Il est urgent d’adapter le temps scolaire à l’âge des enfants et de faciliter les dérogations au décret sur les rythmes. Voilà les conseils de Georges Fotinos pour sortir la question des rythmes de l’ornière où elle s’enlise. Membre de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires, Georges Fotinos n’est pas surpris par cet enlisement. Auteur de plusieurs rapports sur la qualité de vie dans le système éducatif et d’une très large consultation de la population et des enseignants d’Issy-les-Moulineaux (92) sur les rythmes scolaires, il a vu monter l’opposition des enseignants…
La grève contre la réforme des rythmes scolaires a été fortement suivie. Etes-vous surpris par cette réaction ?
Ce n’est pas une surprise pour moi. Lors des auditions faites par le Comité de pilotage de la conférence nationale sur les rythmes scolaires (NDLR : sous Luc Chatel) j’avais noté un clivage assez fort entre les positions des syndicats et celles de leur base. J’ai retrouvé cette situation à la fin de la concertation sur la refondation de l’Ecole organisée par Vincent Peillon. En effet, coté « base », une enquête significative menée à Issy-les-Moulineaux à laquelle avaient répondu plus de 70% des enseignants de la commune montrait que plus de 6 enseignants sur 10 étaient contre l’accompagnement éducatif de 15 à 17h. La même proportion était pour la semaine de 4 jours. Et 7 sur 10 étaient contre une année scolaire de 38 semaines.
Or coté syndicats, à l’issue de la double concertation Chatel et Peillon, tous étaient pour la suppression de la semaine de 4 jours, un projet global concernant le temps de l’enfant ( scolaire, périscolaire et son articulation ; les 3 temps (journée / semaine / année). Tous étaient pour tenir compte de l’âge de l’enfant dans l’organisation du temps scolaire. Le principal syndicat, majoritaire, déclarait « les journées d’un élève de petite section et d’un autre du cycle 3 ne peuvent être envisagées ni organisées de la même manière ». Ils étaient aussi pour une pause méridienne de qualité et « d’une durée raisonnable ».
Alors comment en est-on arrivé à cette situation ?
Il me semble que tous les responsables du système éducatif (ministre, administration centrale, syndicats, parents d’élèves, associations d’élus locaux, plus particulièrement) ont sous-estimé le degré d’adhésion des principaux acteurs concernés par ce changement : les enseignants et les élus locaux. Dans le dialogue social, les bases n’ont pas suivi. Une certaine démocratie directe s’est exercée avec le slogan « nous n’avons pas été consultés » . Une consultation générale avec une journée banalisée aurait pu être utile.
Pourquoi ?
Ce dossier est un véritable cactus parce qu’il met en branle tout le système éducatif et la société française dans son ensemble (vie familiale, rythmes de travail, économie…). Il faut un certain courage pour le reprendre. Parmi ceux qui l’ont fait, il y a eu A Savary, L. Fabius, P. Seguin, L. Jospin, G. Drut, L. Chatel et désormais V. Peillon. La plupart des responsables du ministère, comme un grand nombre de politiques, ont toujours considéré ce sujet comme un gadget. Ils n’ont pas particulièrement œuvré à sa réussite. Or la preuve que ce n’est pas un gadget, nous l’avons actuellement sous les yeux. Outre le bouillonnement d’idées auquel nous assistons, il y a l’engagement du président de la République qui considère que c’est « un des leviers du changement de l’école ».
Ce sujet est de l’ordre des valeurs collectives centrées sur le bien-être et la réussite des élèves et de notre école alors que nous vivons dans une société qui promeut les valeurs individuelles, les intérêts personnels, la concurrence. L’école n’y échappe pas. Notre pédagogie est basée sur cette concurrence alors qu’il faudrait promouvoir une pédagogie de la coopération. Dans ce contexte chaque acteur se recroqueville sur ses intérêts personnels d’adulte en oubliant celui fondamental de l’enfant.
Enfin, dans cette situation de revendications, les rythmes scolaires ont davantage joué un rôle d’élément déclencheur que comme un refus bsolu de changement. En effet, dans toute sles enquêtes récentes et notamment celle d’Issy-les-Moulineaux, près de 90% des enseignants étaient d’accord pour que le temps d’enseignement soit adapté à l’âge des élèves et pour tenir compte des rythmes chronobiologiques des enfants. Ils étaient aussi d’accord pour une pause méridienne d’au moins 1h30. Près de 80% étaient d’accord pour alléger la journée de classe et la semaine, pour créer un Observatoire et un comité scientifique en charge de l’évaluation des effets du changement sur les élèves et les enseignants.
En fait l’explication essentielle de fond de cette réaction au changement proposé tient surtout aux conditions de travail des professeurs des écoles et des directeurs, à la définition de leurs missions et à leur besoin de reconnaissance sociale. La société en générale se décharge sur l’école d’une grande partie de ses responsabilités. Les enseignants et les directeurs doivent résoudre quotidiennement un certain nombre de problèmes qui ne sont pas de leur ressort et pour lesquels ils ne sont pas formés en plus d’enseigner , d’éduquer et de faire réussir tous les élèves. Cela ne se déroule pas sans conflits. Récemment j’ai mis en évidence avec Eric Debarbieux l’importance des agressions subies par les personnels enseignants du 1er degré et les directeurs d’école ainsi que les chefs d’établissement du secondaire.
Alors quels sont vos souhaits pour sortir de cette situation ?
Je regrette fortement que la réforme envisagée ne tienne pas compte de la demande, qui faisait consensus, d’adapter la durée du temps d’enseignement à l’âge des élèves. Je souhaite une ouverture plus large des dérogations. En l’état actuel des textes, des expérimentations qui fonctionnent bien comme à Toulouse, Poitiers, Angers par exemple, ou qui ont été exemplaires comme à Epinal , Lhomme ou Roubaix sont désormais impossibles. Il faut ouvrir et étendre le champ des dérogations pour laisser place à l’innovation. Il faut y inclure le calendrier scolaire. On ne peut pas modifier la journée, la semaine sans considérer l’année. Il faut enfin impérativement commencer à revoir les programmes, les diminuer et promouvoir des pratiques pédagogiques innovantes qui placent au centre du système éducatif l’élève et non la discipline et l’enseignant.
Propos recueillis par François Jarraud
Sur les personnels du 1er degré