Tous deux sociologues de l’éducation, Sylvain Broccolichi et Christophe Joigneaux travaillent depuis plus de 4 ans à une enquête sur les conditions actuelles d’entrée dans le métier des professeurs des écoles débutants. Un livre qu’ils coordonnent. Il en présentent les principaux résultats lors d’une intervention à l’Université d’automne sur Snuipp le 18 octobre. L’enquête doit être publiée en 2015.
Une enquête, quelle enquête, pourquoi ?
Savoir comment se construisent les façons d’enseigner à l’école primaire, est le point de départ du travail de Sylvain Broccolichi et Christophe Joigneaux, travail qui prend en compte l’étude des parcours et formations des enseignants, mais aussi des contraintes et préoccupations liées à leurs conditions d’exercice. Depuis 2010, ils étudient les parcours et l’évolution de professeurs débutants dans des contextes différents, dès leur formation initiale et pendant au moins trois ans. Ils s’appuient sur des entretiens semi-directifs et sur des observations dans leur école et leur classe. Ils travaillent sur l’école primaire dans sa globalité et ont extrait ce qui se rapporte à la maternelle. Ils sont allés voir du côté des enseignants, sans vouloir juger, mais plutôt comprendre pourquoi les enseignants font ce qu’ils font d’un point de vue ergonomique et sociologique.
Y’aurait comme un hiatus !
Les préconisations en formation initiale sont parfois trop ambitieuses. Lors de leur première prise en main de classe maternelle, les débutants ne se sentent pas préparés du tout. Ils ressentent fortement une « spécificité » (le fameux esprit de l’école maternelle !) mais sans la cerner réellement. Les difficultés qu’ils rencontrent lors de ce premier bain avec les plus petits sont plus marquées qu’en élémentaire. Quels contenus proposer à de jeunes élèves ? Comment ne pas « se planter » ? Comment éviter l’occupationnel ? Comment gérer 5 ateliers ? Comment faire en sorte que les élèves soient le plus possible autonomes ? Comment faire avec 30 zones proximales de développement différentes ? Comment préparer la classe ? Quel type de support privilégier ? Comment échapper parfois à internet et ne pas faire que des fiches, même si le désir est là, quand on n’a pas le temps de faire autrement, dans un contexte où on se sent tiraillés, avec un sentiment d’urgence perpétuelle ? Les débutants perçoivent des contraintes contradictoires entre ce qui est dit en formation initiale et ce qu’il rencontrent sur le terrain. Parmi eux, ceux qui peinent le plus à concrétiser les préconisations de la formation sont aussi ceux qui opposent le plus théorie/pratiques et tendent à juger la formation excessivement ambitieuse ou théorique car éloignée des conditions d’exercice réelles. Décliner les prescriptions leur demande trop de temps de réflexion et de transposition pour être réalisable, surtout dans les premiers temps. Ils se sentent submergés. « Hiatus » donc entre le prescrit et la pratique… L’idéal du praticien réflexif leur semble tout de suite factice, de l’ordre de la fiction. Mais ce ressenti peut ausi être modéré par des échanges ajustés à leur questionnement, avec des conseillers pédagogiques et d’autres formateurs.
Quelle perception par la suite ?
Le manque de temps, de repères et de continuité dans les parcours d’entrée dans le métier sont donc patents pour les débutants. On retrouve aussi les effets de ce « hiatus », dus à la faiblesse de la formation continue et à leurs conditions d’exercice, chez des enseignants plus chevronnés en maternelle. Les entrants dans le métier, après quelques temps, commencent à percevoir la maternelle de façon moins stressée, en termes de plaisir d être avec jeunes élèves, avec le bonheur de les accompagner dans leur développement, moins de pressions dues aux programmes, aux évaluations, moins d’urgence temporelle, la possibilité de prendre du temps pour conduire de manière interdisciplinaire un projet, d’appréhender une approche plus globale des apprentissages, sans s’enfermer dans le carcan des disciplines scolaires. Ceux qui travaillent dans des contextes plus difficiles se plaignent plus de la lourdeur des effectifs, et d’une forte hétérogénéité. Il n’ y a jamais Un enseignant et Un élève qui se rencontrent !
Ouverture …
Des textes très ambitieux, en introduisant de plus en plus de complexité, en appelant à faire entrer tous les élèves dans les apprentissages dès la maternelle, amènent toujours plus de nouvelles prescriptions. Le projet de nouveaux programmes pour 2015 , s’il va globalement dans le bon sens, en est une illustration. Faire que le « hiatus » se réduise et que les enseignants de maternelle, débutants ou non, soient en capacité de décliner les prescriptions et de les mettre à leur main, dans leur contexte de terrain, devrait être rendu possible. Cette enquête constitue un point d’appui précieux pour contribuer à démêler les représentations et les attentes des uns et des autres .
Monique Robin