Après une journée d’interruption, l’examen de la loi séparatisme reprend le 11 février avec les articles relatifs à l’enseignement. L’article 21 concerne l’interdiction de l’instruction en famille, sauf dérogation. Les articles suivants le controle des établissements privés avec la création d’une procédure de fermeture administrative des établissements. JM Blanquer aura à défendre ces articles qui sont déjà très critiqués avec près de 800 amendements dont 400 sur la seule instruction en famille.
L’instruction en famille soumise à autorisation
L’article 21 du projet de loi séparatisme impose la scolarisation obligatoire dès 3 ans sauf dérogation. L’instruction en famille (IEF) devient dérogatoire alors que jusque là elle est un droit. Le projet de loi prévoit 4 cas de dérogations : l’état de santé de l’enfant, la pratique d’activités sportives ou artistiques intenses, l’éloignement géographique ou l’itinérance des parents ou encore « une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif sous réserve que les personnes responsables justifient de leur capacité à assurer l’instruction en famille ».
Il y a actuellement environ 60 000 enfants instruits en famille (sur 12 millions d’enfants scolarisés) dont la moitié pour des raisons de santé ou de handicap. Avec le nouveau régime d’autorisation environ 29 000 enfants ne pourront plus être instruits en famille. Un sondage récent réalisé par les associations des parents pratiquant l’IEF montre que la plupart des enfants ont connu l’école et que beaucoup de familles pratiquent les deux modes d’instruction. Enfin les rapports d’inspection réalisés par l’Education nationale dans ces familles sont positifs à 93%.
Aussi de nombreux amendements demandent la suppression de cet article 21. C’est le cas des députés LR (amendement Genevard 57 par exemple) qui dénonce « une atteinte à la liberté d’enseignement ». Patrick Hetzel (LR) dans l’amendement 531 explique où est l’atteinte. » le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 77‑87 DC du 23 novembre 1977, a établi « que le principe de liberté de l’enseignement […] constitue l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le préambule de la Constitution de 1946 et auxquels la Constitution de 1958 a conféré valeur constitutionnelle ». Le Conseil d’État, dans son arrêt du 19 juillet 2017 n° 406150 a précisément défini cette liberté en ces termes : « Le principe de la liberté de l’enseignement, qui figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, implique la possibilité de créer des établissements d’enseignement, y compris hors de tout contrat conclu avec l’État, tout comme le droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille ». Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 71‑44 DC du 16 juillet 1971 relative à la loi sur la liberté d’association, a jugé que l’exercice d’une liberté fondamentale ne peut pas être conditionné « à l’intervention préalable de l’autorité administrative ou même de l’autorité judiciaire », c’est-à-dire à une autorisation préalable ». L’article 21 a de fortes chances de ne passer le contrôle du Conseil constitutionnel.
A gauche, Cécile Untermaier et une vingtaine de députés socialiste demandent aussi la suppression de cet article par refus de l’amalgame IEF – radicalisation et parce que cet article « porte atteinte à la liberté de l’enseignement ». Des députés de la majorité défendent aussi ce point de vue , comme B Descamps dans l’amendement 688.
Au ministère, on minimise la portée de l’article. L’entourage du ministre parle de « filtrage ». Il estime que l’article a trouve le point d’équilibre entre deux principes constitutionnels : la liberté d’enseignement et le respect de l’intérêt de l’enfant.
Chaque famille devra déposer un dossier pour la rentrée 2022 et justifier de sa capacité à assurer l’enseignement en famille et notamment de sa maitrise du français, selon le sous amendement 2721 du gouvernement. A noter que ce sous amendement appuie un amendement déposé par A Genevard , députée LR. Les fonctionnaires chargés de délivrer l’autorisation vérifieront si la situation propre à l’enfant justifie l’enseignement à distance et si les parents peuvent justifier de leur capacité à assurer l’enseignement en famille. Faut-il un diplôme pour élever son enfant ? Un pouvoir aussi flou laissé à l’administration sur un droit aussi fondamental va probablement poser problème lors du débat à l’Assemblée.
Un accès réel de tous les enfants pauvres à l’Ecole ?
Un second débat s’est greffé sur l’article 21, celui sur l’attribution d’un identifiant à tout enfant en âge d’être scolarisé. L’article 21bis prévoit que « chaque enfant soumis à l’obligation d’instruction se voit attribuer un identifiant national ». L’enjeu de cet identifiant c’es l’accès effectif de tous les enfants à la scolarisation. Or des associations comme Ecole pour tous estime qu’environ 100 000 enfants vivant dans des bidonvilles ne sont pas scolarisés par refus des maires. L’entourage du ministre déclare que « le positionnement du ministre est limpide » et qu’il est favorable à la scolarisation de tous les enfants. Mais c’est pour ajouter quele travail de recensement et d’inscription par les maires « n’est pas simple ». Et on ne voit pas que l’Education nationale ait prévu d’accueillir un tel afflux d’enfants. Les maires non plus… LOrs d’un cas précis à Chilly Mazarin en 2018 le ministère s’était opposé à la scolarisation d’enfants pauvres.
Fermeture et controle des établissements privés
Les articles 22 à 24 portent sur le controle des établissements privés et surtout du privé hors contrat. L’article 22 autorise l’administration à fermer un établissement scolaire privé sur décision administrative. D’autre part l’administration controle aussi les enseignants embauchés par ces établissements. L’article 22 autorise par exemple l’administration a notifier une refus d’embauche d’un enseignant inscrit sur un des fichiers de police : personnes recherchées, radicalisation et auteurs d’infractions terroristes. En fait cet article pose problème comme le révèle un amendement gouvernemental (2207). Certains fichiers ne sont pas accessibles au préfet et surtout « le refus d’embauche ne peut être uniquement justifié par l’inscription dans un fichier qui ne permet pas à elle seule de caractériser une menace pour l’ordre public ».
D’autres amendements sont plus constructifs comme deux amendements d’Elas Faucillon (PC) qui demande de sanctionner les établissements privés qui n’assurent pas la mixité sociale (1988) ou la mixité des genres (1991). Il n’est pas certain que le gouvernement et la majorité soutiennent ces propositions…
François Jarraud