Par Eric Castanet
Un projet innovant autour du nucléaire ! Un jeu pédagogique ! Une situation didactique alternative ! Le tout articulé autour de l’utilisation d’une plateforme de blog. Entrez dans le jeu !
Merci à Mme Bellanca-Penel d’avoir accepté cette interview.
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots?
Je m’appelle Pascal Bellanca-Penel, 40 ans, marié, deux enfants. Je travaille depuis 12 ans à Lyon et depuis 6 ans au Lycée Ampère.
Etes-vous « un habitué » de l’innovation ?
Si vous voulez dire que le mot «innovation» faisait partie de mon registre quotidien d’enseignant, alors il me faut répondre non. Je n’ai réfléchi au sens de cette expression dans le cadre pédagogique que cette année, à l’occasion de ce jeu. Par contre, le mot «créativité» ou des expressions comme «pédagogie de projet», «tâche complexe» me travaillent depuis quelques années déjà.
Si vous deviez décrire votre projet en une phrase, quelle serait-elle ?
Créer un jeu de rôle autour d’une situation crédible et jouable permettant de mobiliser un contenu scientifique fort.
Comment avez-vous imaginé ce jeu pédagogique ?
Je comprends la question dans un double sens :
Quelle motivation m’a fait imaginer une situation pédagogique alternative ? Elle naît d’un ras le bol de ma routine en terminale à propos de l’énergie nucléaire : des concepts fascinants au demeurant, mais beaucoup de calculs qui paraissent fastidieux aux élèves, des unités multiples pas faciles à manipuler et aucune expérience pratique. Bref, un bonheur magistral ou…un cauchemar pédagogique, c’est selon.
Comment ai-je imaginé concrètement la situation ? Elle est le produit d’une réflexion menée en partie avec Caroline Jouneau-Sion qui participe par ailleurs au développement et à l’étude de Clim@ction. Nous étions en pleine campagne présidentielle et les questions liées à l’avenir du nucléaire étaient dans l’air…
Quelle est l’étincelle qui vous a conduit à développer cette séquence ?
C’est d’abord le cours d’ingénierie didactique d’Eric Sanchez (directeur de recherche EducTice à l’IFE de Lyon) sur les jeux sérieux, dans le cadre du Master 2 d’histoire et de philosophie des sciences que je suis cette année en parallèle (master HPDS, Lyon1). En travaillant sur les concepts didactiques qui sous-tendent la mise en place des jeux sérieux (situation, dévolution, caractère adidactique etc.) je me suis dit en sortant du cours : pourquoi pas ? Pourquoi ne pas essayer de développer mon propre jeu sérieux ? Le mot étincelle était donc tout à propos !
La prise de conscience ensuite du décalage, du déphasage grandissant entre la population des élèves et nous, les enseignants. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir la défiance monter vis à vis de l’autorité éducative traditionnelle. Développer un mode de transmission moins magistral et plus «socio-constructiviste» pour employer des grands mots, me parait essentiel aujourd’hui.
En quelques phrases en quoi consiste-t-il ?
Nous sommes au lendemain de l’élection présidentielle. Une présidente vient d’être élue à la tête de l’état pour cinq ans. Elle décide de consulter afin de décider de l’avenir énergétique de la France. Cinq projets lui seront présentés par cinq équipes :
-un projet de fission de l’uranium 235 (basé sur la technologie classique des centrales REP)
-un projet de fission basé sur le thorium 233 et l’uranium 238.
-un projet de fusion deutérium-tritium
-un projet de fusion deutérium-hélium 3
-un projet alternatif au nucléaire basé sur un scénario crédible.
Les équipes établissent un pré-projet avec l’aide d’une liste de compétences scientifiques à mobiliser. Ce pré projet est exposé puis critiqué. La deuxième phase voit l’élaboration du projet définitif et sa présentation devant l’ensemble des équipes, la présidente et son conseil. Le jeu se clôt par un vote citoyen consultatif. La présidente se retire avec son équipe, décide du vainqueur et vient motiver sa décision finale devant l’ensemble des citoyens.
Quels sont les objectifs de votre action ?
En premier lieu (BAC oblige), permettre que des connaissances et des compétences spécifiques à la physique nucléaire soient véritablement acquises et maîtrisées par les élèves. Ensuite, laisser une place à leur créativité et à des échanges citoyens. Certains d’entre eux ont voté en mai dernier et cet aspect argumentatif liés à des enjeux citoyens les a littéralement transporté.
