La mixité sociale c’est possible. Selon une étude de Julien Grenet et Youssef Souidi (Institut des politiques publiques), les trois expériences de mixité sociale lancées en 2016 dans 6 collèges parisiens ont réussi à infléchir nettement la composition sociale des établissements sans pour autant encourager la fuite vers le privé. L’étude démontre que la création de secteurs multi-collèges est « une piste prometteuse pour favoriser la mixité sociale ». Ce résultat positif interpelle la politique ministérielle qui a fait le choix de l’extraction des élèves « méritants » plutôt qu’encourager la mixité sociale.
Paris championne de la ségrégation
« Le bilan des trois premières années d’expérimentation (rentrées 2017 à 2019) est encourageant. Deux des trois secteurs ont atteint leur objectif de mixité sociale et entraîné une nette diminution de l’évitement vers le privé. Dans le troisième secteur, après des résultats initialement décevants, les écarts de composition sociale entre les deux collèges ont commencé à se résorber à partir de la troisième année d’expérimentation et l’évitement vers le privé a reculé ». Ce bilan positif est dressé par Julien Grenet et Youssef Souidi après trois années de suivi de 6 collèges parisiens des 18ème e 19ème arrondissements qui font l’objet d’expérimentations lancées en 2017.
Le premier intéret de ces expérimentations c’est qu’elles ont lieu dans la ville où la ségrégation scolaire est la plus forte. Selon l’étude le pourcentage d’élèves défavorisés varie dans les collèges parisiens de 61% à… 0%. Le contraste entre les collèges privés et publics est énorme : on compte 24% d’élèves pauvres dans les collèges publics en moyenne et 3% dans le privé, ce qui atteste du rôle que tient le privé dans l’évitement scolaire.
Selon les auteurs la ségrégation scolaire tient pour moitié aux inscriptions dans le privé et pour moitié à la définition des secteurs de recrutement des collèges, c’est à dire à la ségrégation résidentielle. Les autres modes d’évitement (dérogations) ne jouent qu’un rôle marginal.
L’expérimentation porte sur 6 collèges parisiens regroupés en binomes : Berlioz et Coysevox (18ème), Curie et Philippe (18ème) et Bergson et Pailleron (19ème). Ces collèges ont été réunis dans 3 secteurs multi-collèges, à charge pour le comité de chaque secteur de définir le mode de répartition des élèves.
Montée alternée
Dans le secteur Berlioz Coysevox, où Berlioz comptait deux fois plus de CSP défavorisées que Coysevox, le comité a opté pour une montée alternée : au départ les entrants de 6ème sont tous affectés à un collège puis un autre, en l’occurrence Coysevox en 2017. « La procédure de montée alternée a permis de renforcer considérablement la mixité sociale dans les classes de sixième de ces deux collèges au recrutement social diamétralement opposé. Les progrès de la mixité sociale ont été particulièrement marqués en 2017 et 2019, lorsque les élèves de sixième du double secteur ont été affectés au collège Coysevox : les classes de sixième de ce collège ont alors accueilli environ 30 % d’élèves de PCS très favorisées et 25 % d’élèves de PCS défavorisées, soit des proportions comparables à celles observées parmi les élèves de sixième domiciliés dans le double secteur », écrivent les chercheurs. Le taux d’évitement vers le privé a baissé, passant de 24 à 16%. Les auteurs parlent d’un phénomène de « retour vers le public » des parents favorisés du secteur de Berlioz qui a plus que compensé une hausse modérée de l’évitement sur l’ancien secteur Coysevox. Les parents ont laissé leur enfant dans le secteur malgré le changement de collège une année sur deux.
Ou choix régulé
Dans les 4 autres collèges, les comités ont opté pour une affectation par « choix régulé » c’est à dire par une affectation par un algorithme tenant compte du quotient familial. Le bilen est « plus contrasté » expliquent les auteurs.
Dans le secteur Bergson Pailleron on constate un net recul de l’évitement et un rééquilibrage de la composition du collège Pailleron même si la procédure n’a pas parfaitement fonctionné. La part des PCS favorisées est passée de 23 à 34% à Pailleron.
Dans le secteur Curie – Philippe, la procédure a moins bien fonctionné les deux premières années en raison de l’absence de données sur le quotient familial pour la moitié des familles. Cela a entrainé un fort déséquilibre entre les deux collèges et un effet d’évitement entre l’annonce de l’affectation et la rentrée. La révision du processus d’affectation a abouti en 2019 a répartir équitablement les CPS favorisées entre les deux collèges.
