Un exercice aussi scolaire que le commentaire peut-il s’apprendre par le numérique ? Professeure de lettres au lycée Jean-Marc Boivin de Chevigny-Saint-Sauveur en Bourgogne, Isabelle Farizon a mis en place un dispositif qui trace à ce sujet d’intéressantes voies : l’écriture collective, sur un Pad, de l’étude d’un texte de Balzac. L’expérience s’avère fructueuse : elle stimule l’activité des élèves par l’interactivité inhérente à l’outil, permet de surmonter de possibles « empêchements » liés à la difficulté toute rhétorique de l’exercice, incite chacun à donner aux autres le meilleur de lui-même, le conduit à progresser par l’exemple d’autrui et la verbalisation des procédures en cours, procure la fierté du travail collectivement accompli. Outil d’écriture collaborative en ligne particulièrement simple d’utilisation, le Pad serait-il susceptible de régénérer, voire de sauver, l’exercice, sclérosé, du commentaire ?
Le commentaire portait sur un texte de Balzac : quelles sont les étapes de travail qui ont permis aux élèves d’élaborer peu à peu collectivement le plan de ce commentaire ?
La première étape est de faire une étude linéaire du texte à commenter : chaque élève aura été chargé d’analyser à la maison une ou deux phrases du texte en repérant des procédés d’écriture et en cherchant à les interpréter (quel est l’effet produit par ce procédé ? dans quel but l’auteur a-t-il utilisé ce procédé ?). Ensuite, en classe et collectivement à l’oral, on récapitule en suivant l’ordre du texte, dans un tableau en trois colonnes, citation/observation d’un procédé/interprétation, les commentaires trouvés par les élèves.
La deuxième étape consiste à passer de l’étude linéaire au commentaire thématique en élaborant un plan partant des remarques vers les axes thématiques et non des axes ou de la problématique dont les élèves n’ont généralement pas l’intuition.
Toujours ensemble, en classe et à l’oral, les élèves relisent la colonne intitulée « interprétation » et repèrent des récurrences, des convergences au niveau des significations du texte et des intentions de l’auteur. Elles sont listées au tableau : ces regroupements d’idées constitueront les futurs paragraphes du commentaire.
Puis les élèves regroupent ces paragraphes autour d’axes thématiques argumentatifs en se posant des questions du type : qu’a voulu montrer/dire l’auteur dans ce texte ? quels effets a-t-il voulu produire sur le lecteur ? quelle vision (du monde, de la société, du personnage…) transmet-il au lecteur ? Enfin, la classe réfléchit à l’ordre de ces axes pour que le plan du commentaire progresse du plus explicite au plus implicite, du 1er degré au 2nd degré…
Cette méthode de travail, avec élaboration du plan « à l’envers », a été détaillée dans un document publié dans la base de données du site WebLettres : « Méthode d’apprentissage du commentaire littéraire en 2nde « (l’accès à ce document est réservé aux internautes ayant un mot de passe d’accès au site WebLettres). Le plan ayant été ainsi construit et hiérarchisé, on peut passer à la troisième étape, la rédaction.
Comment se sont précisément déroulées les phases de rédaction ?
Une fois le plan détaillé établi, avec des axes, des sous-parties reliées aux remarques référencées dans le tableau en trois colonnes, j’ai confié à chaque élève la responsabilité de rédiger une sous-partie, ce que l’élève a fait d’abord au brouillon sur papier, lors d’une séance de travail dirigé (en groupe si possible) avec des conseils d’amélioration individuels.
Ensuite, nous nous sommes rendus en salle informatique pour utiliser un logiciel d’écriture collaborative de type etherpad ou framapad. L’ENT de l’établissement, Liberscol en l’occurrence, intègre cet outil ; mais il est très facile d’y accéder gratuitement en ligne et d’y créer un groupe de rédacteurs qui travailleront conjointement.
En effet, cet outil permet d’écrire simultanément sur un même document, à partir de postes informatiques différents. Chaque contribution est différenciée automatiquement par un surlignage d’une couleur différente.
