Dans de nombreuses écoles, des enseignant-e-s passionnés donnent vie à des projets ambitieux en intégrant l’usage des TICE dans leur classe. Le Café a demandé à Bertrand Guigaz, rompu à de nombreux usages pédagogiques de l’ informatique, comment il parvenait à mettre sa passion au service de ses élèves de CP-CE1. Aujourd’hui enseignant chevronné à Gourdon, dans le Lot, après avoir travaillé en ville, en spécialisé, dans le rural, il fut parmi les pionniers qui, dès 1985, s’investirent dans l’informatique à l’Ecole, malgré les lacunes du plan ministériel de l’époque, Informatique pour Tous (IPT), qui avait inondé les écoles de TO7 et de MO5 dont nombre d’anciens gardent des souvenirs émus…
Vous pratiquez l’informatique à l’Ecole depuis plus de 20 ans. Qu’est-ce qui a changé, de votre point de vue ?
J’ai toujours utilisé les TIC dans mon enseignement depuis le plan IPT jusqu’à aujourd’hui : les techniques ont évolué, mais les objectifs restent les mêmes : que les TIC soient un outil démultiplicateur de la créativité, de la production, des échanges, …
On entend parfois que les enseignants ont du mal à s’y mettre ?
Depuis IPT, où l’informatique est arrivée dans le monde éducatif un peu en vrac, les enseignants ont toujours eu besoin d’un accompagnement pour s’approprier cet outil, c’est pourquoi nous avons créé l’association MédiaMômes, avec l’ambition d’accompagner l’appropriation de cet outil TIC par les élèves (donc par les enseignants), mais aussi par les parents des élèves toujours curieux de ce que font leurs enfants.
C’est grâce à cette opiniâtreté que toutes les écoles de Gourdon (de la maternelle au CM2) sont équipées en informatique depuis 98 ( huit postes en réseau, ADSL, portables, scanner, microscope, appareils photos et périphériques divers, …) et que les élèves peuvent « toucher » à l’informatique tout au long de leur scolarité. Dans notre école, composée de 5 classes de CP / CE1 (120 enfants), deux enseignants seulement avaient des « prédispositions » pour les TIC. Pourtant, l’école est devenue « école pilote TIC ».
Son architecture permet que les ordinateurs soient dans un grand hall accessible à toutes les classes et à la BCD, simplement en ouvrant la porte de la classe. Les portables servent en fond de classe à tout moment de la journée.
Mais on en fait quoi de cette informatique ?
Laissez moi vous raconter ce qui s’est passé l’an dernier à titre d’exemple (façon oncle Paul, c’est là que j’allume ma pipe 🙂
L’an passé, l’école Hivernerie s’est engagée dans un projet sur la nutrition, l’équilibre alimentaire et les bienfaits du sport. Nous pensions notamment écrire un conte et le présenter aux autres écoles participantes, via des conteurs engagés par une association partenaire et un spectacle de clôture du projet. Vous pouvez le lire à
http://pedagogie.ac-toulouse.fr/eco-pri-hivernerie-gourdon/article.php3?id_article=92
Mais le projet a dérapé… comme toujours 🙂
Comme nous gardons toujours à l’école, les albums ou autres productions réalisées par les générations précédentes, intégrées à la bcd, nous avions précédé l’écriture par une phase d’imprégnation par des produits finis : CD-roms, albums créés par d’autres élè-ves. Du coup, l’idée est venue de transformer leur histoire en album et en CD-rom.
Vint ensuite le moment de se confronter à la réalité : organisation du projet et mise en oeuvre.
Nous avons tracé la ligne de vie du projet et posé quelques jalons dans le temps. Ainsi l’histoire devait être écrite assez rapidement pour être communiquée aux autres écoles. Il fallait donc inventer, écrire et mettre en forme pour communiquer. Nous avons éga-lement décidé de ne l’illustrer que dans un deuxième temps. Puis, enfin de créer l’album (mise en page, …) et de le transposer, seulement ensuite, sous forme d’un CD-rom : une histoire interactive (« en pensant à ceux qui ne savent pas encore lire ! ») et des jeux à propos de l’histoire (« comme ceux qu’on a vu dans le CD de « Pierre et le loup » et puis aussi ceux que le maître nous a fait en lecture. »)
Calendrier global du projet
Période 1 : Spectacle Mimi et Hector : sensibilisation au problème de l’alimentation + travail sur l’alimentation + création d’un premier album.
Période 2 : Imprégnation (du travail de classe) : albums, CD-rom, structure d’un conte + écoute de contes (conteur).
Période 3 : Écriture, mise en forme, illustrations : réalisation de l’album+ envoi des contes à l’association.
Période 4 : Synopsis du CD-rom (organigramme), réalisation de la maquette (maître), création des écrans, maquette des jeux, réalisation des jeux, tests, corrections. *
Période 5 : Enregistrements audio, choix des ambiances, jingle, musique.
