CNIL, Hadopi, CNC d’un coté. Plagiat, diffamation, injure de l’autre. Règlement intérieur, charte informatique, interdiction encore. Filtrage, contrôle, surveillance enfin… Impressionnante est la liste des dispositifs, institutions, actions, évènements qui concourent à poser la question de la loi face au numérique dans l’enseignement scolaire. L’observation de ces cinq dernières années montre que la préoccupation sécuritaire a mobilisé une large part des questionnements autour de l’introduction des TIC et en particulier d’Internet dans l’éducation et le monde scolaire.
Un feu attisé par une médiatisation accrue des situations problèmes rencontrées, par rapport à leur nombre réel en proportion des activités déployées par les jeunes. Un feu attisé aussi par une préoccupation politique traduite par des actions explicitement orientées en vue de situer, prévenir, calmer, encadrer des pratiques peu maîtrisées par les adultes, à l’inverse des jeunes qui fréquentent les écoles. Tout cela traduit une inquiétude révelatrice non seulement de pratiques illégales ou peu recommandables, mais aussi une méconnaissance assez étonnante de l’activité numérique, ainsi qu’une ignorance des pratiques des jeunes, quand ce n’est pas parfois une méconnaissance de la psychologie de la jeunesse et de l’adolescence.
On est toujours étonné de constater que la formation des enseignants donne si peu de place à ces deux éléments, psychologie et droit, dans un métier qui, pourtant est principalement chargé de s’occuper de jeunes afin de tenter de leur donner des repères pour entrer dans la société. L’analyse des compte-rendus d’incidents autour des mésusages du numérique par les élèves est révélateur. Le plus récent est l’exclusion de trois élèves, pourtant peu remuants, après qu’il eurent posté des injures envers un enseignant non nominativement cité, n’ayant pas porté plainte, les élèves ayant reconnu leur faute et s’étant excusés. Cette décision, qui va au delà du droit ordinaire, prise par le chef d’établissement, peut illustrer notre propos (cette information demanderait à être précisée, la source journalistique pouvant elle-même avoir donné un prisme particulier). Ce qui surprend toujours c’est la force de la loi en regard d’actions qui finalement, si elles ne laissaient pas de trace, seraient considérées comme privées et surtout ne seraient pas perceptibles. En l’occurrence, des jeunes ordinaires ne se rendent pas compte du fait qu’avec le numérique, un pas a été franchi dans la visibilité des propos privés. Au delà de la connaissance du droit, c’est bien la compréhension des mécanismes de diffusion des propos (et des traces) qui fait question.
Parmi les débats actuels, dans le cadre de la loi sur la refondation de l’école, certains portent sur l’exception pédagogique. Autrement dit, sur le fait que pour l’enseignement, le droit des auteurs et des professions associées n’est pas de même nature dans l’école qu’en dehors. Il y a déjà bien longtemps que les enseignants se sont affranchis de cette loi et le numérique n’a pas amélioré les choses. L’exception pédagogique est d’abord un fait (souvent illégal) avant d’être une loi. Le législateur, poussé par les lobbys qui défendent les intérêts de leurs entreprises, hésite à aller trop loin et sent bien que se trame là une évolution assez radicale dont on a du mal à percevoir les contours. Le constat qui déplore le fait que les fonds de dotation à l’achat des ressources dans les établissements n’ont pas été consommés comme on le pensait (variable selon les évaluations retenues) met à jour une sorte d’incohérence voire de paradoxe. On leur donne les moyens et ils ne les utilisent pas ! En fait, la photocopieuse et le numérique sont passés par là. Le copier-coller a commencé sur la vitre du photocopieur avec les ciseaux et la colle, aujourd’hui il se poursuit avec le même mouvement, mais numérisé.
Autre problème important, celui de la protection des enfants mineurs. Espace public, l’établissement scolaire, parce qu’en plus il accueille des jeunes mineurs se doit d’encadrer leurs activités afin qu’elles ne permettent pas de dérive. On comprend dès lors les filtrages, les contrôles et autres systèmes de surveillance qui visent à essayer d’anticiper certains comportements en les interdisant. Mais comment préparer à la vraie vie si on ne peut s’y frotter ? Le paradoxe de l’école est qu’elle doit exécuter sa mission d’éducation à un monde vis-à-vis duquel elle doit mettre en place les protections pour éviter que des maux, en limite ou au delà de la loi, ne touchent les jeunes. Entre la charte informatique et la mise en place de proxy et logiciels de filtrage plus ou moins performants, on ne sait que faire, mais on fait. Du coup certains jeunes vont s’éduquer en dehors de l’école… Car très vite on parle de situations extrêmes, mais la simple interdiction de diffuser des vidéos issues de serveurs en ligne dans un établissement peut avoir des effets de désintérêt massif pour l’usage scolaire du numérique ainsi aseptisé.
Certains font venir les gendarmes dans l’école (Guignol a encore de beaux jours devant lui !), d’autres des associations dites de prévention, d’autres encore des spécialistes éducatifs qui, comme certains, vont bien au delà de la loi et donnent des conseils « scientifiques » de défiance vis-à-vis du numérique. Du constat scientifique d’une nuisance à l’apologie du tout sécuritaire, il n’y a qu’un pas que l’on franchit très rapidement avec la médiatisation de quelques faits montés en exergue. Les jeunes, nous dit Danah Boyd, ont appris à sécuriser eux-mêmes leur environnement numérique. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas les aider, mais cela signifie que leur maturité sur le sujet mérite qu’on les écoute et qu’on parle avec eux. Malheureusement trop souvent, dans ces soirées, ces après-midis et autres réunions du genre, on sépare (ils se séparent eux-mêmes parfois) les parents, les élèves, les enseignants. Le travail nécessaire à mener avec les élèves (pas de même nature suivant les âges) est avant tout un travail d’explicitation, puis d’explication et enfin d’élaboration de modes de fonctionnement à défaut de règles.
Si l’on considère comme Daniel Hameline que l’autonomie, c’est l’art de se créer des lois et de les respecter, il est temps d’engager dans nos établissements une vraie réflexion sur cette autonomie, aussi bien pour les adultes que pour les jeunes. Les enseignants n’échappent pas à la critique, ils la méritent aussi. Il serait trop facile de rejeter sur les jeunes et la nouvelle génération des comportements que nous avons, nous adultes, largement contribué à construire, à défaut de les agir nous-mêmes. Un peu d’humilité est nécessaire, il suffit de regarder nombre de comportements d’adultes (sur la route, dans les transports en commun) pour comprendre que le rapport à la loi est à rapporter à la capacité de chacun à commettre de petites incivilités, en considérant que ce n’est jamais important… Alors avant de photocopier, ou de recopier tel ou tel document pour les élèves, il serait bon que chaque enseignant s’interroge sur son respect du droit avant de pouvoir interpeller ses élèves. C’est à ce prix que l’on pourra donner de la force et de la légitimité à nos enseignements, en quelque sorte, l’exemplarité face à la loi… même pour le numérique.
Bruno Devauchelle
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