En milieu populaire comment faire entrer les parents en relation avec l’école ? Maryse Charmet, enseignante en Rased dans la région grenobloise, s’appuie sur le jeu pour créer un véritable réseau où parents, enfants, enseignants, intervenants apprennent à se connaître et à échanger. Et où, surtout, les parents deviennent des « interlocuteurs valables ». Cette expérience sera présentée au 6ème Forum des enseignants innovants à Nantes les 5 et 6 avril.
Maryse Charmet enseigne dans la région Grenobloise depuis 32 ans. Après plusieurs années comme directrice elle est devenue rééducatrice (enseignante spécialisée chargée des aides rééducatives) en RASED. » Quand j’étais directrice, j’ai pu faire le constat que, si beaucoup d’élèves trouvaient leur compte dans nos efforts pédagogiques, un certain nombre d’entre eux continuaient à rencontrer des difficultés. Ceux-là avaient besoin d’autre chose, d’une autre aide qui leur permettrait de rentrer dans les apprentissages autrement et de leur donner du sens. La seule réponse pédagogique ne leur convenait pas. C’est ce qui m’a amené à passer le CAPASH G pour devenir rééducatrice ».
Votre projet s’intitule « On joue ensemble ! », qu’est-ce qui vous a motivé à sa mise en place ?
L’école primaire d’une des villes de mon secteur nécessiterait les moyens qui sont affectés aux établissements placés en zone prioritaire. Ce n’est pas le cas car le collège auquel elle est rattachée n’est pas dans une telle zone. Pourtant, elle accueille un certain nombre d’enfants et de familles qui auraient besoin d’autres aides et d’un accompagnement pour leur permettre de s’inscrire autrement dans l’école et d’y prendre place. Cette ville n’a pas de structures d’aides (CMP – CMPP… etc.) à proximité. La plus proche est à 30 kilomètres. Une distance qui ne permet absolument pas à ces familles d’ envisager la mise en place d’un suivi.
Face à ces difficultés et à ces manques, nous avons commencé, il y a 4 ans maintenant, à travailler avec les partenaires sociaux et médico-sociaux installés sur la commune. Nous avons initié des groupes de travail réguliers qui nous ont permis de nous connaître et de créer un réseau de professionnels autour de l’école et en lien avec les enseignants et les familles. C’est à l’issue de la première année de l’existence de ce groupe qu’a démarré le projet « On joue ensemble ». Il réunit tous ces partenaires (enseignants, parents, assistantes sociales, infirmières PMI, travailleuses familiales, responsables centre aéré, ludothèque, médiathèque et RASED). Il s’agissait de mettre en place un dispositif dans l’école maternelle de ce secteur qui permettrait aux familles de faire connaissance autrement avec l’univers scolaire et avec ses partenaires, de tisser des liens et de se sentir suffisamment en confiance et reconnus pour enfin oser prendre une vraie place dans l’école.
Concrètement, comment ça se passe ?
Afin de pouvoir s’adresser à toutes les familles, il a été décidé, avec l’équipe enseignante, de proposer le dispositif aux parents de façon fractionnée en trois périodes de 5 séances la première année. Par la suite, cette organisation sera revue à la demande des parents. En période 1 le dispositif est mis en place pour les classes de grande section ; en période 2 pour les classes de moyenne section et en période 3 pour la classe de petite section. Ce temps de jeu est organisé à raison d’une fois par semaine le jeudi matin de 8h30 à 9h30 dans la salle du RASED .
Les parents qui l’ont souhaité se retrouvent dans la salle avec leur enfant pour jouer avec lui et échanger avec les autres parents et les accueillants. Ils peuvent venir avec leurs enfants non scolarisés, ce qui constitue pour eux un dispositif passerelle. Dès 8h20, nous mettons à disposition des jeux (Légos, Kaplas) le temps que tout le monde soit arrivé. Les enfants jouent librement. Les parents prennent le café et échangent. La rééducatrice reste tout d’abord dans le hall de l’école à l’accueil des familles qui sont susceptibles de venir ce matin-là. Puis il y a un regroupement avec la présentation de chacun et un « quelque chose à dire ». Ensuite un ou plusieurs jeux sont proposés. Nous terminons avec une histoire, un album ou un conte et quelques échanges.
Ce projet a-t-il modifié vos façons de travailler ? Comment réagissent les différents partenaires ?
D’autres relations sont installées avec les enseignants, les familles, les partenaires. Des liens existent construits sur la confiance et la reconnaissance mutuelle : ils permettent de travailler ensemble de façon plus aisée et plus simple et d’être, du coup, plus efficaces. Les personnels se connaissent bien, les familles nous reconnaissent. Nous pouvons collaborer, en réseau et répondre plus rapidement maintenant aux besoins qui se font connaître. Les différents partenaires engagés Conseil général, Education nationale, élus locaux et municipalité apprennent également à collaborer autrement, à partir du terrain…
Du point de vue de l’équipe pédagogique, pouvez-vous nous en dire plus ? Le jeu implique personnellement, comment cela se traduit-il ?