La compilation de l’histoire et des jeux sur CD-rom Mac/PC a été réalisée par le maître.
Le « déroulant » du projet est affiché sur le tableau « Mémoire » de la classe, s’enrichissant progressivement. Ainsi, l’idée du podcast m’est venue (à moi, non aux enfants) en rapprochant les enregistrements audio que nous ferions pour le CD du fait que je suis gros consommateur de podcast à titre personnel. J’ai donc proposé aux au-tres classes de préparer leurs histoires pour les lire à haute voix, en épisodes, devant un micro.
La création de l’histoire est toujours un exercice collectif redoutable… ? En quoi les outils informatiques sont-ils une aide ou un obstacle ?
La ligne étant tracée, nous avons démarré en recherchant la manière de créer une histoire et, surprise, les enfants ont été capables d’analyser et de restituer une trame tout à fait exploitable.
La partie rédaction de l’histoire s’est d’abord déroulée en groupes qui avaient pour objectif de créer le synopsis d’une histoire, sur la base de cette trame, avec des dessins, des textes (autant que possible), … pour le présenter aux autres.
Mais le travail avec des CP est long et difficile, puisque nous devons travailler en même temps sur la structure de l’histoire et sur la langue. Le traitement de texte sert aussi pour les brouillons : dans l’écriture avec l’ordinateur, on dissocie l’acte graphique de l’acte d’expression, on imprime pour que ce soit lisible, on peut gribouiller la feuille pour corriger, on n’a pas à recopier à chaque fois qu’il faut corriger…
On utilise aussi une synthèse vocale couplée au traitement de texte afin que lorsque l’enfant relit son texte, « quelqu’un » d’autre puisse lui relire. Cela lui permet de prendre la distance nécessaire. Il entend ainsi beaucoup mieux ses erreurs d’encodage…
Lorsque les groupes ont suffisamment avancé dans leurs ébauches d’histoire (personnages principaux, fil général de l’histoire, début/fin, chute, péripéties, …), chaque groupe présente sa « maquette » à la classe, du mieux possible, pour que nous choisissions une seule histoire.
Lorsque le choix fut effectué, nous avons retravaillé en collectif le synopsis définitif (en intégrant trouvailles, modifications inventées par les différents groupes et en apportant aussi des corrections), et l’avons présenté sous la forme d’une liste de points qui s’enchaînent. Puis nous avons retravaillé l’écriture en petits groupes, mais cette fois par épisode. Chaque groupe traitait un épisode, le présentait à la classe, qui amendait, … puis retravaillait, …
Nous sommes enfin arrivés à une histoire cohérente sur tous les plans : structure, langue correcte, intérêt et plaisir. Nous avons tapé ce texte et nous l’avons envoyé au conteur.
Et les illustrations ?
Nous sommes ensuite repartis en campagne pour les illustrations. Chacun dessinant dans un premier jet soit les personnages, soit un épisode, soit …. L’analyse des pre-miers dessins a montré une grande disparité dans les dessins des personnages comme des lieux clefs et des décors. Il a donc fallu décider d’une « charte graphique » (« que le personnage du dragon soit bien le même (graphiquement parlant) dans toute l’histoire »). Le choix ne s’est pas fait simplement et c’est après beaucoup d’aller-retours, et un travail sur des techniques différentes (craies, encres, gouaches, feutres, formats différents…) que nous avons abouti nos illustrations finales. Pour des raisons pratiques, après les premiers dessins, nous avons dissocié la création des personnages de la créa-tion des décors. Les personnages ont ensuite été rapportés dans leurs décors.
Un passage par le scanner a permis ensuite de s’attaquer à la mise en page de l’album. Le choix des illustrations et leur place dans le texte a été décidé en groupe classe, ainsi que la couverture (parmi un tas de modèles !), le maquettage du texte, … puis par petit groupe nous avons procédé à la mise en page : glisser déposer, application de styles, choix de polices, …
L’album a été tiré en couleur pour chaque classe et chaque enfant a eu son exemplaire (niveaux de gris, A5 encarté).
C’est alors que vous vous êtes attaqué au CD-ROM ?
Oui, Mais le travail sur le cd-rom a été le prolongement naturel de l’album, d’autant que les enfants avaient la culture du format CD-rom : ils n’ont eu aucun mal à conce-voir le produit fini. En effet, nous avons « joué » avec des CDrom à histoires depuis le début de l’année : CD-rom conçus par les générations précédentes, CD du commerce (Toboclic, Mobiclic, …)
Le CD rom a donc plutôt nécessité un travail sur la navigation, l’interface que sur l’histoire en elle même, qui était déjà aboutie grâce au travail sur l’album.
Le travail s’est axé sur deux axes : la charte graphique, la logique de fonctionnement d’un utilisateur, et la création des jeux d’autre part. Avec quand même un focus sur la lecture à haute voix et l’enregistrement des épisodes.
