Par François Jarraud
Formatrice IUFM, Odile Triper-Mondancin retrace d’un point de vue historique et épistémologique l’évolution de l’éducation musicale. L’ouvrage s’adresse d’abord aux étudiants qui préparent le master des métiers de l’enseignement de la musique. Il enrichira aussi la réflexion et les pratiques des enseignants d’éducation musicale. Une discipline qui n’en finit pas de se transformer. Odile Tripier-Mondancin répond aux questions du Café.
Des études ont montré l’intérêt de l’apprentissage musical pour le développement de l’enfant. Où en sont les pratiques dans la société française d’aujourd’hui ?
On peut résumer à gros traits les pratiques musicales dans la société française à trois grands types :
1. Des pratiques musicales offertes à tous les élèves dans l’enseignement général de la maternelle jusqu’à la fin du collège ; elles sont obligatoires et gratuites. Au lycée la possibilité de pratiquer et de comprendre les univers musicaux est offerte aux élèves volontaires de toutes les filières, dès la seconde dans les options dites facultatives et dans le nouvel enseignement d’exploration qui s’intitule « art du son » (qui date de cette rentrée, les deux peuvent se cumuler). En outre, la musique devient obligatoire pour les élèves de la série L qui choisissent la musique en option dite de spécialité ou encore pour les élèves engagés dan dans la série TMD (ex F11).
2. Des pratiques proposées aux enfants et aux adolescents sur la base du volontariat (les adultes y sont parfois admis sous certaines conditions) dans ce qui est qualifié « l’enseignement spécialisé » : l’accès à ces pratiques est payant avec des différences notables d’une structure à l’autre d’une localité à l’autre, selon que l’on habite ou pas dans la commune à laquelle appartient la structure en question. Le syntagme « enseignement spécialisé » recouvre les écoles de musiques municipales ou nationales, les conservatoires qu’ils soient régionaux ou nationaux. Les appellations de ces structures ont récemment changé : on parle de conservatoire à rayonnement régional, départemental, intercommunal ou communal.
a. Ces deux grands types de pratiques musicales dans ces deux grands types de structure en France (enseignement général/enseignement spécialisé, les intitulés sont clairs) sont complémentaires les uns des autres. On pourrait dire que la seconde approfondit la première particulièrement en matière d’enseignement instrumental et d’enseignement à la formation musicale (dénommée antérieurement par solfège). Par extension, selon les structures et le personnel compétent pour le faire, mais dans une bien moindre mesure, sont développées la pratique chorale individuelle et collective. Si les textes qui régissent les contenus d’enseignement ont tendance se recouper au fil du temps, les spécificités respectives demeurent.
3. Des pratiques amateurs qui s’adressent plutôt à un public d’adultes ou qui sont le fait d’adultes dans un cadre plus ou moins « formalisé » (associations loi 1901, structures associatives, par exemple) : ces pratiques sont soit gratuites soit payantes (voir les travaux de Philipe Coulangeon ou d’Olivier Donnat à ce sujet).
Comment voyez vous les changements (nouveaux programmes d’éducation musicale et organisation de l’enseignement de l’histoire des arts) impulsés par la réorientation de l’éducation musicale de ces dernières années ? Peut-on dire que l’on est passé de la pratique à la transmission ?
Vous semblez opposer « transmission » et « pratique ». Pour moi il y a transmission dans la pratique musicale. Pas seulement, mais il est vrai qu’une des première activités du petit enfant et cela dure ensuite longtemps, c’est de reproduire ce qu’il entend chanté par exemple. Dès lors s’il y a imitation d’un modèle c’est que quelqu’un(e) cherche à transmettre quelque chose. En ce sens pour les deux vont en partie (seulement) de pair.
Si vous semblez opposer les deux c’est peut être plutôt en référence à la transmission d’un savoir « érudit » ou « connaissance », terme employé dans les nouveaux programmes de toutes les disciplines scolaires. Les nouveaux programmes de 2008 d’éducation musicale n’échappent pas au découpage en compétences qui recouvrent donc des connaissances (soit ce qu’on appelait les savoirs dans les taxonomies antérieures) des capacités (soit les savoir-faire) et des attitudes (soit les savoir-être). Si vous considérez donc que « pratique » s’oppose à « transmission au sens de transmission de savoirs » alors NON, nous ne sommes pas passés de la pratique à la transmission. Les programmes prônent en effet, si on les lit bien, tant la production chantée, jouée, dans des démarches d’interprétation, d’improvisation visant à développer la créativité de l’élève que l’écoute d’œuvres et l’induction de connaissances à partir d’une description la plus précise possible de ce qui est entendu/ perçu par l’élève. Peu à peu c’est dans cet aller-retour entre production, jeu chanté/ instrumental et écoute description/induction de la réalité sonore que l’élève construit son « stock » de connaissances.
