A Besançon, les TIC ont déjà une longue histoire. Vous vous souvenez peut-être du réseau « Lumière » qui dès 1994, installa 144 fibres optiques dans la ville, reliant en haut débit les équipements culturels, les administrations, les hôpitaux, les écoles, la chambre de commerce, l’armée… Mais pour essentiel qu’il fut dans la mutation technologique de services concernés, ce réseau ne concernait pas les particuliers.
Forts de leur volonté politique, les élus locaux des 59 communes du « Grand Besançon » ont donc cherché à diminuer cette « fracture numérique » dont on mesure désormais la menace. Ils ont donc proposé aux entreprises et services publics locaux de récupérer les ordinateurs qu’ils renouvelaient (essentiellement des Pentium II), dans le but de pouvoir en équiper les écoles, mais aussi les familles. Une structure intermédiaire a été créée : un CAT (Centre d’Aide par le Travail) a qualifié ses adultes handicapés à la remise à niveau des machines, configurées avec Windows 98, un pack libre pour la bureautique, une encyclopédie Hachette et des logiciels éducatifs écrits par des enseignants.
Les entreprises on joué le jeu, à la fois pour l’image citoyenne, mais aussi parce qu’elles n’avaient plus à se préoccuper du recyclage, ni à répondre aux fréquentes demandes des enseignants ou des associations qui venaient frapper à leur porte.
Quand les élus jouent les Pères Noël
« Nous avons cherché à fabriquer un parc homogène, explique M. Lambey, directeur du département technologique de la communauté d’agglomération, en étant persuadés que les besoins éducatifs ne nécessitent pas forcément un matériel dernier cri. »
Ensuite, une fois la rentrée faite, l’information est diffusée aux familles et aux écoles, et le matériel est distribué en novembre. Cette année, ce sont encore 1000 foyers qui ont été équipés gratuitement, pour un coût moyen pour la collectivité de 40 €.
Mais la collectivité ne s’est pas contentée de faire le Père Noël. « Nous avons organisé un véritable plan de formation, en collaboration avec les structures relais que constituent les associations. Chaque famille a reçu une bourse de 60 € pour l’aide à l’équipement Internet, et une carte donnant accès aux cours et à l’utilisation du matériel installé dans les Espaces Publics Numériques des quartiers ». La Caisse des Dépôts a financé la formation d’animateurs spécialisés, qui ont d’abord aidé à structurer les formations de base (bureautique, accès à Internet). Cette année, on a développé des stages de perfectionnement, pour travailler l’image ou la mise en page. « On a du mal à voir le niveau de pratique. Cette année, les demandes de formation sont en baisse. Mais peut-être les familles disposent-elles maintenant de ressources pour s’auto-former ? »
En tout cas, dans les maisons de quartiers, les animateurs sont très motivés par l’utilisation des outils informatiques, les enfants reviennent régulièrement.
Un espace fédérateur : l’ENT
Du coup, on se rapproche petit à petit de l’objectif : permettre aux élèves d’avoir accès aux mêmes outils à l’école, dans les centres de loisirs ou à la maison. « Mais il manquait un espace fédérateur. C’est pourquoi nous avons repensé un véritable ENT (espace numérique de travail) accessible aux enseignants, aux élèves, aux familles, pour remplacer ce que nous avions monté en 1999 à partir de Lotus Notes ». Le projet de Besançon a été labellisé par le Ministère de l’Education Nationale, seul de son espèce en France avec celui de Limoges. La moitié du coût (150 000 E) est à la charge de la ville, le reste étant financé par l’Etat et la Caisse des Dépôts.
L’outil, accessible à http://ecoles.grandbesancon.fr,
permet d’accéder à une ensemble d’outils : agenda, « cahier de texte » et « carnet de liaison » permettant un suivi entre l’école et la maison, messagerie, forum, hébergement de site, gestion administrative et même un suivi entre écoles et services municipaux (commandes et demandes d’intervention). Les écoles qui le souhaitent peuvent accéder aux vidéos par Internet proposées par France 5. Chacun, élève ou enseignant, peut y laisser ses propres documents sur un « bureau virtuel » qu’il retrouvera où qu’il se trouve, à l’école, à la maison ou au centre de loisirs, grâce à son code personnell.
Impossible de savoir pour l’instant le sort que les enseignants vont réserver à l’outil, installé depuis quelques semaines. « On a eu pas mal d’enseignants qui ont râlé aux premiers balbutiements du système, c’est la preuve qu’ils en avaient l’usage… Nous avons la possibilité de rerouter sur notre ENT les messages administratifs envoyés par l’éducation nationale aux écoles, chacun pouvant ensuite lire les courriers sur l’ENT ou dans sa boite mail.» D’ores et déjà, on recense environ 8000 utilisateurs, enseignants et élèves. « Les animateurs TICE de l’Education nationale ont fait du bon boulot. Mais les crédits peinent à arriver pour former les maîtres. Nous avons même proposé à l’inspection académique de mettre des moyens pour la formation des enseignants, mais nous sommes conscients que nous ne sommes pas les mieux placés pour avoir les compétences pédagogiques. Il faut accompagner, si on veut dépasser les 20% des enseignants qui sont prêts à s’y mettre spontanément. C’est l’Education Nationale qui peut le faire. Ce n’est pas nous qui allons imposer le carnet de correspondance électronique avec les familles. »
L’utilisation des outils informatiques pose toujours problème, dans toutes les professions, puisqu’elle interroge les manières de faire, explique M. Lambey « Quand il faut modifier les habitudes, on est tous pareils : quand il faut changer, on résiste. Ca n’est pas spécifique aux enseignants… »
Coordonnatrice ZEP, Patricia confirme que les enseignants utilisent d’abord les outils informatiques pour leur propre usage. Mais les difficultés peuvent surgir là où on ne les attend pas : la simple coexistence de Word et d’OpenOffice sur les réseaux empêchent parfois les uns de relire les fichiers des autres…
Pour elle, une des premières vertus de l’équipement a été de mieux faire communiquer les écoles et la mairie : que ce soit pour une panne informatique ou un virus, les services de la ville réagissent rapidement, comme une hot-line professionnelle. Même les commandes ou les petites réparations de matériel scolaire transitent par ce circuit, améliorant le service fourni aux écoles.
Côté élèves, elle croit à la démarche d’équipement des familles : « Avoir un ordi à la maison, pour les élèves de notre ZEP, ça permet d’être comme tout le monde. Les enfants sont plus à l’aise avec le traitement de texte, aller sur Internet, commencer des recherches ».
Mais du côté des maîtres, elle sait qu’il va falloir être patient. Comme la mairie, elle déplore le peu de moyens mis par l’Education Nationale pour former les personnels, souvent hors du temps scolaire. Elle souligne les difficultés que posent l’utilisation des machines dans les habitudes scolaires. « C’est très gourmand en temps, tant qu’on ne maîtrise pas bien la technologie. On se met progressivement à faire de la bureautique, mais je ne pense pas que beaucoup de collègues en soient à développer un carnet de correspondance numérique avec les parents », comme le permet pourtant l’ENT mis en place.
Comme le montrait le reportage du Café à Meaux, http://cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pages/2006/pratiques_66_accueil.aspx,
il semble bien que la construction de l’usage des TICE dans les écoles ait encore un long chemin à parcourir, même quand les élus jouent le jeu du travail collaboratif efficace.
Patrick Picard