Il a tout pour séduire. Venant après un ministre honni, Pap Ndiaye est intellectuellement proche de très nombreux enseignants qui respectent le militant anti-raciste et le brillant intellectuel. Mais deux mois après sa nomination, Pap Ndiaye semble ne s’être toujours pas installé aux affaires. Aucune décision ne semble porter sa marque. Si le ministre participe aux instances et rencontre des enseignants, la continuité l’emporte largement dans un ministère qui semble lui échapper. On lui souhaite des vacances apprenantes…
La chance de succéder à Blanquer
Contrairement à ce que certains croient, il n’est pas donné à tous les ministres de l’Education nationale d’avoir la chance de succéder à un ministre honni. L’adjectif n’est pas trop fort pour désigner JM Blanquer. Le Baromètre Unsa le créditait du soutien de 7% des enseignants, un record absolu, et de moins de la moitié des cadres du système éducatif, là aussi une situation totalement nouvelle. Peu de ministres aussi ont eu la chance d’arriver après un ministre en échec comme le fut JM Blanquer après des réformes pédagogiques coûteuses qui n’ont pas fait leurs preuves et une gestion tellement désastreuse qu’il revient à P. Ndiaye de chercher désespérément des enseignants.
Une aura positive
Peu de ministres aussi arrivent rue de Grenelle précédés d’une aura aussi positive. Historien spécialiste de la question noire, Pap Ndiaye apparait comme l’exact contraire de JM Blanquer. Il partage avec eux le militantisme anti-raciste et une vision de la société où les enseignants pensent se retrouver. Nommer un vrai intellectuel au ministère de l’Education nationale est aussi un grand atout pour un ministère qui veut éduquer les jeunes Français et leur apprendre à penser. Il faut probablement remonter à Jack Lang, un homme de culture venant après un ministre arrogant et détesté (Claude Allègre) pour trouver une conjonction aussi favorable. Toutes les fées étaient réunies le 19 mai autour du berceau du nouveau ministre.
Le poids des attentes
Sans doute Pap Ndiaye est-il dépassé par les attentes. C’est le revers de sa situation. Après des années d’agressions contre leur métier et leur statut, de harcèlement constant, les enseignants attendent de grands changements. D’abord en ce qui concerne leur rémunération et, à travers elle, la reconnaissance de leur place dans la société. Ils veulent aussi que leur travail soit considéré et reconnu, alors que depuis 2017 il a été constamment méprisé et même combattu par l’institution dont la mission est de les soutenir. Les enseignants veulent des signes tangibles, immédiats du changement.
L’ancrage dans la continuité
Et là on touche le premier facteur d’invisibilité du ministre. Choisi pour représenter le changement aux yeux des enseignants , et sans doute gagner quelques voix dans une élection particulièrement difficile, Pap Ndiaye est nommé pour appliquer une politique éducative qui est la même que celle de JM Blanquer. Sur ce point le programme électoral d’E Macron, puis la visite avec P Ndiaye à Marseille sont éclairants. Le ministre est là pour « refonder » l’Ecole , ce qui, une fois décrypté, veut dire passer à une nouvelle étape des politique impulsées depuis 2017. Celles-ci s’étaient usées d’abord contre la résistance efficace des enseignants puis sur la lame de fond du Covid qui a balayé à la fois les oppositions et les possibilités d’action. Passé le Covid, P Ndiaye doit porter les dossiers de 2017 : un management privé de l’Education nationale, favorisant la contractualisation et les chefs intermédiaires, réduisant les spécialistes autonomes de l’éducation que sont les enseignants en simples techniciens polyvalents. Le tout avec l’objectif de baisser sur le quinquennat la dépense d’éducation pour profiter pleinement de la baisse démographique.
Un entourage très politique
Pour mener cette politique, Pap Ndiaye a été bien entouré. A la tête de son cabinet un spécialiste de l’enseignement professionnel capable d’exécuter la réforme de fond de la voie professionnelle qui va la sortir de l’Education pour la pousser vers le Travail. Autour de lui des conseillers venus de la Cour des Comptes chargés d’appliquer les réformes que celle-ci n’a pas hésité à demander juste avant l’élection présidentielle : l’application en France du nouveau Management Public malgré ses ravages dans d’autres pays. Dans son entourage des conseillères en prise directe avec l’Elysée.
Qui pilote le ministère ?
D’un coté les attentes des enseignants. De l’autre la continuité macronienne. Pap Ndiaye aurait pu tenter le « en même temps » cher au parti au pouvoir. On est frappé de voir que jusque là Pap Ndiaye a choisi le rien du tout.
Il n’est pas le premier ministre de l’éducation qui arrive sans connaitre cette grande maison. C’est même la règle. Et les services ministériels arment ces nouveaux ministres d’un « Dossier ministre » leur permettant de se mettre au courant rapidement et d’arbitrer leurs choix. On a des exemples de ministre qui se sont mis très rapidement au travail et ont dirigé le ministère. N. Vallaud-Belkacem s’est emparée rapidement des dossiers, aidée par un entourage compétent. Plus vite encore, Luc Chatel, tout droit sorti de L’Oréal, est vite devenu incollable et a su faire passer une gestion désastreuse tout en limitant la casse sur le terrain éthique et en contrôlant un Dgesco aux dents longues.
Au bout de deux mois, on cherche en vain la signature du ministre dans l’action ministérielle. Certes Pap Ndiaye a de bons gestes. Il assiste au Conseil supérieur de l’Education , ce qui est une façon de saluer les enseignants à travers leurs représentants. Il les reçoit et les écoute. Récemment il visite le congrès de l’Ageem, l’association des professeur.e.s de maternelle.
Mais tout cela est annulé par les actes. A Boulazac (24), Pap Ndiaye se limite à proférer des banalités alors que ses services préparent concrètement un revirement pédagogique, le « plan maternelle ». Il confond encore dans son discours primaire et élémentaire, ce qui montre un haut niveau d’ignorance de son ministère.
On comprend que Pap Ndiaye ne puisse pas immédiatement relever les salaires des enseignants. Mais dans ce cas à quoi sert-il de faire des annonces qui viennent après tant d’années de promesses ?
On a aussi du mal à comprendre comment le ministre qui veut être jugé sur sa lutte contre les inégalités, laisse passer la circulaire qui ouvre aux directeurs d’école du privé l’usage des fonds sociaux. En pleine inflation, prélever sur des fonds en baisse (-17%) pour alimenter les familles du privé est à contre courant de ce que prétend faire le ministre. On ne sait pas si la circulaire lui a échappé ou s’il n’a pas encore réalisé son existence. En tous cas le texte n’est pas rappelé. On a du mal aussi à comprendre comment le ministre peut se satisfaire d’une hausse de 4% des bourses, déjà notoirement insuffisantes, quand l’inflation est à 6%. Comment le ministre qui veut lutter contre les inégalités peut-il aussi se désintéresser de l’avenir de la voie professionnelle et des droits des plus faibles des jeunes qui lui sont confiés.
Sans nul doute, la Dgesco a du préparer un solide cahier de vacances pour le ministre. On verra si Pap Ndiaye s’en empare et quel usage il en fera. Puisque continuité il y a, on lui souhaite de bonnes vacances apprenantes…
François Jarraud