Par Jeanne-Claire Fumet
A l’occasion du cycle qu’il consacre à l’écrivain Valère Novarina, le théâtre de l’Odéon accueillait lundi 17 janvier, à l’initiative du Ministère de l’Éducation et du Scérén-CNDP, des classes d’élèves de lycée préparant l’option théâtre au bac, venus rencontrer in vivo l’auteur inscrit à leur programme. L’après-midi a vu se succéder sur un rythme soutenu échanges avec l’auteur, lectures de textes par les élèves, interventions musicales et projections d’extraits. Un curieux moment de découverte réciproque, où la sympathie et la patience ont aidé à franchir une partie du grand écart qui séparait les interlocuteurs.
« C’est un miracle des programmes, de pouvoir inscrire un auteur contemporain vivant à l’épreuve du bac », remarquait Patrick Laudet, Inspecteur Général en charge du dossier Scérén. Pour les jeunes lycéens, très attentifs, c’était visiblement une expérience stimulante. Les questions posées, qu’on sentait minutieusement élaborées et discutées au préalable en cours, surprenaient parfois l’écrivain qui devait les faire répéter plusieurs fois pour adapter son propos à un registre de préoccupations pour lui inattendu : Pourquoi inventez-vous votre propre langage ? demandent les élèves. Sur quels critères choisissez-vous vos acteurs ? Qu’attendez-vous du public, faut-il qu’il soit perdu ?
La singularité première. Pour Valère Novarina, la singularité du langage est une donnée première du métier d’écrivain, pas une caractéristique de son œuvre. Aux élèves désarçonnés par la profusion des inventions verbales qui émaillent son travail, il ne peut que répondre au nom d’une nécessité intérieure qu’il répugne à théoriser. Il préfère évoquer l’authenticité d’une langue propre comme l’est pour chacun son corps, et l’effort d’un métier qui demande beaucoup de présence et d’attention à la tâche, sans certitude.
Aimer et donner. Il veut de ses acteurs pouvoir les aimer – et que cela dure, l’aventure théâtrale n’est pas une parenthèse mais une épreuve qui exige du souffle. Évoquant l’un de ses interprètes hors d’haleine après une réplique athlétique, il rappelle qu’il attend d’eux qu’ils soient prêts à travailler sans jamais renâcler. Il n’aime guère les acteurs psychologisant, précise-t-il, ni qu’on force l’émotion de manière consensuelle. Le travail est difficile et exigeant jusque dans le moindre détail. Le travail de mémoire doit être d’une précision et d’un respect absolu. Valère Novarina veut du jeu concret, la matérialité du texte et la chair des acteurs.
L’acteur sacrifié, le personnage indéfinissable. Des élèves l’interrogent alors sur sa conception de l’acteur : doit-il vraiment se « sacrifier », est-ce un principe ou un effet du travail avec les comédiens ? L’auteur relativise la formule : il ne veut pas la mort de ses acteurs. Mais il insiste sur l’importance du don : la performance d’acteur exige que l’on se donne sans mesure et sans trucage. La question du statut des personnages intrigue aussi les élèves : pas réellement personnages, figures plutôt, ou encore personnes, les protagonistes des pièces de Novarina peuvent changer de nom à chaque page. La question serait plutôt de la construction du drame de l’espace que celle du personnage, l’organisation du réel autour des acteurs de manière à ce que tout ce qu’ils font et disent soit vrai. « Tout est vrai , conclut Novarina, mais ce sont des choses vraies contradictoires ».
Perplexité pour de jeunes Nantais. A la sortie, un groupe d’élèves de première du Lycée de la Colinière à Nantes avouait sa relative perplexité. Après avoir assisté la veille au soir à une représentation du Vrai Sang et participé aux échanges de l’après-midi, ils n’étaient pas certains de mieux comprendre Valère Novarina et regrettaient tout de même de n’avoir pas à travailler sur un auteur contemporain « plus facile ». Mais ils reconnaissaient aussi que c’était pour eux une chance de découvrir cette œuvre, et que la fatigue du voyage avait peut-être entamé leur disponibilité (« surtout à la fin »). De toute façon, ils ont encore un an pour travailler les textes et l’an prochain, il y aura aussi Hamlet. De quoi changer radicalement de registre.
Un ouvrage d’accompagnement du Scérén
A l’occasion de cette rencontre, le Scérén-CNDP présentait un dossier et un double-DVD consacrés à l’œuvre de Valère Novarina. Conçus pour faciliter l’approche de l’auteur par élèves et professeurs, l’ouvrage réalisé par Marion Ferry, professeur de Lettres, rassemble une iconographie généreuse, des analyses de l’Acte inconnu et de Devant la parole par Michel Corvin et Olivier Dubouclez, des entretiens avec le scénographe Philippe Marioge et les musiciens C. Paccoud et M. Lévinas. Le DVD présente une captation intégrale de l’Acte inconnu, joué à Avignon en 2008, un entretien avec l’auteur conduit dans son propre atelier et un film de R. O’Byrne « Ce dont on ne peut parler, c’est cela qu’il faut dire ». Nous avons rencontré Jean-Jacques Arnaud, responsable éditorial de l’ouvrage.
Ces dossiers du Scérén sont une initiative du CNDP ?
Ils sont faits à la demande du Ministère sur les pièces de théâtre au programme des l’option au baccalauréat, pour aider les professeurs et les élèves qui abordent ces textes. Plus largement, ils s’adressent à tous les enseignants qui souhaitent faire découvrir ces auteurs contemporains à leurs classes. Pour la pièce présentée en DVD, nous l’avons entièrement chapitré pour en faciliter l’étude, par exemple. Les entretiens réaliséq à son atelier permettent de découvrir toutes les facettes de cet artiste complet.
N’est-ce pas un auteur ardu pour des bacheliers ?
L’œuvre est moins complexe qu’on ne le dit parfois : Novarina invite à travailler le texte lui-même, en suspendant tout ce dont on a l’habitude – la psychologie, le récit. C’est un auteur qui peut étonner les élèves, mais aussi les intéresser très vite, par le jeu sur le texte, sur la sonorité, l’explosion du texte et la richesse de l’expression. Les jeunes gens sont eux-mêmes créateurs de textes, ils peuvent se retrouver dans cette forme d’écriture.
Et les classiques ?
Le principe est d’alterner les auteurs contemporains avec les classiques, un an sur deux. Il y a eu Edward Bond, Lagarce, mais aussi Molière, et Hamlet l’an prochain. Les classes concernées sont constituées d’élèves et de professeurs passionnés, qui s’intéressent à toutes les formes du théâtre. Ils travaillent en général avec des acteurs associés qui leur font découvrir et s’approprier les textes.
L’option théâtre est-elle menacée par les restrictions budgétaires ?
L’option théâtre existe depuis 1991. Nos publications l’accompagnent depuis plusieurs années, l’Odéon a pérennisé les rencontres comme celles d’aujourd’hui, qu’il considère de sa mission. Il ne semble pas que l’option soit mise en cause, non plus qu’aucune des autres options artistiques, à l’heure actuelle. Le programme de l’an prochain est déjà convenu, rien ne laisse présager une suppression.
Dossier Scérén – niveau Lycée, 56 p.
L’acte Inconnu de valère Novarina – Collection « Oeuvres accompagnées » Double DVD –