J’avais créé la base du document en y copiant le plan détaillé du commentaire avec ses axes et ses sous-parties (surligné de couleur « rouge »). Les 24 élèves, placés en binôme sur 12 ordinateurs, ont donc très facilement recopié leur rédaction « papier » à l’endroit voulu du plan. Chaque élève a pu écrire à tour de rôle. Il y avait donc plusieurs versions rédigées de chaque sous-partie du plan ; pendant que les élèves travaillaient, je voyais s’afficher sur mon propre écran tous les paragraphes en train de s’écrire simultanément et je pouvais faire des remarques aux rédacteurs. Ce logiciel propose en marge à droite, une colonne « chat » normalement destinée à commenter les évolutions successives du document collaboratif. Les élèves s’en sont spontanément servis pour plaisanter entre eux et pour s’interpeler : cet usage ludique n’était pas prévu dans la séance de travail, mais de fait, il a permis aux élèves de « se défouler » et parallèlement, de mieux se concentrer sur le document collaboratif sans le parasiter par des interventions intempestives (chaque rédacteur ayant la possibilité de modifier ce qui est écrit par les autres).
A la fin de la séance d’une heure, nous avions un commentaire entièrement rédigé par les élèves. Restait à choisir entre les différentes versions et à les améliorer encore pour obtenir un commentaire de référence pour l’ensemble de la classe, le logiciel permettant l’export en .pdf.
Au final, quels sont selon vous les intérêts d’un tel dispositif d’écriture collaborative ?
J’aime inciter les élèves à travailler collaborativement en général car cela leur fait connaître les bienfaits du partage, chacun devant s’efforcer de donner un travail de la qualité de celui qu’il souhaite recevoir. Partager la tâche permet à chacun d’en faire peu mais pour, à la fin, obtenir tout ! Ainsi, cette forme de travail dédramatise des exercices qui semblent a priori « insurmontables » aux élèves, notamment l’exercice de commentaire littéraire, souvent considéré comme très difficile. Le résultat obtenu est très valorisant puisqu’il a été entièrement réalisé par la classe : les élèves constatent ainsi qu’ils sont capables de réussir par eux-mêmes. Ceux dont les contributions ont été choisies dans la version finale du commentaire sont très fiers d’eux et cela crée une émulation.
Quant au logiciel d’écriture collaborative qu’on peut utiliser à d’autres fins pédagogiques, il a un fonctionnement un peu « magique » car le document s’élabore et s’écrit « tout seul » sous les yeux de tous ; ses couleurs bariolées le rendent attractif, et le « chat » aide à travailler dans une ambiance détendue mais néanmoins dynamique. L’écriture simultanée permet de gagner un temps considérable : l’exercice peut être terminé en une heure seulement. Enfin, le fait que chacun travaille sous le regard des autres, pousse les élèves à faire de leur mieux et le résultat est souvent plus positif que ce à quoi l’on pouvait s’attendre.
Quels conseils (techniques ou pédagogiques) donneriez-vous à des collègues tentés de se lancer dans de telles expériences ?
De ne pas réfléchir trop longtemps et de se lancer, en laissant de côté appréhension, scrupules et inhibition ! C’est en forgeant qu’on devient forgeron, et rien de tel que l’expérience personnelle de ces nouvelles méthodes de travail pour en percevoir les bénéfices pédagogiques ! En l’occurrence, l’usage du logiciel de type « pad » est très intuitif surtout si on l’utilise tel quel, sans modifier les paramètres par défaut ; il permet d’obtenir des résultats intéressants et gratifiants très facilement et très rapidement. Il faut se faire confiance et faire confiance à ses élèves : même si techniquement on ne se sent pas complètement « au point », les élèves aident le professeur à trouver des solutions. Reste à accepter cette inversion des rôles traditionnels et à tirer parti d’une certaine spontanéité dans le déroulement de la séance pour rester centré sur l’objectif pédagogique sans que cela ne dégénère.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Présentation et documents sur le site de l’académie de Dijon
Prolongement : traduire un texte en latin avec un pad