Dédoubler l’une des 2 heures de philosophie en séries technologiques, cette revendication reste urgente pour les syndicats et les associations de professeurs. C’est la condition nécessaire à un enseignement adapté, estiment-ils. Après une première audience au ministère le 2 juillet, le collectif a obtenu d’être à nouveau reçu début novembre. Mais la discussion sur le dédoublement devrait pouvoir conduire à la question de la spécificité de l’enseignement de la philosophie en séries technologiques, son évaluation et son organisation.
Tous ensemble pour le dédoublement horaire…
L’intersyndicale constituée du SNES-FSU, CGT-Éduc’action, SUD-Éducation, SNFOLC, SNALC-FGAN, à laquelle se joignent les associations APPEP, A.C.I.R.E.Ph et SO.P.PHI, demande au ministère de rétablir le dédoublement horaire supprimé par la réforme Chatel. Lors d’une précédente intervention auprès de Benoît Hamon, en mai 2014, le ministère avait esquivé la demande en renvoyant à l’enveloppe globale des lycées pour les enseignements en groupes à effectifs réduits. Si « l’introduction des dédoublements en philosophie est possible dans le cadre de cette enveloppe globale », selon les termes de Bertrand Gaume, directeur du cabinet, il est évident qu’il y a loin de cette simple possibilité théorique à la mise en place réelle et durable de ce dédoublement. Parent pauvre de l’enseignement technologique, la philosophie n’est évidemment pas prioritaire dans cette course aux horaires où le jeu des coefficients arbitre les différends.
Forts d’une pétition signée par de nombreux enseignants de la discipline, le front intersyndical et interassociatif avait obtenu en juillet dernier une audience sans avancées significatives, mais avec l’engagement d’un nouveau rendez-vous en octobre 2014. Il s’agissait de faire entendre les besoins des enseignants sur le terrain, tandis qu’une démarche d’évaluation spécifique à l’enseignement de la philosophie, menée par l’Inspection générale, anticipait sur le bilan général de la réforme des lycées. Mais au-delà de cette volonté partagée du dédoublement horaire, les tensions et les divergences entre les différentes instances du collectif révèlent une situation plus complexe qu’il n’y paraît.
Mais avec des revendications différentes
Côté syndicats, par exemple, la revendication principale porte sur le rétablissement des heures dédoublées, dans toutes les séries et dans toutes les disciplines. Côté associations, le dédoublement vaut plutôt comme un préalable indispensable à la réflexion sur des modalités rénovées d’évaluation en séries technologiques, et sur le rétablissement des 4 heures en séries scientifiques. D’autre part, entre APPEP (Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public) et ACIREPh (Association pour la création des Instituts de recherche sur l’enseignement de la philosophie), le désaccord demeure sur les évolutions attendues de l’enseignement. Pour les premiers, le programme de notion reste le meilleur mode d’organisation de la discipline, tandis que l’ACIREPh réclame un programme de problèmes qui restreindrait le champ des sujets du bac. Pour l’APPEP, qui n’exclut pas cependant une réflexion sur les épreuves de l’examen en séries technologiques, une telle restriction consisterait à « régler le cours de l’année sur des épreuves qui garantissent la réussite au bac », au détriment de la formation de la réflexion critique. L’ACIREPh veut sortir de « l’impasse du baccalauréat » qui demande aux élèves des performances qu’on ne leur a pas apprises. L’APPEP refuse des changements qui masqueraient les difficultés des élèves sans rien apporter à la qualité de l’enseignement.
Et un problème récurrent : l’évaluation au baccalauréat
Point sensible de la philosophie au lycée, l’évaluation des élèves, en particulier lors de l’examen final, reste en effet une source de discussion vive entre les partenaires. Le groupe philo du SNES rappelle ainsi, dans un parallèle avec l’enseignement littéraire, le danger d’abandonner la forme de la dissertation au profit d’exercices qui évacueraient le débat et l’esprit critique au profit de la restitution mécanique de savoirs appris. L’apport de médiations supplémentaires, une explicitation des exigences et des critères d’évaluation, une diversification des exercices lui semblerait préférable. Pour l’ACIREPh, le programme de notions « infaisable car contenant en puissance un nombre indéfini de problèmes qu’aucun élève ne peut maîtriser » invalide d’avance les évaluations traditionnelles. Les interminables discussions qui émaillent les commissions de jury de bac montrent la difficulté de s’accorder sur ce qui est attendu d’une copie d’un point de vue formel. L’ACIREPh préconise de centrer le travail (et l’évaluation) sur un apprentissage progressif et élargi sur plusieurs années, de l’argumentation philosophique. La Société des professeurs de Philosophie (SO.P.PHI) critique sévèrement l’ACIREPh pour son renoncement à la dissertation et l’APPEP pour sa mise en cause des questions sur les textes en séries technologiques. L’Inspection générale de philosophie semble, pour sa part, ne pas souhaiter trancher trop hâtivement en faveur de transformations insuffisamment fondées et peu consensuelles.
Ce sont ces enjeux antagonistes qui formeront le délicat arrière-plan de la prochaine audience du collectif au ministère. Avec une incertitude latente : jusqu’à quel point les tenants de positions divergentes sauront-ils faire entendre une voix unie en faveur de l’enseignement de la philosophie ? Tous se veulent témoins des besoins des élèves, en particulier dans les séries technologiques. Mais la défense de convictions militantes, à trop se passionner, ne risque-t-elle pas de recouvrir les réalités du terrain ? Un débat à suivre avec attention.
Jeanne-Claire Fumet
La position de l’APPEP (rapport moral 2013-14)
La position de l’ACIREPh (présentation de l’association)
La position de la SO.P.PHI (engagement de l’association)
Le communiqué intersyndical sur le site du groupe philo du SNES
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