Que pense le ministère de l’introduction des tablettes en classe ? Habitué des grands plans numériques, le système éducatif lève les yeux automatiquement vers lui pour y lire l’avenir. Mais la rue de Grenelle fait profil bas. L’heure n’est plus aux grands plans nationaux mais au dialogue avec les collectivités territoriales. Ce qui n’empêche pas le ministère de cadrer la réflexion sur les usages et les choix.
A la rentrée 2013, environ 23 000 tablettes de tous types sont utilisées dans le système éducatif français, un chiffre en croissance rapide mais dérisoire par rapport aux 13 millions d’élèves. Certaines collectivités ont équipé systématiquement leurs élèves. C’est le cas par exemple des collèges de Corrèze ou des écoles d’Angers avec des ipads. D’autres départements se lancent comme la Saône et Loire, avec une tablette produite localement, ou le Jura, avec des tablettes de marques différentes. La région Nord-Pas-de-Calais prévoit d’investir massivement dans l’équipement des lycéens. Plus nombreuses sont les collectivités territoriales à avoir fait le choix d’ordinateurs portables comme les Landes, les Bouches du Rhône ou le Val de Marne par exemple. La France est encore en phase d’expérimentation quand d’autres pays ont décidé d’équiper largement leurs écoles. C’est le cas par exemple de la Thaïlande qui a entrepris l’équipement intégral en quelques années de tous les élèves de l’école au lycée.
Pourtant l’usage des tablettes est vivement recommandé par le dernier rapport de l’inspection générale sur le développement du numérique éducatif. La tablette y est décrite comme « le meilleur compromis entre performances techniques, mobilité et coût ». Le rapport demande que les tablettes soient « intégrées à toute réflexion en matière de déploiement numérique destiné aux élèves ».
Mais le discours officiel du ministère est plus prudent. D’abord la question du choix entre tablette et ordinateur portable ne se pose plus dans les mêmes termes. Les tablettes ne sont plus uniquement des outils de consommation. Elles sont devenues aussi des outils de production et de création.
Le ministère suit ces évolutions depuis des années. Mais il rejette l’idée de « plan tablette ». « Il y a une réflexion, mais pas de plan », nous confie un responsable proche du ministre.. Cependant un groupe de travail fonctionne au ministère et on nous dit qu’il sera prochainement ouvert aux collectivités territoriales, aux représentants des parents et même aux élèves. C’est que la question du modèle économique s’impose comme un préalable à toute action. Or les moyens du ministère apparaissent des plus limités. Avec un budget de l’ordre de la dizaine de millions d’euros pour le développement du numérique on est même en deçà de ce qui existait sous Chatel. Or deux modèles économiques s’affrontent si l’on veut envisager une dotation massive en tablettes.
Le premier c’est le modèle qui a prévalu jusque là c’est à dire l’appel aux collectivités territoriales. On sait qu’à l’Association des régions de France, François Bonneau est favorable à un transfert du budget papier vers le numérique. Puisque des tablettes peuvent porter les manuels numériques, le budget mis par les régions dans le soutien aux familles pour l’achat de manuels scolaires pourrait basculer en parte vers des ressources numériques. En juin 2013, F. Bonneau nous confiait : « Il est évident que nous ne pourrons pas avoir pour le même enseignant le support papier et le numérique. Il faut trouver une nouvelle articulation entre eux… On a engagé les ENT. Ils vont favoriser un nouveau mixte pédagogique avec du papier et du numérique. Mais le papier sera dans des volumes différents ». La « stratégie » ministérielle passe alors par un accord global avec les collectivités locales qui fournissent le nerf de la guerre.
Un second modèle a été soufflé par Pascale Luciani-Boyer, maire -adjointe de Saint Maur (94) et présidente du Club des élus numériques. Pour elle la dotation en tablettes est à considérer comme l’acquisition des calculatrices que d’ailleurs elle peut remplacer. Elle doit dépendre des familles qui perçoivent l’allocation de rentrée scolaire (ARS). La tablette peut porter à la fois calculette et dictionnaires, des outils que les familles achètent. Il conviendrait donc d’adapter l’ARS et de transférer la charge de l’équipement des collectivités locales vers la Caisse d’allocations familiales. L’effort des collectivités se limiterait à l’équipement des enseignants et des établissements scolaires.
Alors quelle tablette choisir ? Au ministère on prétend ne rien imposer. Faut-il choisir une tablette grand public, comme l’ipad, professionnelle, comme Surface, ou dédiée à l’enseignement , comme la TED de Saône-et-Loire, la Gallago ou la tablette Bic ? Ce qui semble essentiel c’est de réfléchir à l’écosystème numérique.
« Les marchands de tablettes ne nous vendent pas que du matériel mais aussi des services », nous confie un expert du ministère. « L’environnement logiciel pointe vers des espaces d’achat, des services, un cloud et au final des outils d’évaluation. On risque d’enfermer l’école dans un système propriétaire qui risque de nous échapper pédagogiquement « . C’est l’ombre du géant anglo-saxon qui se profile dans les choix éventuels de l’éducation nationale. « Il faut une réflexion de l’Etat sur ce point. La refuser c’est une position ultra-libérale ». On ne voit pas trop ce que pourrait être un cloud franco-français. Mais c »est par cette réflexion que la rue de Grenelle entend guider les choix des collectivités territoriales. Au risque de voir ceux du grand public des citoyens devancer largement l’action étatique.
François Jarraud
F Bonneau : la transition du papier vers le numérique