L’introduction à ce sujet est très claire sur cet équilibre / pratique/ connaître : « connaître la musique c’est avant tout l’écouter, la pratiquer ». Il suffit pour s’en convaincre de poursuivre la lecture par les finalités exposées : « En prise avec l’univers sonore et musical de la société contemporaine, l’éducation musicale au collège accompagne les élèves dans une approche maîtrisée de ces réalités en mouvement. Elle veille parallèlement à les inscrire dans une histoire et une géographie jalonnées de repères culturels essentiels. Prenant en compte la sensibilité et le plaisir de faire de la musique comme d’en écouter, elle apporte les savoirs culturels et techniques nécessaires au développement des capacités d’écoute et d’expression. Par la mobilisation du corps dans le geste musical, elle contribue à l’équilibre physique et psychologique. Eduquant la perception et l’esprit critique sur les environnements sonores et musicaux, elle participe à la prévention des risques auditifs et vocaux ».
Enfin, les objectifs qui suivent précisent clairement qu’ « Une culture musicale se construit lorsque toute situation pratique (écoute, interprétation, création) convoque des connaissances relevant aussi bien des œuvres, de leurs contextes et références, que des techniques, des langages et situations d’expression préalablement rencontrés et étudiés. Dès que cette attitude est mise en œuvre, elle contribue à l’intelligibilité du monde et enrichit les relations humaines et sociales nouées par chaque individu.
C’est donc bien à un aller-retour, un continuum entre pratique et « théorisation/conceptualisation (mise en mots en images de ce qui est entendu, de ce qui est ressenti) que l’élève est convié. Quant à l’équilibre entre ces deux grandes démarches (pratiquer/comprendre apprendre) rien n’est dit dans ce premier texte à ce sujet.
En revanche, il est vrai que la parution du texte sur l’organisation de l’enseignement de l’histoire des arts a pu venir perturber ces idées qui en soit ne sont pas nouvelles puisqu’on les trouvait dès 1977 « sentir d’abord, comprendre ensuite, apprendre enfin ». Etant donné que cette réforme est à moyen constant, on pourrait penser effectivement que le danger serait que ce savant équilibre soit perturbé voire détruit.
Quel devenir pour les classes de pratiques musicales ?
Il est plus juste de parler de classes d’éducation musicale car cette discipline ne se réduit pas à la pratique seule comme je l’ai dit plus haut. Pour l’instant il n’est pas question de les supprimer : l’éducation musicale s’est constituée en véritable disciplines scolaire avec les mêmes attributs que les autres. Certes la forte hiérarchisation qui préside à ces disciplines en France mais seulement peut faire penser qu’elle est en danger. Des textes officiels encadrent au niveau national (code de l’éducation et loi sur les enseignements artistiques de 1988) et au niveau européen cet enseignement obligatoire jusqu’à la fin du collège. A priori elle est aujourd’hui dans les collèges dans une phase de pleine maturité et n’a aucune raison de disparaitre de la carte des enseignements. Pour de plus amples développement et nuances voir les réponses à la dernière question.
L’arrivée de l’ histoire des arts est-elle un appui ou au contraire un problème pour l’éducation musicale ?
Un problème oui et non.
Non tout d’abord car depuis toujours l’éducation musicale intègre le fait que les morceaux qui sont chantés, écoutés analysés décris, « bidouillés » informatiquement parlant ou dans des activités d’improvisation, ces morceaux, ces œuvres s’inscrivent dans une histoire une aire musicale géographique particulière : ex. un standard de jazz dans le style New- Orléans est replacé dans son contexte musical, culturel. Dans cette perspective, l’histoire des arts ne fait que relier l’étude, la description et la pratique chantée/jouée de ce style de standard, à d’autres expression artistiques du moment. L’élève est amené à tisser des liens entre plusieurs expressions artistiques grâce à la collaboration de plusieurs enseignants. N’oublions pas tout de même que les professeurs d’éducation musicale sont très largement formés pour cela puisqu’une bonne partie de leur formation repose entre autres sur l’histoire de différents types de musiques [qu’elles soient savantes populaires ou dites traditionnelles] et dans certaines universités sur des UE en histoire de l’art. En cela c’est plutôt une avancée si cela se met véritablement en place. L’élève en devient plus intelligent au sens étymologique : il apprend à relier les pratiques et les connaissances qui en sont issues (inter leggere : relier, lier entre).
