Et si on tentait l’école bienveillante pour tous y compris le enfants handicapés ? C’est ce thème de l’école inclusive qu’aborde le colloque Ecole et Handicap organisé par le réseau de chercheurs Ophris et l’IFé les 19 et 20 mars. Si ce colloque permet de créer une dynamique qui rassemble et de montrer la volonté de tous de créer l’école inclusive, des questions restent en suspens. « On nous dit ce qu’il faut faire, mais on ne nous dit pas comment il faut faire ? »
En ouvrant le colloque, George Pau-Langevin, ministre chargée de la réussite éducative, affirme d’emblée une volonté politique très forte de réussite éducative pour tous. De l’amélioration quantitative réelle depuis la loi de 2005, elle souhaite que l’on passe rapidement à une amélioration qualitative. Il s’agit pour elle d’une évolution, plus seulement sociale, mais sociétale, afin de permettre à chacun d’être « un citoyen à part entière », au sein d’une école bienveillante pour les enfants handicapés (et les autres…).
« Que serait une « société développée » si une partie de ses acquis n’était pas de se mettre au service de l’autre, celui qui est « différent » ? ». Pour Axel Kahn, président de la FIRAH ( Fondation Internationale de la Recherche Appliquée sur le Handicap) il est nécessaire d’éduquer le regard, l’affectivité de ceux qui parviendront ainsi à savoir agir avec une bienveillance accrue. L’intervention de Teresa Assude, de l’université d’Aix-Marseille , responsable de l’Ophris (Observatoire des Pratiques sur le Handicap Recherche et Intervention Scolaire), pleine de sensibilité et d’humanité, est axée sur le partage des difficultés ressenties par les professionnels. Elle oriente son propos vers la mise en synergie des recherches à partir de leurs insuffisances.
Après ces discours introductifs, la matinée se poursuit avec une conférence de Delphine Guedj, de l’Université de Montréal. Elle accompagne des enseignants dans des changements de pratiques. Depuis quatre ans, une vingtaine d’enseignants au sud de Montréal se questionne sur les conditions qui favorisent l’apprentissage des élèves ayant des troubles de la communication en classe ordinaire. Pour elle, il y a cinq défis à relever pour les enseignants : – communiquer avec ces élèves en utilisant d’autres points de repère que ceux utilisés ordinairement (des gestes, des images, des pictogrammes, le corps) – diminuer progressivement le « moment de l’angoisse » qui perturbe les comportements – prendre confiance après le bouleversement – trouver une zone de confort pour l’enseignant (une adéquation entre ses valeurs et leurs mises en action sur le plan pédagogique) – trouver son équilibre entre s’engager et s’épuiser, chercher de l’aide et en donner. « Il ne s’agit pas de penser la scolarité des élèves au travers d’adaptation de matériels ou autres moyens mais bien plutôt de repenser les modalités entières de l’approche proposée en classe pour tous les élèves », dit-elle.
L’intervention de Charles Gardou, de l’université Lumière Lyon 2, pose les fondements et enjeux anthropologiques et philosophiques d’une société « inclusive », dans laquelle on différencierait le « vivre » de l’ « exister », on réunifierait les univers dissociés, on s’interrogerait sur la question de la norme et de la conformité dans des conditions réunies de justice et d’équité. Le handicap exige de réunifier le singulier et l’universel. Il ne suffit pas de vivre sur un même territoire, il faut encore en partager le patrimoine. Offrir à l’ensemble commun un « chez soi pour tous » en permettant l’expression des singularités, accompagné de toute une modalité de suppléances est un enjeu de taille. Notre temps peut-il se priver de nouveaux horizons ?
Il est difficile de se résoudre à choisir parmi les nombreux ateliers de l’après-midi, quelques-uns retiennent plus l’attention. Il y est question de représentations sociales de professionnels de l’enseignement au sujet des dispositifs de formation à l’école inclusive; savoirs professionnels et dispositifs de formation en mathématiques pour des enseignants spécialisés; accompagnement du déplacement des postures de lecteurs en IMPRO, par exemple.
Le colloque continue le lendemain d’explorer les approches et les pratiques.
La table ronde, animée par Eric Plaisance, université Paris Descartes, réunit des directeurs de l’OVE (Oeuvre des villages d’enfants), association qui gère des établissements médico-sociaux, très implantée en Isère, une enseignante spécialisée de CLIS, un formateur en travail social, un inspecteur général et un inspecteur ASH. Cette rencontre affirme que notre système scolaire a du mal à approcher la démarche inclusive. Une étude de l’OCDE montre l’incapacité de l’école à prendre en charge les enfants les plus en difficultés. Si bienveillance et ambition doivent aller de pair, l’équité trouve-t-elle son compte dans l’égalité de traitement ? Ne serait-il pas nécessaire de prévoir de nouveaux aménagements ? Pour l’inspecteur, « les théories du développement de l’enfant et de l’apprentissage méritent d’être davantage développées » dans la formation des enseignants. S’adresser aux enseignants « ordinaires », est une priorité, car l’éducation inclusive s’adresse à tous les élèves ! Il faut donc intégrer la formation propre à ce domaine dans les formations initiale et continue. Mais n’est-il pas important aussi de prendre la mesure du ressenti de l’enfant en lui donnant la parole plutôt que penser l’inclusion pour lui ? Accompagner les évolutions de la scolarité des jeunes orientés vers le secteur médico-social, entre projets d’établissements et projets individuels, s’avère plus que porteur. Des expériences de partenariat externalisé existent : des enseignants attachés à l’ITEP interviennent dans des collèges, des passerelles entre collège et classe extériorisée réussissent. Pour cela, les différents partenaires de l’Education Nationale et du monde médico-social doivent apprendre à mieux se connaître.
Philippe Mazereau, université de Caen, aborde le thème de l’inclusion sur trois niveaux : valeurs, pratiques ordinaires ou spécialisées, organisations mises en œuvre collectivement. Son étude menée porte sur le paysage contrasté de l’inclusion, l’intégration scolaire restant en partie une démarche fondée sur l’investissement individuel des familles et des enseignants. Il tente de dégager des principes-guides, pouvant se traduire dans la pratique quotidienne, en termes de stabilisation de compétences collectives et organisationnelles pour que ces situations deviennent l’ «ordinaire » de l’école.
Se succèdent ensuite de nombreux ateliers, avec des communications d’Hervé Benoit, rédacteur de la revue de l’INS HEA (Institut national supérieur pour le handicap et les enseignements adaptés) sur l’analyse des discours sur l’inclusion ; Thierry Dias de la HEP (Haute école de pédagogie de Lausanne) sur des mathématiques adaptées ; d’autres encore sur l’autisme ou l’influence des pratiques inclusives dans le développement professionnel des enseignants. Serge Thomazet et Corinne Mérini analysent les activités collaboratives d’enseignants néo-titulaires à partir de leurs tensions professionnelles. La clôture du colloque arrive. Rendez-vous est pris pour l’année prochaine.
Dominique Gourat