Quelle place l’école française veut-elle faire au plurilinguisme ? Samedi 18 octobre, Andrea Young intervient dans le cadre de l’université d’automne du Snuipp. Maitre de conférence çà l’Espe de Strasbourg, une région où le plurilinguisme est signifiant, A Young explique pourquoi le plurilinguisme est un enjeu majeur et comment le mettre ne place dans un objectif d’intégration.
Pour Andrea Young, sociolinguiste et maîtresse de conférences à l’ESPE de l’Académie de Strasbourg, le terme du plurilinguisme n’est pas encore bien compris en France, où on envisage les langues sous l’angle d’une maîtrise parfaite. Selon la formulation du Conseil de l’Europe, il s’agit d’être capable d’utiliser plusieurs langues, pas forcément toutes au même niveau : par exemple lire un menu dans une langue et donner une conférence scientifique dans une autre. Le « plurilingue » peut maîtriser une langue et se débrouiller pour la parler, comme il peut seulement la comprendre sans produire.
Le plurilinguisme est pourtant un enjeu majeur dans le contexte de développement des nouvelles technologies qui permettent à la plupart des familles de garder un lien constant avec le pays d’origine, et de maintenir leur langue. Aujourd’hui, la diversité se mute en « super diversité ». Là, entre source, ressource d’enrichissement et conflits possibles, le plurilinguisme est en tension et se pose la question de comment intégrer les langues des élèves, dès le début de la scolarité.
Pourquoi est-ce bien d’être bilingue ?
S’appuyant sur des sondages et des entretiens avec des directeurs d’école notamment, Andréa Young rapporte que souvent, pour eux, engager un travail sur d’autres langues va freiner l’apprentissage de la langue de scolarisation. Certains disent de façon explicite « on n’a pas le droit de parler sa langue à l’école ». Plus implicitement, en demandant de parler français on veut que tous se comprennent, sans se demander ce que comprennent ceux qui ne le parle pas. En interrogeant des étudiants en formation initiale, elle constate aussi qu’ils ne considèrent pas les « allophones » comme des « bilingues », alors qu’ils sont en fait des bilingues en devenir.
Enfin, elle pose la question du pourquoi est-ce très bien d’être bilingue ou trilingue dans des langues européennes et mal vu dans d’autres langues ? Cela ne constitue-t-il pas une forme de discrimination pour des enfants qui tous, savent parfaitement la place que l’école fait où non à leur langue, constitutive de leur identité et à laquelle ils sont fortement attachés. Difficile de construire une identité métisse si l’estime de soi n’est pas au rendez-vous ! L’absence de reconnaissance des compétences liées à sa langue, voire parfois leur dénigrement, peuvent avoir des effets délétères. Tout le défi du travail que mène Andréa Young avec les professionnels est de leur faire considérer comme positif le fait de maîtriser une langue quelle qu’elle soit. On raisonne trop souvent sous l’angle du déficit par rapport à la langue française.
Alors quelles pistes possibles ?
Laisser parfois les enfants s’exprimer dans leurs langues et communiquer entre eux, même si cela demande de la part de l’enseignant un « lâcher prise » parce qu’il ne comprend pas le fond des échanges, constitue un possible. Même s’ils parlent une autre langue, on voit s’ils sont au travail ou non… Leur dire quelques mots dans leur langue pour marquer une reconnaissance (1), travailler sur des contes, des comptines, des ouvrages en langue d’origine, utiliser des imagiers bilingues, des livres bilingues « home made » (2), tracent d’autres pistes. Andréa Young note qu’il est important de savoir précisément quelles langues sont parlées à la maison pour afficher dans l’école des informations et messages dans toutes les langues d’origines et leur donner une place légitime. L’écoute d’histoires favorisant imaginaire et travail d’évocation est important à développer dans les deux langues.
Une formation qui s’appuie sur la résolution de problèmes
Malgré leur bonne volonté, beaucoup de professionnels qui n’ont pas été formés n’arrivent pas à entrer en relation et à communiquer avec ces enfants très jeunes. Avec le risque de les ignorer et donc de perdre un temps précieux dans l’apprentissage de la langue. Andréa Young n’enseigne pas une discipline et il est donc difficile d’obtenir des heures à l’ESPE. Elle a 6 heures avec les professeurs d’école stagiaires sous forme de cours magistraux, mais cela lui permet tout juste d’informer, d’expliquer la situation et de présenter quelques idées. Dans le cadre d’une option, elle dispose aussi d’unités de 24 heures qui lui permettent d’aller plus loin. C’est un travail de groupe, avec la technique de l’apprentissage par résolution de problèmes (ARP) qui permet à chacun d’exposer les problèmes concrets rencontrés sur les lieux de stage, charge au groupe de réfléchir collectivement à des solutions applicables. Le rôle d’Andréa Young est d’enrichir le débat par des éclairages vidéos, des témoignages, les apports de la recherche. Cette approche qui repose sur la confrontation entre pairs est, pour elle, beaucoup plus efficace.
L’école a-t-elle les moyens de relever le défi de l’intégration ?
L’école a un rôle essentiel à jouer pour aider à l’inclusion. Ce ne sont pas uniquement les enfants qui doivent s’adapter. L’école a du mal à suivre le rythme d’une société qui bouge à toute vitesse. Les mouvements de population sont multiples et divers. Lors des anciennes vagues d’immigration, les gens abandonnaient plus facilement leur langue au profit de celle de leur pays d’accueil. Aujourd’hui, transports et communications facilités, les liens avec les pays d’origine restent plus forts. L’école a le devoir de former des citoyens qui vont vivre ensemble, se comprendre et accepter leurs différences. Pour ça, elle doit valoriser mieux qu’elle ne le fait les compétences des élèves. En Alsace, une évaluation a montré que les enfants qui suivent les cours de l’ELCO (3) en arabe et en turc, sont plus de 90 % à maîtriser au moins la compétence A1. Le système scolaire doit valoriser ces élèves en leur offrant des parcours de formation qui ne soient pas limités à l’anglais et l’allemand.
Pierre Gerarni
Notes :
(1) : Un site d’ une école canadienne propose la présentation de leur langue par des élèves bilingues en devenir: où est-elle parlée, quelques mots simples : une mine !
http://www.newburypark.redbridge.sch.uk/langofmonth/
(2) : Le site du CASNAV de l’académie de Strasbourg par exemple contient des ressources intéressantes.
http://www.ac-strasbourg.fr/pedagogie/casnav/
Le projet « Photo de classes » est un magnifique exemple de cette démarche d’inclusion et de reconnaissance des élèves plurilingues.
http://www.photo-de-classe.org/#/accueil
(3) : Enseignements en langue et culture d’origine