En revanche, la difficulté réside dans le fait que pour tisser des liens il faut du temps. Or cette réforme s’est mise en place à moyens constants comme chacun sait. Dès lors le professeur d’arts plastiques comme le professeur d’histoire, de français, de langue, d’EPS etc. n’a pas davantage de temps pour le faire. En outre, les programmes respectifs de chaque discipline n’ont pas diminué quantitativement pour autant. D’où un certain malaise.
Avez-vous repéré de pratiques innovantes ?
Oui, cela fait déjà une bonne quarantaine d’années que plusieurs observateurs en repèrent, même si une fois réitérée l’innovation n’en est plus une : on peut citer en leur temps
– la pratique des répertoires liés aux instrumentariums ORFF dans les classes dans les années 1970,
– la mise en place des démarches créatives (improvisation, composition) dès les années 1980,
– la pratique d’instruments à percussions provenant de différentes esthétiques en lien avec la pratique d’un répertoire vocal savant, populaire, traditionnel,
– l’arrivée des outils informatiques –dès les années 1985-1995 pour les premiers- qui a permis aux élèves de créer manipuler, de déconstruire/reconstruire de la musique mais qui change aussi le rapport à l’écoute d’une œuvre : ces logiciels permettent par exemple de visualiser de représenter la musique de différentes manières ce qui favorise une forme de compréhension.
– Ces outils permettent aux enseignants chaque jour de mettre au point des nouvelles approches notamment lors des activités d’écoute, lors de l’analyse des œuvres mettant ainsi ces dernières à la portée de la compréhension des élèves. Ils favorisent l’échange des productions originales des élèves qu’elles soient chantées, jouées via par exemple les fichiers MP3.
Aujourd’hui la foison des applications informatiques musicales (TICCE) permet de développer la créativité de l’élève. Ces applications servent également la créativité du professeur qui a, à sa disposition, par exemple, l’équivalent d’un studio d’enregistrement dans son ordinateur. En dehors de l’équipement habituel (piano, percussions, instrument personnel du professeur, guitares, amplification basse éventuellement), l’accès à internet durant les cours ou encore l’équipement intégrant un vidéoprojecteur font de la classe une véritable tribune pour la diffusion, l’écoute et la pratique de musiques. Cet équipement n’a pas cessé de s’enrichir d’une manière générale, chaque enseignant ayant la possibilité de l’adapter au plus près de ses propres compétences.
L’éducation musicale n’a pas toujours fait partie de l’éducation nationale. Aujourd’hui on parle de partenariats avec les collectivités locales et le tissu artistique local. Pensez vous qu’il existe un risque de sortie de l’éducation nationale ?
Beaucoup le pensent mais c’est faux : l’éducation musicale fait partie du Ministère de l’Education nationale (ou de son équivalent, soit le ministère de l’instruction publique) depuis bien avant le début du 20e siècle d’après les textes officiels. Certes le premier Ministère de l’Instruction publique date de 1828. Sans remonter aussi loin, la grille des disciplines de l’école primaire, telle qu’on la trouve dans les instructions du décret du 1887 mentionne l’horaire alloué au « chant » et « la musique » aux côtés de « l’instruction morale et civique », la « lecture », « l’écriture » la « langue française », « l’histoire et géographie », le « calcul l’arithmétique la géométrie » les « sciences physiques » le « dessin », le « travail manuel » les « exercices physiques ». Cette loi a modifié le plan d’étude paru en 1882 suite aux lois instiguées par Jules Ferry autour de 1882. Les instructions et programmes de 1923 signalent justement que « trop souvent la musique est négligée dans nos écoles » : elles précisent aussi le contenu de cet enseignement (cf. partie 1 du livre).
En ce qui concerne le collège ou son équivalent au début du 20e siècle soit les écoles primaires supérieures ou les collèges/lycées, les instructions de 1920 montrent bien l’obligation de la présence de cet enseignement : là encore elles précisent le contenu de cet enseignement inégalement réparti entre autres en raison du fait qu’un tout petit nombre d’enseignant à ce moment là est véritablement qualifié pour le faire. Quant aux premières références à un programme de lycée, elles datent de 1925.
Ce qui peut faire penser que cette présence est récente c’est le fait que notamment à l’école primaire cette discipline scolaire est encore aujourd’hui inégalement enseignée alors que dans les textes elle est obligatoire depuis 1882. Elle fait parfois office de parent pauvre. En outre, en lycée malheureusement le nombre de postes ne permet pas de couvrir la demande notamment en termes d’option dite facultative : le nombre de candidats libres qui se présentent est très élevé.
