« C’est important de ne pas être d’accord. C’est ce qui fait avancer le débat ». En ouvrant la seconde journée de la conférence de consensus sur la différenciation le 8 mars, Nathalie Mons, présidente du Cnesco, co-organisateur avec l’IFé de l’événement, a vu juste. Les oppositions perceptibles le 7 mars sont apparues au grand jour entre des positions très méfiantes envers la différenciation pédagogique et des partisans du travail en groupe. La seconde journée de la conférence a vu se succéder des chercheurs brillants mais bien « différenciés » comme Benoit Galand, Clermont Gauthier, Dominique Bucheton, Céline Buchs ou Denis Butlen. Au jury, composé d’enseignants et de cadres éducatifs, de dégager des recommandations. Elles devraient être présentées le 28 mars.
« Le concept de différenciation fait-il sens ? »
« D’un point de vue scientifique, le concept de différenciation fait-il sens ? Le lien entre la différenciation et la réussite de tous les élèves n’est pas prouvé ». Benoit Galand (Université de Genève) a clos la conférence de consensus organisée par le Cnesco et l’IFé, en partenariat avec Le Café pédagogique, en en remettant presque en cause les fondements.
La journée du 7 avait déjà vu des conceptions divergentes, notamment lors des interventions de Clermont Gauthier, Marcel Lebrun ou Michel Grangeat. La seconde journée , parce qu’elle abordait les conditions de la réussite, a poussé les oppositions.
Pour Benoit Galand, le concept de différenciation pédagogique ne veut pas dire grand chose. Pire il s’en méfie. C’est que les enseignants ont déjà tendance à différencier leurs pratqiues pédagogiques en fonction des élèves. Leurs attentes envers les élèves varient et du coup ils enseignent différemment. Le traitement différencié contribue à creuser les écarts de départ entre les classes et les élèves. On le voit pour lui dans les classes des quartiers où les enseignants baissent leurs exigences.
B Galand s’en tient donc à signaler des pratiques qui réduisent les écarts entre les élèves comme proposer des feedbacks précis et réguliers accompagnées de suggestions. Pour lui deux approches sont pertinentes : l’enseignement explicite et , assez à l’opposé, l’apprentissage coopératif. Ce dernier a l’avantage d’améliorer le relationnel et de lutter contre les stéréotypes. Pour lui la question n’est pas de différencier mais plutôt d’augmenter la qualité des activités collectives.
Enseigner les comportements
Clermont Gauthier avait déjà suscité des réactions en présentant l’enseignement explicite, come il le conçoit, comme la méthode efficace d’enseignement. C’est la même démarche qu’il utilise pour présenter le « Soutien aux comportements positifs » (SCP) autrement dit l’enseignement explicite des comportements. Là aussi il explique que son thème d’étude est « la variable la plus importante pour favoriser la réussite scolaire ». Le 7 c’était « l’enseignant efficace », le 8 c’est « la gestion de la classe »… Suit une suite de consignes que les enseignants connaissent bien : importance des premiers jours, marcher dans la classe, rappeler les règles,balayer la classe du regard etc. Ces trucs de la gestion de classe deviennent la méthode qui va faire réussir les élèves. A condition de passer de la gestion de classe efficace à l’école efficace c’est à dire à enseigner aussi les comportements des enseignants… « Les comportements attendus et les compétences comportementales attendues en classe et hors classe sont définis précisément, enseignés explicitement et renforcés lors de leurs manifestations ».
Quelles valeurs pour les enseignants ?
Même méfiance chez Denis Butlen pour des activité différenciées. « Ce qui est dangereux c’est l’individualisation non contrôlée qui ne ménage pas de temps collectif ». Il reste « dubitatif sur la façon de casser la classe en morceaux ». Ses travaux montrent concrètement les concessions que les enseignants font en éducation prioritaire pris entre les exigences de socialisation des élèves et nécessité de transmettre. Il insiste sur les processus de dévolution et d’institutionnalisation des savoirs. Une des conséquences pour lui c’st la nécessité de revoir la formation, une conviction largement partagée par la salle et d’autres intervenants. Il faut mieux accompagner les enseignants pour qu’ils comblent les lacunes des élèves et les amènent à appréhender les enjeux des activités proposées.
La nécessité de revoir la formation Dominique Bucheton la partage. Elle analyse les représentations des enseignants, leurs doxa : faire le programme, combler les manques, multiplier les exercices, et en souligne les limites. Elle met aussi l’accent sur les valeurs des enseignants : croire ou non en l’éducabilité de tous. Ce qu’elle promeut c’est l’atelier dirigé pour tous : une mini classe à 6 ou 8 élèves hétérogènes où l’enseignant prend une posture d’accompagnement et démultiplie les interactions orales avec les élèves. Ce dispositif agit sur les représentation du maitre comme des élèves puisque , c’est un autre de ses enseignements, les deux sont liés.
La pédagogie coopérative c’est efficace ?
Céline Buchs, université de Genève, défend aussi l’importance des interactions sociales. Ses travaux démontrent, chiffres à l’appui, l’efficacité de l’école à l’université de la pédagogie coopérative. Celle ci crée une interdependance positive entre les élèves et l’enseignant. Le travail de groupe doit être organisé de façon à ce que chaque élève soit responsable d’une tache. Il faut donc fortement structurer le travail des groupes.
André Tricot se limitera a présenter des enseignements de la recherche sur les dispositifs efficaces.Par exemple veiller à retirer les information inutiles des documents des élèves les plus faibles, si l’information est complexe la présenter progressivement. Ces enseignements sont tirés des travaux sur la charge cognitive.
Un vrai débat , de vrais dissensus
Une conférence qui n’aboutit pas directement à un consensus est-elle inutile ? Elle n’a certes pas l’efficacité des « grandes messes » ministérielles. Mais c’est la richesse du Cnesco d’amener ainsi de vrais débats où s’échangent des arguments contradictoires. C’est de cette façon qu’on alimente la réflexion collective et au final qu’on respecte les enseignants.
Justement c’est à eux de trancher. Le jury de la conférence, présidé par Marie Toullec Théry, doit rendre le 28 mars ses recommandations. Bon courage !
François Jarraud