Les enfants ont assez bien conscience du concept de navigation (suivant, précédent, sommaire, retour au début, quitter, …) ou encore conscience du fait qu’on peut mélanger plusieurs médias (image numérique, son, texte) sur ce type de support. Ils font bien la distinction entre l’album papier et l’album interactif : la notion d’utilisateur actif est très présente, même s’ils ne peuvent pas l’expliciter.
Comme pour tous nos travaux, nous « brouillonnons » activement autour des épisodes choisis, avec la contrainte 1 écran (format A4 paysage) = 1 épisode dans lequel il faut intégrer tous les éléments nécessaires à l’écran : le dessiner « comme en vrai » !
Rapidement un problème se pose : les pages de l’histoire sont toutes différentes ! les éléments de navigation (les boutons) aussi !!
Retour au grand groupe pour mettre au point les différents boutons (design) liés aux différentes fonctions (il faut en faire la liste). Dernière chose qui n’a échappé à personne, ces éléments doivent se retrouver à peu près au même endroit d’un écran à l’autre.
Devant la liste terminée nous décidons d’ajouter une aide qui explique le rôle des boutons.
Et c’est reparti pour une deuxième mouture avec une double consigne : dessiner son écran ET dessiner les boutons (à partir de la liste des fonctions).
Nous votons pour choisir :
– les dispositions de page
– les boutons (qui seront réalisés par le maître)
Les maquettes / schémas des écrans étant prêtes, nous passons à la réalisation qui se fera sur la base d’une maquette préparée par le maître dans un logiciel d’intégration multimédia (QuickMedia).
En parallèle, nous nous sommes entraînés à la lecture des épisodes à haute voix et nous pouvons commencer les enregistrements (via QuickTime).
Chaque équipe constituée réalise son écran et le teste immédiatement. En parallèle d’autres équipes enregistrent les voix des épisodes.
Certaines équipes ont la charge des écrans de navigation : accueil, sommaire, aide, …
La partie histoire du CD-rom étant réalisée, il faut concevoir les jeux ?
Pour cette phase comme pour d’autres nous démarrons sur un tâtonnement « remue méninges » en listant tous les jeux que nous pouvons/voulons faire, puis un choix doit s’opérer sur la pertinence (par ex. : on a 3 jeux où il faut relier, mais aucun où on écrit), mais aussi sur la possibilité technique de le réaliser.
Enfin les équipes se constituent par paire pour la réalisation.
* Les enfants ont plusieurs références de « jeux » : des exercices que je leur prépare sous NetQuizz, un puzzle d’image et des mots mêlés. Curieusement personne n’a parlé de jeux vidéo ou autres du même acabit !!??
Les enfants, par équipe, « dessinent » leur jeu sur feuille, rédigent les textes, choisissent les images, … puis après correction chaque jeu est réalisé puis testé par d’autres en-fants.
La phase d’intégration dans le CD-rom est réalisée par le maître. La pochette est « de-signée » en commun, mais réalisée par le maître.
Et le podcast a été réalisé ensuite ?
Oui, le choix de fabriquer un podcast est venu de moi, très désireux d’essayer ce mode de diffusion. Je pensais qu’on pouvait y trouver un intérêt pédagogique pour des enfants de cycle 2, en plein apprentissage de la lecture. Il me semblait également intéressant de créer un lien avec les familles par ce biais.
Chaque classe ayant écrit son histoire à propos de la nutrition, nous nous sommes lancés dans la création d’un podcast : diffusion audio, en épisode, de nos histoires.
Chaque classe à donc procédé en plusieurs étapes :
– découpage de l’histoire en épisodes cohérents, ni trop longs, ni trop courts
– choix des lecteurs, des voix lors des dialogues, …
– entraînement à la lecture expressive à haute voix.
Puis par groupe, les enfants sont venus enregistrer dans notre « studio » : un iBook équipé du logiciel GarageBand. Ils ont pu faire sans difficulté technique du « co-pier/couper/coller » de la bande son pour monter proprement l’enregistrement des voix (bruits ambiants, blancs, clic de souris, …). Ensuite, nous avons choisi un fond sonore mattant en valeur l’histoire racontée, des virgules sonores ponctuant les épisodes….
Il ne restait plus que le mise en ligne sur notre site d’école : http://pedagogie.ac-toulouse.fr/eco-pri-hivernerie-gourdon/
En conclusion, les principaux bénéfices de ces projets, selon vous, pour les élèves ?
Je dirais juste que les TIC sont un outil et seulement un outil. Le coeur du métier, c’est le projet : fil conducteur des apprentissages, motivation du but à atteindre pour les en-fants.
Certes il faut apprendre les outils informatiques. Mais n’est ce pas indispensable à l’utili-sation de tout outil ? Même un manuel ou un fichier nécessite une appropriation par le maître…
Mais’intérêt spécifique de cet outil en particulier me semble être un formidable démul-tiplicateur de la créativité de nos élèves : réaliser, créer, produire, échanger sont les maîtres mots de nos journées. Et ça, ça motive drôlement !