En revanche, en ce qui concerne l’enseignement en collège on peut considérer que depuis les années quatre-vingt la couverture du territoire est pratiquement réalisée (environ 7000 collèges aujourd’hui) grâce à des recrutements d’enseignants formés, qualifiés. Aujourd’hui ce sont environ 6500 professeurs qui y enseignent. Les concours tels que le CAEM puis le Capes et l’agrégation ont peu à peu élevé le niveau de recrutement (et d’enseignement a priori) de ces enseignants qui, dans la presque totalité des cas, ont également suivi un cursus de haut niveau dans l’enseignement spécialisé.
Pensez vous qu’il existe un risque de sortie de l’éducation nationale ?
Oui le risque de sortie des enseignements musicaux et plus largement artistiques (arts plastiques ou visuels également) existe, malheureusement. Mais ce risque est quand même encadré par quelques articles du code de l’éducation par la loi sur les enseignements artistiques de 1988 (article 1 et 3) ou par des lois européennes qui dépassent le cadre strict de la France. J’aurai donc envie de dire que ce risque est en partie limité.
Limité pourquoi : il y a deux manières de « faire sortir » ce type de discipline scolaire :
1. l’Etat décide de rendre la discipline facultative (même si cela semble difficile au regard de la loi au moins jusqu’à la fin du collège plusieurs essais et/ou tentatives ont été faits dans les années 1940, 1960 et récemment 2005). Les velléités de l’Etat à rendre cet enseignement facultatif avec celui des arts plastiques sont récurrentes. La dernière velléité en date de 2005, dans une circulaire prônait l’idée que les élèves pouvaient choisir en 3e, l’un des deux enseignements artistiques obligatoire soit entre arts plastiques et éducation musicale et faire ainsi 2h au lieu d’une : cette « manipulation » ne mettait pas l’Etat hors la loi car selon lui l’élève aurait reçu un enseignement artistique. L’idée de choix pour généreuse qu’elle était n’en mettait pas moins en concurrence les deux disciplines avec toutes les contraintes liées aux heures, aux services des enseignants que cela n’aurait pas manqué d’entraîner. Comment en effet justifier d’une année à l’autre des vœux d’élèves différents entraînant des sous-services versus des heures supplémentaires selon le cas. Mais cette circulaire a soulevé une certaine indignation relayée syndicalement ainsi que par le milieu associatif (l’APEMU et l’APMESU) : elle n’a pas été appliquée (cf. Livre p. 96).
2. D’une manière beaucoup plus masquée, l’Etat peut aussi décrèter que des intervenants extérieurs prendront en charge l’enseignement artistique en question. Dans ce deuxième cas l’état affiche la volonté de donner une éducation musicale à TOUS les élèves mais la société civile au travers de ces collectivités territoriales (qui ont en charge les intervenants en question) se charge en fonction de ses budgets et de ses politiques locales de plus ou moins l’appliquer. Je ne crois pas une minute à la capacité des collectivités territoriales à « fournir » en nombre des intervenants musicaux qualifiés et donc rétribués à la hauteur de leur qualification. J’en veux pour preuve ce qui se passe avec les DUMISTES qui font bien souvent un excellent travail mais qui sont loin de mailler le vaste réseau des écoles primaires (plus de 49000). On voit bien également que l’absence de professeurs nommés en lycée favorise la non-prise en charge des enseignements artistiques particulièrement pour ce qui est de la musique en comparaison avec les arts plastiques mieux implantés en lycée (grâce également aux arts appliqués).
On voit aussi la croyance de certains dirigeants au sein du Ministère de la Culture qui consiste à afficher très récemment un slogan comme la « culture pour chacun » aussi généreuse soit-elle, cette croyance semble naïve et faire fi du principe de réalité (émission du 14-01-2011 sur France Culture).
En revanche, je conclurai brièvement qu’un partenariat dûment concerté entre un professeur titulaire donc bien implanté et formé à l’éducation musicale et un intervenant compétent ne peut qu’apporter des bénéfices à l’élève. L’histoire le démontre, un partenariat adapté, de qualité et pérenne ne peut se construire que s’il y a déjà un partenaire habilité renseigné et compétent dans la « maison » éducation nationale.
Odile Tripier-Mondancin, L’éducation musicale dans le secondaire, Attributs, formation des enseignants, instructions et programmes de collège, valeurs, L’Harmattan, 2011.
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