau, mais c’est la satisfaction de voir les élèves épanouis et à la fin de l’année, de les voir réussir le brevet. »
Véronique Soulé
Lire aussi l’interview de Jean-Paul Delahaye dans le Café pédagogique