Comment inciter les collégiens à répondre à une problématique par l’expérience ? Comment un atelier scientifique peut-il faire l’objet d’une chaîne YouTube ? Mathieu Rajchenbach, enseignant de SVT à la cité scolaire Paul Valéry de Paris75 mène le projet « Radisculteurs » avec des élèves de 5ème. L’idée est de déterminer les conditions météorologiques favorables à la croissance végétale dans un contexte de développement durable. Comment ses collégiens gèrent-ils les 60 plantations mises en place ? Quel usage fait l’enseignant de la vidéo ? Entretien avec Mathieu Rajchenbach dont le projet est primé au concours C.Génial de Paris.
Comment est né le projet #Radisculteurs ?
Le projet #Radisculteurs est un projet mené par huit élèves de cinquième de la cité scolaire Paul Valéry de Paris. Ils participent depuis novembre 2016 à un atelier scientifique qui a lieu une heure par semaine, le mercredi après-midi. Dans ce projet, les élèves communiquent sur l’avancée de leur projet par leur chaîne YouTube. Ils essaient de répondre à la problématique : comment la météorologie peut-elle nous aider à produire des aliments tout en respectant les objectifs d’un développement durable ?
J’ai pris le parti de ne pas laisser les élèves intervenir dans le choix de la problématique. Le sujet étant complexe et souhaitant très fortement mêler les thématiques de la météorologie et de l’agriculture, les élèves ont donc été “contraints” sur ce point. L’atelier n’ayant lieu qu’une heure par semaine et les séances ayant commencé assez tard dans l’année, je ne souhaitais pas qu’un temps trop long soit pris pour le choix d’un sujet par les élèves. Hormis le choix de la problématique et le montage des vidéos pour la chaîne YouTube, les #Radisculteurs sont en autonomie presque totale pour avancer dans leur projet.
Lors des premières séances, les élèves ont échangé entre eux pour élaborer une stratégie qui permettrait de répondre à la problématique. Ils ont alors choisi de cultiver des plantes dans un potager. Après avoir défini les contraintes qui intervenaient dans le choix de la culture à réaliser, les élèves ont réalisé un travail de recherche documentaire pour sélectionner la plante à cultiver. Ils ont alors choisi de cultiver des radis de 18 jours.
Pour économiser de l’eau potable, les #Radisculteurs ont décidé qu’ils installeraient des récupérateurs d’eau dans le potager. Pour arroser les plantes cultivées avec les eaux de pluie récupérées, les élèves ont compris qu’ils devraient connaître la quantité d’eau de pluie que les radis ont déjà reçu. Pour cela, ils utiliseront les données de la météorologie et des pluviomètres ont été construits. En connaissant, la quantité d’eau de pluie déjà reçue par les plantes cultivées, les élèves pourront arroser les radis avec uniquement la quantité d’eau qui leur manque pour répondre à leurs besoins. La première étape du projet a donc été de déterminer les besoins en eau des radis de 18 jours. Pour cela, les élèves ont réalisé différentes expériences permettant de déterminer ces besoins.
Comment s’organise une séance ? Que font les collégiens ? Quelles sont les stratégies mises en place ?
Généralement, les élèves échangent entre eux, en début de séance, pour se rappeler de l’état d’avancement du projet (qu’ont-ils fait lors de la dernière séance ? quels sont les actions en cours de réalisation ? que leur reste-t-il à faire ?). Le but de ce questionnement de début de séance est d’optimiser la gestion du temps. Par cet échange, les élèves définissent leurs priorités (qu’est-ce qu’il sera possible de réaliser en une heure ? Qu’est-ce qu’il est indispensable de faire maintenant ? Qu’est-ce qui peut être reporté à une prochaine séance ?).
Lorsqu’une vidéo doit être tournée, les élèves concernés (généralement deux élèves) restent avec moi pour le tournage, et les autres poursuivent les travaux en cours (recherches pour la construction de pluviomètres, proposition de stratégies pour récupérer les eaux de pluies, réflexion sur le matériel qui sera nécessaire pour la construction du potager…).
