Quelle place donner à l’erreur dans le système éducatif ? On sait que la peur de se tromper est un tel frein chez les élèves français que c’est un élément d’explication pour nos mauvais résultats dans PISA. Yves Reuter, professeur en didactique du français à Lille 3 et fondateur du laboratoire Théodile, lui consacre un petit ouvrage plein de finesse qui vise à disséquer la bête pour mieux la connaître.
Yves Reuter découvre ainsi que l’erreur est plutôt un dysfonctionnnement, un terme plus propre à l’étude. Il nous fait découvrir qu’il a un sens, qu’elle nous apprend beaucoup de choses sur nos disciplines et nos façons d’enseigner. Le dysfonctionnement fonctionne un peu comme un indice révélateur de l’enseignement. Au delà du jeu de mots, « Panser l’erreur » prend alors tout son sens. C’est par l’erreur que l’on découvre le savoir disciplinaire et qu’on observe ses pratiques.
En 150 pages, c’est un sacré voyage que nous fait faire Yves Reuter. Ancien enseignant, il aide à mieux comprendre le fonctionnement des élèves.
Dans votre ouvrage vous ne parlez pas d’erreur mais de dysfonctionnement. Pourquoi ?
Le terme de dysfonctionnement renvoie à une catégorie de problèmes vastes alors que le mot erreur suppose qu’il y ait un problème. Or si l’on veut réfléchir sur cet objet il faut écarter le jugement qui est sous-tendu dans le mot erreur. Le dysfonctionnement c’est une simple étape. Et puis ca crée aussi une proximité avec l’idée de fonctionnement. Plus que dans d’autres pays, les élèves français ont la crainte de se tromper et c’est devenu un réel problème. En effet il n’y a pas d’apprentissage sans risque. L’école c’est justement l’espace où l’on doit pouvoir se tromper.
Vous dites de l’erreur que c’est une notion peu construite. Pourquoi ?
On parle souvent d’erreur dans notre système éducatif. Mais sans aller y voir de près. On fait comme si les mêmes choses relevaient de l’erreur dans les différentes disciplines. La notion sert surtout à communiquer rapidement sans rien dire de précis.
Les erreurs peuvent être différentes selon les disciplines ?
Leur importance varie beaucoup par exemple d’une discipline à l’autre. L’erreur orthographique sera relevée en français mais pas en maths. En français on acceptera d’un élève qu’il parle d’un rond mais pas en maths. En maths on aimera une description rapide qui sera une faute en français. Il y a des erreurs qui ont partie liée avec le fonctionnement d’uen discipline. Le mot empêche de voir que les élèves peuvent avoir du mal à s’y retrouver entre les disciplines.
Vous dites de l’erreur qu’elle a un caractère structurel et même heuristique. Pourquoi ?
Je crois que la position qui consiste à porter des jugements négatifs sur l’erreur empêche de voir son caractère structurel. L’erreur est liée aux apprentissages de l’école. Elle interroge les apprentissages. Elle est parfois nécessaire et normale dans certaines phases des apprentissages. Elle interroge les disciplines. C’est une sorte de témoin précieux pour le maître. D’ailleurs dans d’autres activités que l’enseignement on s’y intéresse beaucoup. C’est le cas en médecine ou dans les transports où on travaille beaucoup sur le dysfonctionnement. Les erreurs sont enseignées pour améliorer le système.
Qu’est ce que l’erreur apprend aux enseignants ?
Elle lui donne des indications sur les problèmes des élèves. Ca permet d’ajuster son travail. Les systèmes pédagogiques qui cachent les erreurs sont forcément moins efficaces.
Mais comment l’enseignant peut-il s’en emparer pour améliorer sa pratique ?
Je suis chercheur, pas prescripteur. Je veux juste ouvrir des choix d’interventions. L’enseignant peut s’arrêter sur l’erreur. Il peut la retravailler pour voir comment l’élève l’explique. Et parfois découvrir de la cohérence dans ces explications ! Il peut aussi jouer avec elle en variant les exercices. Le dernier chapitre du livre indique une bonne douzaine de choix possibles.
Yves Reuter, Panser l’erreur à l’école. De l’erreur au dysfonctionnement, Presses universitaires du septentrion, ISBN 978- 2-7574-0593-2
En librairie à partir du 18 novembre.
Propos recueillis par François Jarraud