Martial Gavaland a beau enseigner les sciences en lycée, il enseigne aussi aux petits. Il présente au 6ème Forum des enseignants innovants un projet qui amène des lycéens suivant l’enseignement d’exploration de seconde Méthodes et Pratiques Scientifique (MPS) à présenter des expériences scientifiques à des écolier. Cet enseignant expérimenté sait qu’il n’y a rien de tel pour amener des élèves à maitriser un sujet que de leur demander de le transmettre…
Pouvez-vous nous préciser dans quel cadre se mène votre projet ?
C’est d’abord le cadre libérateur des « non contenus » proposés par les enseignements d’exploration de seconde, avec un maître mot « communiquer à autrui de manière claire et adaptée, présenter, exposer….. ». Il faut trouver des situations, des dispositifs qui s’y prêtent. Un atout non négligeable : le fait que cette option ne conditionne pas la délivrance de notes dans le bulletin. Ensuite c’est une équipe : nous sommes deux enseignants de Physique Chimie et Sciences et Vie de la Terre du lycée La Colinière à Nantes et les enseignants de l’école primaire La Cerisaie de Sainte Luce-sur-Loire. Ce projet bénéficie a 40 élèves de 2nde option MPS et 100 élèves de primaire (CP au CM2).
Il s’agit pour les élèves de 2nde d’être dans une « vraie » situation de communication. Ils doivent mettre en place des situations à destination d’élèves plus jeunes qu’eux. Contrairement à l’ordinaire, l’enseignant n’est pas le seul receveur du message porté par l’élève. Pour donner du sens aux apprentissages, il faut permettre aux élèves de se mettre en situation de transmettre un message clair, rigoureux, adapté. L’enseignant est là pour réguler, remédier aux avancées des projets portés par les élèves de 2nde. De plus, il s’agit d’une forte transposition du dispositif des TPE en classe de 2nde. Dans le cadre d’une démarche de projet, on demande à l’élève un travail personnel ou d’équipe qui devra intégrer obligatoirement une production (expérience, exploitation de données, modélisation, etc.) et aboutir à une forme de communication scientifique (compte rendu de recherche, affiche, diaporama, production multimédia etc.). Ce travail conjuguera les apports des différents champs disciplinaires concernés. Il a pour but de développer des compétences relationnelles cognitives : essentiel ou périphériques, des faits, des opinions, à s’interroger sur les données valides ou erronées.
Comment cela se passe-t-il dans votre établissement, avez-vous constaté une émulation autour de cette approche ?
Ce projet permet de vraiment travailler par compétences en situation d’intégration. L’approche par compétences ne peut être parcellaire disciplinairement et temporellement. Il faut laisser du TEMPS aux élèves de 2nde pour s’approprier, élaborer, réaliser, maîtriser savoirs et savoirs faire, remédier, améliorer, pour ensuite « communiquer de manière simple et adaptée ». Seuls l’enseignement d’exploration MPS, les TPE dont le suivi des compétences acquises est souvent « oublié », et n’apparaît pas assez explicitement et régulièrement dans le carnet de bord, et l’enseignement de spécialité en TS permettent cette notion de pédagogie de projet.
Actuellement, les collègues de Sciences, curieux, viennent observer nos « mouflets » accompagnés par nos élèves de 2nde. Ils voient mieux ce que l’on pourrait faire de ces espaces de « liberté » du BO, enfin décloisonner, enfin sortir le « savoir scolaire » de son enceinte, l’échanger, en faire un lien social d’un bassin géographique entre jeunes générations. Mais il y a un « hic » !
Quels sont donc les obstacles ?
Le « hic » : il ne faut pas perdre de vue notre rôle : FORMER et EVALUER en continu le suivi des élèves de 2nde par une évaluation formative de compétences. Il ne faut pas avoir une attitude béate et croire que tout est joué d’avance. Il a fallu bien saisir notre rôle d’enseignant : guider sans dévoiler – imposer des objectifs lointains (recevoir les CM et CP) et proches (concevoir des expériences simples, une structuration progressive d’un plan de présentation) – réguler les apprentissages. Chaque semaine, nous fixons un objectif pédagogique attaché à des compétences, explicitement évaluées. Il faut être très organisé dans la planification du projet.
Par contre je n’ai constaté aucune résistance car ce sont les enseignants et les professeurs des écoles qui ont lancé le projet. Ils sont d’accord. Mais aucun autre tandem ne s’est mis en place, on est dans une dynamique qui relève de l’engagement de quelques personnes. Nous n’avons pas vraiment eu de contraintes d’emploi du temps. Nous avons l’aval de la hiérarchie de l’établissement, le soutien des deux côtés (IEN et IPR). De toute façons, ça ne coûte rien (grand maître mot de notre système). C’est géographiquement à côté. C’est simple, efficace et concerne un nombre important d’élèves.
J’ai vu bon nombre d’expérimentations échouer car il y a trop d’intermédiaires, il faut de l’argent, ça coince avec les emplois du temps, les nombreux partenaires, les changements de direction, d’orientation politique locale ou nationale, et de plus ça ne concerne parfois que quelques élèves ! Je crois que si on imposait cela au BO dans la mission enseignante, ça marcherait car je constate que beaucoup de professeurs attendent qu’on leur assigne enfin une mission claire ou un projet réaliste à mener.