Très rapidement, des expériences ont été lancées par les élèves pour déterminer les besoins en eau des radis de 18 jours. Pour pouvoir se permettre d’interpréter les mesures et de tirer des conclusions “fiables” concernant les besoins en eau des radis, les élèves ont compris qu’il était important d’obtenir un maximum de résultats. Ils ont donc décidé de tester différents volumes d’eau dans un grand nombre de pots : un même volume d’eau était testé dans 6 pots différents (comme ils testaient 10 volumes d’eau différents, les élèves devaient arroser 60 pots chaque semaine avec des quantités d’eau très précises !).
Chaque semaine l’arrosage des 60 pots prenait beaucoup de temps, les premières semaines, l’arrosage durait l’heure entière, les élèves ne pouvaient plus avancer sur leur projet !
Forts de ce constat, les élèves ont tout d’abord optimisé leur organisation (répartition du travail, préparation des volumes d’eau, arrosage, rangement, nettoyage de la salle), de nombreuses minutes ont ainsi pu être gagnées. Puis, ils ont trouvé une nouvelle solution pour gagner du temps : certains d’entre eux prennent leur déjeuner rapidement pour arriver le plus tôt possible dans la salle. Comme je suis en cours avec des élèves de seconde pendant l’heure qui précède l’atelier, je ne peux pas accueillir les #Radisculteurs. Par conséquent, les élèves demandent l’accès à la salle au technicien de laboratoire, Benoît Charpentier. Ils s’organisent entre eux pour arroser les 60 pots contenant chacun les plants de radis ; quand l’atelier scientifique commence, l’arrosage est terminé et les élèves peuvent avancer sur les autres aspects de leur projet.
Vos productions vidéos relatent le parcours et les réflexions des élèves. Quels avantages voyez-vous à disposer d’une chaîne YouTube pour un atelier scientifique ? En quoi est-ce motivant pour les collégiens ?
Tout d’abord, il faut savoir que l’idée de communiquer sur le projet par le biais d’une chaîne YouTube n’est pas la mienne. Lors de la première séance, j’ai expliqué aux #Radisculteurs qu’il serait peut-être utile de noter ce qui était réalisé lors des différentes séances afin de pouvoir retrouver à tout moment une trace écrite du cheminement des élèves lors de la réalisation de ce projet scientifique (je pensais alors à la constitution d’un “carnet de bord” mais ne leur en ai pas parlé, ne souhaitant pas les orienter dans le choix d’une solution en particulier).
Lors de cette même séance, j’ai également évoqué l’importance de la communication autour d’un projet en sciences (domaine 4 du socle ; mener une démarche scientifique, résoudre un problème, communiquer sur ses démarches, ses résultats et ses choix, en argumentant ; extrait du document d’accompagnement pour l’évaluation des acquis du socle commun de connaissances, de compétences et de culture).
Certains #Radisculteurs ont proposé la conception d’un site au format “blog”. Ce site permettait à la fois de garder la trace du travail réalisé et de communiquer sur le projet. D’autres ont proposé la réalisation de vidéos de compte-rendu des séances. Certains élèves parlaient déjà de créer une chaîne YouTube.
Suite à l’excitation des #Radisculteurs pour le site internet ou pour la chaîne YouTube, l’idée de réaliser des comptes rendus écrits semblait déjà abandonnée. J’ai averti les élèves de la charge de travail supplémentaire que représenterait la réalisation de vidéos ou la conception d’un site. Il était fort probable que ce type de choix ralentisse l’avancement du projet. Les élèves ont alors décidé de procéder à un vote. La création d’une chaîne YouTube l’a remporté à l’unanimité.
Au début du projet, à chaque séance un binôme prenait des notes pour permettre l’écriture du script des vidéos. Mais assez rapidement, la quantité de travail augmentant fortement, surtout lorsque les premières expériences ont été lancées, j’ai pris la décision de me charger entièrement de la rédaction des scripts (leur projet étant avant tout un projet scientifique et non un projet de réalisation de vidéos).