Pourquoi utiliser une plateforme de blog comme support ?
La plateforme est un outil essentiel pour permettre le suivi des projets et surtout permettre les rétroactions de ma part et celles des autres joueurs. Un aspect primordial de ce type d’apprentissage consiste à corriger, accommoder ses connaissances et savoirs faire grâce aux retours exprimés par les uns ou les autres au cours des différentes phases du jeu.
Quels changements avez-vous noté chez vos élèves ?
Difficile à dire pour être honnête. Eric Sanchez insiste pour dire qu’une expérience ne fait pas une recherche et il a raison. J’ai toutefois la conviction d’avoir fait un peu mieux mon travail que les dix fois précédentes et que la situation ludique y est pour beaucoup. J’ai en tout cas vu des élèves motivés, plus impliqués que jamais je ne les ai vus cette année. La façon dont la plupart a prit à bras le corps la situation était fantastique à voir. Un groupe est même allé pendant les vacances de printemps jusqu’à l’école des mines de Saint Etienne suivre une conférence sur la fusion nucléaire. Il est clair que je n’aurais jamais pu obtenir un tel «transfert» avec un dispositif pédagogique classique.
J’ai aussi noté de la reconnaissance, ce qui ne gâte rien. Lors du dernier conseil de classe par exemple, élèves délégués et parents d’élèves ont pris la parole pour me remercier pour cette action.
Parlez-nous des obstacles ou difficultés rencontrés et des moyens que vous avez utilisés pour les surmonter.
Antoine Prost l’a brillamment dit dans la conférence qui a clôt la première journée du Forum : la mise en place de ce type de situation ne peut que heurter l’institution dans toutes ses dimensions. La dimension physique en premier lieu. Le lieu classe, avec ses limites et ses contraintes est un héritage dont on peut interroger les résistances à l’évolution. Basiquement, la friction s’est matérialisée par la question de savoir comment gérer 33 élèves répartis dans 4 salles sur deux étages ? Durant la phase de travail sur les projets, les équipes constituées devaient en effet disposer d’un lieu équipé avec des postes informatiques et relativement isolés au sein du Lycée. Comment ne pas craindre qu’un élève se blesse en mon absence, ou qu’un conflit n’intervienne ? Il se trouve que la Présidente a fait un malaise en mon absence. Sans conséquences ultérieures bien heureusement, mais suffisamment important pour que ses parents viennent la chercher. Cela peut sembler anecdotique mais c’est une illustration claire que l’on ne pourra changer la vie pédagogique dans l’école sans modifier en profondeur ses modalités d’organisation physique.
Avec les nouveaux programmes, imaginez-vous l’adapter à la classe de première S?
Il est certain que Nuclé@ction, comme Clim@ction possède une superstructure adaptable à souhait. Un collègue s’est montré intéressé pour discuter des modalités d’une adaptation en classe de 1èreS. Je suis pleinement ouvert à transférer l’expérience pédagogique acquise à eux et à tous ceux qui le souhaiteront.
Qu’auriez-vous à dire aux enseignants qui hésitent à se lancer dans des projets ?
Que la pédagogie est un sport qu’on ne peut pas pratiquer sur un bout de papier, et que rien ne remplace le fait d’essayer concrètement la mise en place de projets pédagogiques, même si les résultats sont parfois décevants. En matière de pratique pédagogique, la phrase de Beckett est irremplaçable : «Il faut rater, s’y remettre et rater mieux».
Par ailleurs, les temps changent, et vite. «Innover», c’est d’abord ne pas se soumettre au diktat de la routine qui nous étreint tous et qui risque de nous être fatale à moyen terme si nous ne prenons pas conscience du danger de laisser s’installer une défiance toujours plus grande à l’égard du savoir que transmet le monde enseignant. Qu’ils pensent à cette phrase d’A. Lincoln devant le Congrès américain en 1882 qui illustre ce point : «Les dogmes du passé serein sont inadéquats pour le présent tempétueux». Alors, lancez-vous !
Vous avez d’or et déjà d’autres idées de projet en tête ?
L’an prochain me verra en congé formation. Après le Master, j’entamerai une thèse au croisement de l’histoire, de la sociologie et de la philosophie des sciences. Je veux mettre à profit cette année pour prendre un peu de recul, réfléchir au sens de ce qu’enseigner veut dire et étoffer mon éventail pédagogique….
http://nucleaireunenjeuserieux.wordpress.com/
http://www.forum-orleans2012.net/ProjectView.aspx?PrjID[…]
Sur le site du Café
|