Un bilan extensible
Au terme de ces trois années, les chercheurs dressent un bilan très positif. « Les secteurs multi-collèges constituent une piste sérieuse pour favoriser la mixité sociale dans l’enseignement secondaire public lorsque, comme c’est le cas à Paris, la densité de population est suffisamment importante et le tissu urbain suffisamment diversifié pour que l’élargissement des secteurs de recrutement des collèges contribue au brassage social des publics scolaires. En France, ce type de configuration se rencontre fréquemment dans les grandes agglomérations urbaines. Des villes comme Bordeaux, Lille, Marseille ou Toulouse sont en effet traversées par des frontières sociales très marquées au sein de leur espace urbain ».
Ces trois projets parisiens font partie des 22 projets lancés en 2016 dans 12 départements par les collectivités locales avec le soutien de N. Vallaud-Belkacem. La création de secteurs multicollèges est utilisée dans 10 projets. 6 autres ont opté pour la resectorisation (Clermont Ferrand, Roanne). 4 projets misent sur l’amélioration de l’offre éducative (Brest, Montpellier) et 2 autres sont consécutifs à la fermeture de collèges ségrégués.
En mai 2019, un premier bilan avait été dressé lors d’un colloque organisé par la Ville de Paris. Il montre que le dispositif le plus efficace est la fermeture et le moins efficace est l’amélioration de l’offre éducative. Le colloque a aussi mis en évidence le fait que l’efficacité du dispositif dépend grandement de l’écart entre les collèges. PLus celui ci est important plus l’expérimentation réussit.
Mixité sociale pour la réussite de tous
Mais pourquoi se donner tout ce mal ? Il y a bien sur une dimension citoyenne : mettre sur les mêmes bancs les enfants de classes sociales différentes et créer des communs. Mais l’enjeu est aussi dans l’amélioration du niveau scolaire.
Les mauvais résultats de l’école française résultent en premier lieu de la baisse de niveau des élèves et des établissements les plus défavorisés. Une étude du Cnesco en 2015 a montré l’ampleur de la ségrégation dans l’école française. » En troisième, 10% des élèves fréquentent des établissements contenant 5% ou moins d’élèves CSP+ dans leur niveau ; à l’inverse, 5% des élèves ont plus de 60% d’élèves CSP+ dans leur cohorte, et même plus de 80% de CSP+ pour les 1% d’élèves (soit plus de 7000 élèves) dont les environnements sont les plus favorisés », montraient Son Thierry Ly et Arnaud Riegert. Le rapport du Cnesco montrait que cette ségrégation scolaire a un impact très négatif sur les résultats scolaires.
C’est aussi ce que montre l’étude de Béatrice Boutchenik et Sophie Maillard (Insee), dans la revue ministérielle Education &formations (n°100). Les deux auteures montrent qu’une répartition équilibrée des élèves a un effet positif pour les élève sfavorisés et défavorisés. « L’effet positif pour les élèves des deux premiers quartiles traduit le fait que, pour une majorité d’entre eux, cette réallocation les conduirait à se trouver plus souvent dans des classes à plus forte proportion de bons élèves, ce qui leur est bénéfique. Pour les élèves du dernier quartile, au contraire, l’harmonisation de la composition des classes conduit à s’éloigner des types de classes à forte concentration de bons élèves pour aller vers plus de mixité scolaire, ce qui leur est également bénéfique… » Appartenir à une classe contenant une forte proportion de bons élèves n’apparaît pas avoir d’effets bénéfiques pour tous les élèves, et l’effet en serait même pénalisant pour les élèves les plus performants initialement ».
Avec de tels résultats, les expérimentations de mixité sociales devraient se multiplier. Il n’en est rien bien au contraire. D’une part des collectivités locales rencontrent des résistances chez les parents. C’est le cas par exemple à Paris ou d’autres projets, dans le 10ème ou le 13ème, ont échoué. D’autre part JM Blanquer et E Macron soutiennent une autre politique.
Le gouvernement choisit les internats d’excellence et les « cordées de la réussite ». C’est à dire l’extraction de jeunes « méritants » de leur milieu d’origine. Ces deux dispositifs n’ont que des évaluations négatives , par exemple de la Cour des comptes pour les internats d’excellence. Mais cela n’empêche pas le gouvernement de les créditer de budgets importants (doublement des cordées par exemple en 2021). Cette politique conduit à renforcer la ségrégation et à encourager l’évitement qui est maintenant la politique officielle. C’est le paradoxe de ce gouvernement de combattre le séparatisme en parole tout en encourageant le séparatisme social dans les faits. Ces choix n’amélioreront ni le sort des jeunes défavorisés ni le niveau scolaire d’ensemble du pays bien au contraire. Saluons l’étude de Julien Grenet et Youssef Souidi qui vient rappeler qu’on peut sortir de cette impasse.
François Jarraud
Sur les internats d’excellence
Macron et les cordées de la réussite
Efficacité scolaire de la mixité sociale