C’est un travail qui touche l’essence même de la question relationnelle. Un aspect souvent sensible au niveau de l’école. La question de la formation à la relation des enseignants est fondamentale dans l’école à refonder. Actuellement, elle est inexistante. C’est un manque criant. Les enseignants spécialisés des RASED sont formés à la relation qui constitue la charpente-même de leur métier. Ce dispositif qui réunit divers professionnels et les parents est un lieu pour mettre au travail cette question. Chacun apprend à rencontrer l’autre, à l’écouter, à le connaître et à le respecter, même s’il n’est pas du même avis. On met au travail l’empathie, le non jugement, le respect, la solidarité dans un climat de confiance. « On joue ensemble » est aussi un lieu pour s’ « entraîner » à être ensemble et « faire ensemble ». Un lieu pour vivre et faire vivre la bienveillance.
Les accueillants se retrouvent régulièrement après chaque rencontre pour faire le point sur ce qui s’est passé, ajuster et prévoir la suivante. C’est une belle expérience de travail en réseau. Du travail participatif. Co-réflexion, co-construction. Le point plus sensible concernant ce type de projets tient au fait que, très souvent, ceux-ci reposent sur des personnes. Ce sont souvent elles qui le pensent, l’organisent, le font vivre. Nous avons eu besoin de réfléchir aux conditions nécessaires à une pérennisation de « On joue ensemble »
Comment ce projet évolue-t-il au cours du temps ? Quelles suites comptez-vous lui donner ou quels prolongement dans votre activité ?
Nous avons eu la chance de bénéficier il y a deux ans d’un temps de formation-réflexion autour de ce projet pour le penser, l’analyser et le réajuster. Ce temps nécessaire a permis de prendre du recul et de penser à structurer davantage ce dispositif avec l’objectif d’aider à ce qu’il se pérennise. Un comité de pilotage regroupant IEN et chefs de service du Conseil général et de la PMI a été créé. Il se réunit 2 à 3 fois par an. Il représente les institutions, apporte une lisibilité au projet : cette forme de reconnaissance institutionnelle est davantage garante de l’avenir de « On joue ensemble ». Des actions s’inventent et viennent s’y greffer. Les parents ont voulu prolonger ces temps de jeu partagés après l’école : tous les quinze jours, le lundi, les parents qui le souhaitent se retrouvent à la sortie de l’école dans une salle prêtée par la ville. Ils y restent un temps avec leurs enfants qu’ils ramènent de l’école, leurs tout-petits, ceux qu’ils gardent. Les enfants goûtent et jouent ensemble. Les parents discutent, jouent aussi et partagent. La ludothèque municipale a vu sa fréquentation monter en flèche. Pour la troisième année consécutive, un groupe de parents volontaires issu des participants à « On joue ensemble » met en scène un conte à plusieurs langues ( arabe, swahili, espagnol, portugais, allemand, chinois, turc..). Ils le joueront devant les classes de l’école maternelle et les CP, cette année, au mois de juin. Une demande se précise concernant des soirées plus à thèmes où parents et professionnels se retrouveraient de façon conviviale pour échanger sur des questions qui émergent lors de nos rencontres du jeudi. « Comment dire non ? », « Les fratries.. » « Le sommeil et l’école »… etc. « On joue ensemble » est un tremplin pour de nombreuses initiatives.
Comment les enfants, les parents s’approprient-ils ce lieu ? Et comment cela se répercute-t-il sur le vécu à l’école ?
Il va être difficile d’être exhaustive sur ce point tant il y aurait à « raconter »… Quelques exemples : Les enfants se saisissent de ce lieu. Ce sont eux qui maintenant demandent à leurs parents d’y participer. Le jeudi matin, ils réclament ce temps de rencontres. Ils l’ont intégré à la vie de l’école. C’est un temps pour eux, avec leurs parents dans leur école…
Pour les parents : Les relations avec les enseignantes de leur enfant ont vraiment changé : ils sont plus présents, plus facilement. Ils osent entrer dans l’école, s’y sentent davantage à leur place de « parents d’élèves » dans les échanges avec les enseignants. Certains parents prennent peu à peu une autre place dans les rencontres « On joue ensemble ». Ils deviennent acteurs à part entière, proposent des histoires, apportent des jeux, donnent leurs idées pour faire évoluer les rencontres suivantes. On les voit ensuite s’investir autrement à l’école (temps de jeux proposés pour certaines classes, investissement à la ludothèque en tant que bénévoles, représentation des parents d’élèves au conseil d’école). Cette année, pour la première fois, des mamans nous ont demandé comment on faisait pour voter aux élections de représentants de parents d’élèves.
Ils se sentent davantage reconnus à l’école en tant que personnes, en tant qu’ « interlocuteurs valables ». Cette reconnaissance se fait dans un double mouvement : à l’inverse, ils reconnaissent les enseignants et autres professionnels qui travaillent dans l’école. Une relation de confiance s’est installée. Qui est à nourrir, et à faire vivre, bien sûr…
Lucie Gillet