Malgré les inconvénients liés à la charge de travail supplémentaire et aux aspects chronophages de cette tâche, je trouve que la publication de vidéos sur la chaîne YouTube des #Radisculteurs est très positive et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, la première raison est simple : ça fait plaisir aux élèves ! Ils sont heureux de tourner les vidéos, ils suivent avec beaucoup de passion l’évolution du nombre de vues, du nombre d’abonnés… La réalisation d’une chaîne YouTube participe donc énormément à la motivation des élèves pour ce projet (même s’ils n’auraient pas manqué de motivation sans cette chaîne, c’est évident).
La réalisation de vidéos permet bien évidemment aux élèves de développer les compétences liées à l’expression orale. La chaîne YouTube, permet aux parents des élèves, aux personnels de l’établissement et aux camarades de classe de suivre l’avancement du projet. Lors de projets scientifiques, assez classiquement, la communication est réalisée à l’issue du projet et présente les résultats obtenus. La chaîne YouTube des #Radisculteurs, permet de faire découvrir au public le cheminement de ce type de projet ainsi que les difficultés qui peuvent être rencontrées.
Grâce aux vidéos les élèves gardent une trace de l’avancée de leur projet. Par exemple, avant la finale académique du concours C.Génial, à laquelle les #Radisculteurs ont participé, les vidéos ont permis aux élèves de mieux se préparer aux questions de l’entretien par les membres du jury. Les vidéos pourraient permettre également aux #Radisculteurs, de faire connaître leur projet à des partenaires potentiels (des magasins de jardinage par exemple). Je pense prochainement faire découvrir aux élèves l’intérêt de “l’horizontalité” du média YouTube. Lors de la prochaine vidéo, qui présentera les résultats (difficiles à interpréter) de la dernière expérience, j’inviterai les élèves à demander de l’aide aux internautes pour interpréter les résultats de l’expérience.
Comptez-vous reconduire l’atelier l’an prochain ? Des écueils à éviter ?
Je pense proposer à la direction de mon établissement le renouvellement de l’atelier scientifique l’an prochain. Cependant, il est possible que le format et/ou les objectifs changent. Après avoir testé cette année le travail d’un groupe entier sur un sujet commun, il est possible que l’année prochaine, je teste la répartition d’élèves en petits groupes sur plusieurs sujets différents. Concernant les thématiques, j’ai quelques pistes pour l’année prochaine.
Une des pistes pourrait être de poursuivre le projet #Radisculteurs en prolongeant avec les élèves le travail sur la robotisation du système d’arrosage, système qui intégrerait la mesure des données météorologiques. Pour un projet comme celui-ci, il serait fort utile que le groupe soit encadré par un ou plusieurs enseignant(s) supplémentaire(s) (professeur de technologie et/ou de physique-chimie).
Toujours avec les #Radisculteurs, il pourrait également être intéressant que les élèves apprennent à construire eux-mêmes leurs vidéos (script, tournage, montage, publication).
En dehors du projet #Radisculteurs, j’aimerais bien m’investir dans l’éducation aux médias, travailler avec les élèves sur l’analyse critique des informations circulant dans les médias, sur les “fake news”, la propagation de rumeurs et les thèses complotistes, sur les différences entre faits, savoirs, croyances, opinions… Je n’ai pour l’instant rien construit sur cette thématique et le travail préparatoire me semble assez conséquent. Il est possible que je m’inspire des travaux d’Hygiène Mentale et de Rose Marie Farinella sur le sujet.
Pour ce type de projet, l’idéal serait de ne pas être le seul enseignant à encadrer l’atelier scientifique (je pense qu’à deux enseignants l’apport pour les élèves serait vraiment enrichi). De plus, étendre la durée de l’atelier de une à deux heures pourrait être très profitable. Je suis bien évidemment conscient qu’il est compliqué pour un établissement de trouver les moyens d’ouvrir un atelier scientifique, encore plus d’en augmenter le nombre d’encadrants ainsi que le nombre d’heures.
