Nous sommes arrivés à un point de rupture. Point de rupture pour les personnels, point de rupture pour le système. Ils doivent comprendre les orientations politiques libérales définies par le gouvernement et mises en œuvre à l’Éducation Nationale par Jean-Michel Blanquer. Chacun doit en percevoir les conséquences immédiates ainsi que mesurer les transformations profondes qui en découleront.
Fatigués, épuisés, éreintés, en burn out, en quête de reconversion professionnelle pour certains ou certaines, au bord de la démission pour d’autres, la tête dans le guidon pour les mieux lotis : cette brève énumération caractérise le vécu actuel des personnels de direction dans les collèges et lycées. Nous alertons solennellement, nous qui, aujourd’hui, ne sommes plus que la courroie de transmission indispensable aux réformes de l’Education Nationale. Mais, à force d’être trop tendues, c’est bien connu, les courroies s’usent plus que de raison, s’échauffent. Et rompent.
Parlons d’abord du slogan de Jean-Michel Blanquer, « l’école de la confiance » qui prévaut depuis son arrivée à la tête du ministère. Nous savons bien, nous les chefs d’établissement, que ce slogan est une véritable imposture. D’abord, parce que la confiance ne peut pas être une injonction ministérielle. La confiance est une construction progressive, impliquant un investissement dans les relations interpersonnelles, avec les personnels de nos établissements, les élèves, les parents, les partenaires, les autorités hiérarchiques. Elle implique la concordance des mots et des actes, c’est là que le bât blesse. Non seulement nous sommes régulièrement confrontés à des injonctions paradoxales, mais cette valeur de la confiance portée si haut par le Ministre, se heurte régulièrement à nos propres valeurs tant elle est mise à mal par des pratiques quotidiennes.
La DHG
Deux exemples suffisent à illustrer notre point de vue : actuellement, les personnels de direction tentent de préparer la rentrée 2021 avec une enveloppe budgétaire, calculée sur des prévisions d’effectifs. Elle devrait permettre aux établissements de fonctionner et d’accueillir les élèves dans de bonnes conditions d’enseignement, permettant de réduire les fractures engendrées par les crises sanitaire, sociale et économique. Le contexte sanitaire, ses conséquences sur les familles et les élèves, le fameux « quoi qu’il en coûte » présidentiel devraient s’appliquer également à l’Education Nationale pour la rentrée 2021. Cela ne sera pas ! De nombreux collègues ne savent pas comment ils pourront assurer les enseignements réglementaires. Certains horaires obligatoires figurant dans les programmes ne sont même pas financés. En lycée d’enseignement général et technologique, c’est un effet induit et direct de la réforme des lycées. Le dogme de Jean-Michel Blanquer, c’est de casser la notion de « classe » au profit des « groupes liés aux spécialités ». Cependant, le budget alloué à chaque établissement reste calculé sur le nombre de classes prévues et non sur le nombre de groupes créés. Les lycées ne peuvent pas fonctionner dans leur structure actuelle. Conclusion : cette réforme qui devait permettre le libre choix des élèves n’est pas financée par l’Etat. Organiser une réforme sans les moyens, c’est tromper l’opinion. Mentir, drapé de la parole publique, quel cynisme !! Ce sont les chefs d’établissement, qui, devant les enseignants et les usagers, porteront la responsabilité des « choix imposés ».
A la rentrée prochaine, 1800 postes d’enseignants seront supprimés dans les lycées et collèges, alors que nous mesurons l’impact important de la crise sanitaire sur les élèves. Si cette pandémie a une vertu, c’est de montrer que les services publics forment la colonne vertébrale de l’État. Que l’éducation des enfants est un bien commun qui ne doit pas se brader. Que la réussite des élèves ne se décrète pas par des injonctions et des éléments de langage portés par une communication ministérielle vide de sens.
Deuxième exemple : la gestion de la crise de la Covid-19
Nous sommes face à un gouvernement qui a choisi la politique du stop and go, en appliquant de nouvelles règles à chaque nouveau confinement. Nous en mesurons au quotidien l’impact psycho-social sur l’ensemble des personnels des établissements. C’est-à-dire de moins en moins d’infirmières dans les établissements, des médecins scolaires aux abois, et dont le nombre se réduit comme peau de chagrin, des assistants d’éducation fortement impactés. D’une semaine à l’autre, tout change. Par exemple la mesure de deux mètres dans les restaurants scolaires : ce qui est annoncé aux syndicats par le Ministère un vendredi soir (« cette mesure ne s’applique pas dans les restaurants scolaires ») est contredit dans une publication destinée aux établissements le lundi ; la mesure s’applique avec injonction de la mettre en œuvre au plus tard le 8 février. Nous vivons dans un univers administratif kafkaïen piloté par des personnes qui ne croient pas dans les services publics. Qui les démembrent et se régalent de la curée.
Pas de recrutement de personnels pour aider à la mise en œuvre des mesures sanitaires ni pour favoriser l’accompagnement éducatif et pédagogique des élèves. En parallèle, Jean-Michel Blanquer rend 212 millions d’euros au budget de la Nation.
Alors que le Ministre annonce le recrutement de 8000 assistants d’éducation, qu’en est-il dans les établissements ? Rien ! Cette mesure annoncée à grands renforts de communication se traduit par une autorisation donnée aux Rectorats de dépasser leur plafond d’emplois pour recruter des remplaçants aux absents pour cause de maladie. Concrètement aucun personnel en renfort.
Nous aurions pu continuer en parlant des mesures pour l’EPS, l’éducation prioritaire, la contractualisation, la mise en concurrence des élèves, des personnels et des établissements…
Cette fatigue des chefs d’établissement n’est donc pas l’unique conséquence de la Covid-19 : elle est intimement liée à la volonté actuelle de réduire les moyens des services publics, d’en saper les fondements. La stratégie engagée par le Ministre est de créer les dysfonctionnements pour justifier sa politique, elle met à mal « L’école de la confiance », qu’elle est censée mettre en œuvre. Pire : elle participe à la mise en question des services publics et de cette notion de confiance dans l’esprit de la nation et en cela même, cette politique constitue un danger pour le socle républicain. Il est indispensable de redonner force et crédit à l’Education Nationale, de reconstruire des relations respectueuses dans notre institution, de créer les conditions du bien-être, d’une écologie sociale et solidaire. Il en va de l’avenir de la jeunesse et de notre école.
Igor Garncarzyk
Secrétaire national du snU.pden-FSU