J’ai beaucoup hésité avant de me décider à écrire cette chronique et à choisir la thématique. Mais comment échapper à la polémique sur le recrutement des médiateurs de la réussite qui plonge le corps des CPE dans une profonde inquiétude et qui fait ressurgir le débat permanent sur la fin du corps des CPE ? On pourrait espérer que plus de CPE, plus d’assistantes sociales, plus de psychologues scolaires et pas uniquement COP soient recrutés à la place de ces médiateurs de la réussite mais cela est un autre débat.
Les médiateurs existent depuis quelques décennies, il suffit de se rendre dans de nombreux établissements des Hauts-de-Seine pour en rencontrer. Et pourtant les CPE n’ont pas disparu des établissements des Hauts-de-Seine et des autres académies expérimentant ce dispositif. On ne les appelait pas « médiateurs de la réussite luttant contre l’absentéisme…. » . Dans ces établissements et dans ces académies, comme dans toutes les autres d’ailleurs, les CPE continuent à exercer quotidiennement la culture de la médiation, à lutter contre l’absentéisme, à remotiver les élèves. Contexte politique et de crise oblige, ces recrutements apparaissent aux yeux de certains comme un mirage ou une manière de stigmatiser un corps. Dommage !
J’ai eu à travailler avec deux médiateurs dans mon premier poste de CPE dans les Hauts-de-seine. Pour que la cohabitation se déroule bien, il faut dès le recrutement poser les contours et les limites. Contours et limites par rapport au conseiller principal d’éducation et à l’équipe vie scolaire, contours et limites par rapport au travail spécifique de l’assistante sociale et par rapport à l’équipe médicale. Il est important aussi de communiquer avec les enseignants et les personnels pour bien leur expliquer le champ d’interventions des médiateurs pour que certains n’utilisent pas directement les médiateurs mais passent d’abord par les personnels dont le rôle professionnel pour la prise en charge des élèves et des familles est bien identifié et reconnu. Il faut se mettre d’accord sur qui fait quoi, qui intervient dans quels champs. De même, il est important de se mettre d’accord sur l’organisation des entretiens, sur les postures professionnelles de chacun. Se posent aussi la problématique de la confiance, des échanges, de la discrétion, du secret professionnel. Dans quel cadre sommes-nous amenés à dire quoi ? Que peut-on dire aux élèves et aux familles ? Il faut donc du temps pour que s’instaure la confiance mais surtout une formation appropriée pour que les médiateurs maitrisent les rouages du système éducatif, pour éviter des conflits de pouvoir et d’intérêts, pour maîtriser leur affectivité, les sentiments de toute puissance, pour éviter qu’ils deviennent des électrons libres se pensant en dehors de tout cadre ou refusant de rendre compte ou de travailler en équipe.
Certes, sur les trois médiateurs avec lesquels j’ai eu à travailler, il y eut au début des frictions, des quiproquos, certains se comportant plus comme des grands frères mus par une mission prophétique voire divine. Et leur prise de position et action pouvait porter préjudice et être contreproductive. D’où le calibrage nécessaire, la formation, la construction d’une confiance réciproque.
La difficulté est qu’il faut du temps et que celui-ci manque. Il manquera d’autant plus qu’ils arrivent en fin d’année. Il manquera parce que s’instaurera comme pour les assistants d’éducation un certain turn over qui n’est pas propice à ce travail d’équipe fort. Ce turn over est en soi légitime puisqu’être médiateur n’est pas un métier même si se dégagent des compétences, il s’agit d’un tremplin pour accéder à l’emploi.
Par contre, les médiateurs que j’ai connus ne se rendaient pas dans les familles. Sur quel mandat et avec quelle légitimité les nouveaux vont pouvoir se rendre dans les familles ? Travailler avec les familles ne se décrète pas. Pour appréhender les questions et problématiques très complexes qui se jouent au sein des familles, il convient de faire preuve de technicité, d’expertise, de disposer là aussi d’une formation appropriée. Se rendre dans les familles pour quoi faire, quoi dire, quoi entreprendre ? Comment procéder pour les enfants en garde alternée ? Et les familles recomposées comment les appréhender ? Pour proposer quoi aux parents en difficulté ? Ou simplement pour nouer des relations personnelles qui peuvent se révéler dangereuses, piégeuses pour le médiateur lui-même et pour l’institution ensuite dans la mesure où il pourrait y avoir confusion entre posture professionnelle et posture personnelle. Le médiateur sera-t-il médiateur ou un grand frère de la paix sociale des quartiers défavorisés ?