Exposez-nous comment vous déclinez le projet à l’échelle de l’année scolaire :
Au cours de l’année, résumons. Dans un premier temps, les 2nde préparent des ateliers de 15 minutes pour les CM : chaque binôme de 2nde doit préparer, maîtriser des manipulations de Physique Chimie et de Sciences de la Vie et de la Terre. Il doit préparer une fiche activité papier pour les CM. (Sept – nov). Ils sont 2 élèves de seconde à présenter devant 2 ou 3 élèves des CM qui tournent toutes les 15 minutes. Durant 1h30/2h, un enfant de CM fera 8 ateliers et repartira avec 8 fiches d’activités, qu’il pourra retravailler avec son enseignant.
Par la suite l’enseignant du primaire fait un bilan avec ses élèves et ceux-ci choisissent de travailler un thème en particulier (nov – fev) par exemple, les plantes, la lumière, l’électricité ou les volcans… Parallèlement, pendant ce même temps (nov- fev), nos 2nde s’auto évaluent (photos, vidéos) pour voir leur défauts, leurs qualités durant leurs présentations. Puis ils refont la même démarche expérimentale sur d’autres thèmes choisis pour les CP. Mais avec un obstacle supplémentaire, ils doivent tenir compte des connaissances et contraintes des enfants (apprentissages de la lecture, écriture, chiffres). De ce fait, faire une fiche activité papier adaptée.
En février-mars, nos 2nde vont observer les travaux des CM et ceux-ci se prennent au jeu, les enfants mettent les 2nde en activité expérimentale : là c’est FABULEUX. Notre objectif d’enseignants est alors atteint : nos collègues du primaire ont dévolué le problème et ont laissé les enfants élaborer, réaliser, et surtout présenter et mettre les élèves de 2nde en activité. Bravo. Ici, le savoir devient acteur d’un lien social.
Durant la même période, février-mars, nous accueillons les CP au lycée pour mettre en œuvre la deuxième session de séances préparées par les 2nde comme évoqué plus haut. Pour les CP, c’est la grande découverte : lycée, labo, manipulations, 6 à 8 ateliers aussi pendant 1h30.
Mais l’année n’est pas finie !
Les élèves de CM qui ont présenté leur projet unique (lumière, plantes, électricité ou volcans, …) ont encore des questions ! Durant le temps restant (mars – mai) : nos élèves de 2nde répondent collectivement à ces questions par des apports de savoirs et la mise en œuvre de manipulations. Le peu de temps restant nous oblige, enseignants de PC et SVT du lycée, à cadrer les manipulations faisables. Puis une fiche expérimentale commune est élaborée à destination des CM. En mai : retour des CM pour mettre en œuvre la fiche élaborée qui répond définitivement à leur problématique. La part expérimentale est dominante. Chaque binôme de 2nde a en charge un groupe de 2 ou 3 CM durant 1h/1h30.
Pour un élève de 2nde, c’est une grande expérience de communication orale claire et rigoureuse accompagnée de faits expérimentaux, c’est de plus un apprentissage des TPE. Mais l’intérêt est encore ailleurs….
Constatez-vous des bénéfices de ce projet sur l’implication des élèves ? A-t-il eu une incidence sur le partenariat avec les familles ?
L’implication initiale est difficile au départ pour certains, car ils sont encore dans la « routine » : je dois travailler pour le prof. Mais le jour, où les enfants de CM arrivent au lycée. Là, ça ne plaisante plus. Ils sont dans un état de stress incroyable. Car ils savent au fond d’eux-mêmes que ce n’est pas le professeur qui les jugera au final !
Certains élèves de 2nde timides ou élèves un peu « rebelles » deviennent excellents et se transcendent pour de multiples raisons : ne pas paraître idiot, respecter les « petits », les intéresser, les faire manipuler…devenir responsable Il faut dire que la première présentation au 1er groupe de CM durant quinze minutes par les 2nde est parfois délicate. Mais dès le turn-over, le binôme se parle et se ressaisit…car ils présentent 4 fois la même activité à 4 groupes différents…c’est là, où nous, enseignants, mesurons leur capacité à s’adapter, à améliorer, à remédier. Nous sommes dans l’évaluation de compétences dans l’action, in visu.
Du côté des familles, les parents ont eu le sentiment que cette option (MPS, non notée donc qui ne sert à rien soi disant !) avait un acte formateur fondateur d’une école ouverte. Nous avons également de très bons retours du côté des enseignants du primaire, et au total nous mettons notre lycée, nos laboratoires, notre matériel au service d’une découverte des sciences pour 4 classes (les CP, les CM2, CM1/CM2) soit plus de 100 enfants.
Un petit mot de votre motivation à participer au forum ?
Pour faire vivre quelques grands principes :
1) respecter un principe de Jean Michel Zakhartchouk : » Dans toute expérimentation, il faut faire rejaillir l’essentiel qui pourrait ensuite être généralisé et profitable au système éducatif »
2) voir, encore se former au contact des autres projets, partager les doutes et interrogations des autres et leurs solutions pour devenir efficace, pas au sens productiviste, dans les phases d’apprentissages scolaires. Quand un enfant, un élève entre en classe, il doit « apprendre ».
3) Ne pas se sentir seul et pour légitimer notre pratique, toujours qualifiée d’innovante ou d’expérimentale depuis 50 ans. On rêve. Que l’institution assume enfin que nous sommes des professeurs normaux et que nous éduquons aussi avant tout !
Propos recueillis par Lucie Gillet