Mais l’arrivée des EPI (Enseignements Pratiques Interdisciplinaires) nous offre directement cette possibilité de travailler sur la durée et avec plusieurs enseignants. À la différence, et non des moindres, qu’il s’agit là de travailler avec tous les élèves d’une classe et non un groupe restreint d’élèves très motivés. Je suis lucide sur le fait que la gestion du groupe est plus complexe qu’avec les élèves d’un “club de sciences” mais je suis persuadé que ce type de travail est tout à fait envisageable et trouve essentiel d’impliquer tous les élèves d’un établissement à ce type de projets scientifiques.
Je participe d’ailleurs actuellement à deux EPI dans mon établissement. Avec une classe de 5ème, nous travaillons, avec les enseignants d’histoire géographie et de physique-chimie, sur le thème des ressources en eau. Il s’agit ici d’un travail assez classique de recherche documentaire. Avec une classe de 4ème, nous travaillons, avec l’enseignant de physique-chimie, sur la caractérisation de phénomènes météorologiques et climatiques par le traitement de données brutes (extraites du site www.meteoalecole.org).
Quelques mots sur votre participation au concours C-Génial …
En effet, les #Radisculteurs ont participé à la finale académique du Concours C.Génial de Paris. Leur projet a obtenu le 1er prix et ils participeront à la finale nationale du Concours C.Génial le vendredi 19 mai 2017.
Je n’étais initialement pas vraiment favorable à l’idée d’intégrer la notion de compétition dans mon enseignement mais j’ai pu, au cours des dernières années, assister à quelques finales de concours de projets scientifiques. Lors de ces événements, j’ai pu constater l’engouement des élèves lors de la présentation de leur projet et les explosions d’émotions essentiellement positives lors des proclamations de résultats. Il est évident que la participation des élèves à ce type de compétition les aide à développer des compétences liées à l’expression orale (domaine 1 du socle, s’exprimer à l’oral en continu et en interaction).
Je pense aussi que ce type de compétition permet un ancrage plus durable dans la mémoire des élèves, de l’expérience qu’ils ont vécue tout au long de l’année lors leur participation à ces projets scientifiques. La participation au concours C.Génial-collège, nous a permis d’obtenir un soutien financier de « Sciences à l’École » et de la Fondation C.Génial. Je tiens à les remercier pour cette aide.
Les #Radisculteurs présenteront également leur projet au Forum Faites de la Science, le 11 mai 2017 sur le campus d’Orsay. Je remercie donc également « Faites de la Science » pour le soutien qu’ils apportent au projet des #Radisculteurs.
Après avoir travaillé pour Sciences à l’école, vous réintégrez un établissement cette année pour enseigner. Quel regard portez-vous sur les nouveaux programmes du collège ?
Hormis la nouveauté que constituent les EPI, dont j’ai parlé plus haut, les nouveaux programmes de collège, en SVT notamment, me rendent très enthousiaste pour plusieurs raisons.
Je suis très satisfait de voir dans ces nouveaux programmes de SVT, une “liste de notions” beaucoup moins détaillées que dans les programmes antérieurs. Il me semble que cette orientation offre une plus grande liberté pédagogique aux enseignants (liberté que je ressens quotidiennement lors de la préparation des cours et qui participe à mon enthousiasme).
Je suis plutôt convaincu par l’enseignement spiralaire. Le fait de proposer un apprentissage sur un temps long, avec des répétitions et une complexification progressive aura des effets positifs, je pense, sur le développement des compétences des élèves.
Je suis également satisfait de voir arriver la météorologie et la climatologie en cycle 4. D’une part, parce que je pense que le travail autour de ces thématiques est essentiel pour la culture scientifique des futurs citoyens que sont nos élèves. D’autre part, parce que je pense que la météorologie est un domaine qui offre de nombreuses possibilités pédagogiques. Elle permet le travail en interdisciplinarité (avec les enseignants de technologie, de physique-chimie et de mathématiques essentiellement) et constitue ainsi un objet qui est parfaitement adapté aux EPI.
Entretien par Julien Cabioch