Bien formés, les médiateurs peuvent constituer une plus-value, notamment dans l es établissements où le CPE exerce seul ses fonctions. Mon chef d’établissement avait pris à l’époque le soin de placer les médiateurs sous ma responsabilité par délégation. Nous avions mis en place dès le recrutement et dès la prise de fonction un protocole précis, des réunions hebdomadaires, des mises au point à partir des fiches d’entretien et de suivi conçues en équipe. Il faut beaucoup communiquer, se concerter, se faire confiance pour évier d’éventuelles dérives irrémédiables. Dès qu’une dérive apparaissait (propos insidieux, relation de proximité tendancieuse avec certains élèves, ou autres difficultés), la situation était immédiatement prise en main. Le message adressé aux personnels était lui aussi clair et précis, le CPE est l’interlocuteur privilégié et qu’il lui appartenait à lui seul, et après avoir travaillé la direction, d’indiquer aux médiateurs certains élèves pour lesquels un travail spécifique pouvait être entamé et cela dans un cadre précis. Il est vrai qu’ils disposaient du temps que nous n’avions pas. Ils s’occupaient d’une dizaine d’élèves au maximum et ce confort constituait une chance pour certains élèves qui avaient besoin d’une prise en charge quasi quotidienne et des familles qui nécessitaient un suivi étroit.
Je sais fort bien que certains établissements ont eu moins de chances que le mien mais d’autres aussi ont réussi à travailler parfaitement avec la plupart de leurs médiateurs. Et cela continue. J’ai visité l’an dernier un établissement du 92 où médiateurs, CPE, assistante sociale, infirmière, direction travaillent en parfaite collaboration. Dans cet établissement aussi, les limites sont fixées, les luttes d’intérêts s’effacent au profit de l’accrochage scolaire, de la remotivation et d’un changement comportemental de certains élèves qui auraient quitté le système sans cette intervention d’équipe organisée. San ce temps passé autour d’eux, temps dont ne dispose pas suffisamment CPE, assistante sociale, infirmière malgré leurs efforts.
Les médiateurs de la réussite ne pourront pas se substituer aux CPE parce qu’ils ne disposeront pas de leur légitimité, parce que leur durée d’exercice est en soi limitée, parce qu’ils ne pourront pas embrasser la globalité et la spécificité du métier complexe de l’éducation, parce qu’ils n’ont pas non plus le regard et l’expertise des personnels formés. Il est vrai que peuvent surgir des difficultés de cohabitation, de délimitation des actions, de craintes que les uns phagocytent les autres. Les médiateurs peuvent être un plus dans la lutte contre l’absentéisme, dans la médiation avec les élèves et les familles mais ce phénomène est si complexe, les problématiques qui le sous-tendent sont si profondes que je ne peux supposer qu’un médiateur d’aussi bonne volonté qu’il soit puisse placer le CPE ou l’assistante sociale hors jeu.
Par contre, le recrutement de ces médiateurs interroge en terme de message et de symbolique envoyés à un corps qui souffre depuis trop longtemps d’un manque de reconnaissance et de légitimité, qui a du mal à trouver sa place entre les différentes catégories. Les CPE voient donc dans ces médiateurs un nouveau coup de canif porté à leur corps. Ils voient en eux au mieux un effet de communication politique visant à calmer les inquiétudes en terme de recrutement et de baisse du chômage. Ils y voient au pire la volonté institutionnelle de démanteler le corps des CPE. Débat qui est devient de plus en plus criant depuis le rapport Thélot qui proposait de faire des CPE des adjoints de vie scolaire.
Gardy Bertili