C’est à Asnières, dans un collège, le 26 juin, que le ministre de l’éducation nationale a rendu publique sa « Lettre à tous les personnels de l’éducation nationale ». Elle remplace la circulaire de rentrée de Luc Chatel et fixe les principales actions ministérielle pour la prochaine année.
Soulignons d’abord la forme. Le texte devait paraître au B.O. du 22 juin. Finalement, Vincent Peillon a préféré en retarder la publication pour la mettre en scène. C’est depuis le Collège Auguste Renoir d’Asnières que le ministre a posté symboliquement ce message aux enseignants.
Une Lettre, pas une circulaire…
Plus qu’une énième circulaire remplaçant le texte précédent de Luc Chatel, V. Peillon donne à ses instructions la forme d’une « Lettre à tous les personnels de l’éducation nationale. S’il lui donne cette forme c’est bien sur que, partout où il est allé depuis sa nomination, il a pu mesurer la force des attentes qui se portent sur lui chez les personnels de l’éducation nationale. Qu’il s’agisse des enseignants ou du personnel administratif, tous ont accueilli avec chaleur et une certaine mobilisation le nouveau ministre. Il dispose d’un capital de sympathie, sans doute volatile, mais bien réel dans un ministère où s’était installé un détachement certain envers la hiérarchie. La forme n’est pas sans arrière pensée historique. La « lettre » de Peillon fait écho à celle de Jules Ferry. C’est que Vincent Peillon est un grand connaisseur de Ferdinand Buisson, le principal collaborateur de Ferry. Et le vocabulaire de la Lettre, celui des discours de V. Peillon, l’idée même de la « refondation », montrent que le ministre veut inscrire son action dans cet univers historique.
Refonder l’Ecole de la République
La Lettre débute par un préambule qui fixe l’esprit et le contexte des instructions qui sont données. « Ensemble, nous devons redonner le sens, rétablir le respect, et reconstruire un idéal », affirme la Lettre qui en précise le contenu. « Notre École peut renouer avec le progrès et l’espérance. Il n’y a pas de fatalité de l’échec scolaire. Tous les enfants peuvent réussir. L’École doit être au service de la promotion de tous et de l’épanouissement de chacun. Elle porte une idée de l’homme, mais aussi du citoyen, et une exigence de justice ». Plus qu’une instruction, ce préambule est une sorte de prêche laïque qui renvoie à la religion laïque que Ferdinand Buisson a construit. « Un nouveau contrat entre la Nation et son École sera passé, qui nous permettra de faire entrer la République dans sa modernité et de tenir à nouveau la promesse républicaine », explique V. Peillon.
La Lettre ouvre aussi la période de la « concertation ». « Pour engager la refondation et inscrire notre action dans la durée qui lui sera nécessaire, nous organiserons, au cours des prochaines semaines, conformément aux engagements du Président de la République, une vaste concertation. Elle conduira à l’élaboration d’un projet de loi portant refondation de l’École qui sera présenté au Parlement à l’automne ». Cette « concertation » prendra la forme de grands états généraux de l’Ecole qui devraient durer une partie de l’été et tout le mois de septembre.
Pour le primaire
La Lettre fixe un programme en 18 points pour la rentrée. « L’école primaire est notre première priorité » affirme d’emblée le ministre. L’école maternelle est à l’honneur. « Nous accorderons donc une importance particulière à l’accueil des enfants les plus jeunes, en considérant ceux de moins de trois ans qui doivent pouvoir être scolarisés, en particulier dans toutes les zones qui rencontrent le plus de difficultés ». Cette école « ne peut être une simple préparation à l’école élémentaire. Elle est l’école » de l’installation de la confiance ».
Un millier d’emplois, rappelle V. Peillon sont là pour atténuer le choc des suppressions de postes mais aussi pour « les possibilités d’évolution des pratiques pédagogiques », un objectif bien ambitieux. La lettre donne des consignes concrètes : pause méridienne de 90 minutes dans les écoles, évaluations de CE1 et CM2 qui ne sont plus remontées. Le ministre reprend l’idée des « fondamentaux » et de « la progression cohérente » chères à L. Chatel.
De nouveaux programmes
Le socle commun est réaffirmé. « La conception et les composantes du socle commun seront repensées. La réécriture des programmes de l’école primaire et du collège suivra cette révision et se fera dans un cadre concerté et transparent. Le livret personnel de compétences actuel est inutilement complexe. Il est trop tard pour le modifier pour la prochaine rentrée, mais il connaîtra des simplifications indispensables ».
Le collège
Le collège unique reste « une ambition essentielle » et V Peillon écarte l’idée de l’écarter même si cela « n’interdit pas de proposer aux élèves des approches pédagogiques différenciées ». La lettre annonce son intention d’enterrer les dispositifs de pré-orientation. Le DIMA, un dispositif d’apprentissage précoce, est gelé en attendant son abolition. La loi Cherpion, qui permet l’apprentissage sans entreprise, sera également revue. Il n’y aura pas d’ouvertures de nouvelles Dima. L’expérimentation de la globalisation des heures de langues est maintenue mais pas généralisée.
Au lycée
Au lycée, la réforme Chatel poursuit sa mise en place. Seul bémol pour les séries technologiques. » Les séries technologiques ont pratiquement toutes été rénovées dans le cadre de la réforme du lycée. Cependant, ces rénovations, pour les séries industrielles notamment, modifient en profondeur les approches pédagogiques et les conditions d’enseignement. Un accompagnement significatif par la formation continue des enseignants doit être mis en place en académie ». Une allusion à la série STI où les enseignants souffrent beaucoup.
L’éducation prioritaire
» L’éducation prioritaire connaîtra une nouvelle étape de son développement et de son efficacité et sera au coeur des décisions qui seront prises dans le cadre de la concertation à venir », écrit la Lettre. Elle annonce aussi une refonte d ela carte scolaire.
Le numérique à l’honneur
» Nous veillerons à ce que les outils, contenus et services numériques soient mis à la disposition des enseignants et plus largement des équipes éducatives, pour enrichir leurs pratiques afin de les aider à répondre aux besoins de leurs élèves. La formation des professeurs aux enjeux et aux usages pédagogiques du numérique sera développée. Avec la volonté de réduire les inégalités constatées dans ce domaine, le ministère favorisera la diffusion des usages et la production de ressources pédagogiques numériques et il en développera la mutualisation. Une concertation sera engagée avec les collectivités locales pour accompagner le développement des usages de l’e-éducation ». V. Peillon avait annoncé un grand plan numérique.
Formation et évaluation des enseignants
La lettre confirme l’abrogation du décret sur l’évaluation des enseignants mais affirme que « le retour à la situation antérieure n’est pas souhaitable ». C’est donc un nouveau chantier qu’entreprend V Peillon. Mais avant, la lettre annonce une refonte complète de la formation des enseignants. » C’est l’échange entre la théorie et la pratique, entre la recherche pédagogique et l’exercice dans les classes, mais aussi entre les niveaux de formation qui doit nourrir cette formation. C’est ce qui a été oublié ces dernières années. » La Lettre annonce des » des mesures d’aménagement de service et des formations spécifiques pour les stagiaires nouvellement recrutés en septembre 2012″.
La lettre ne dit rien sur la carrière des enseignants si ce n’est la promesse de la refonte de la formation des enseignants. Le choix des enseignants des établissements Eclair par le chef d’établissement est maintenu avant la refonte complète du dispositif.
Quelle portée ?
La Lettre de Vincent Peillon ne se limite pas à la rentrée. Elle ouvre d’une certaine façon le cycle de consultations qui vont se succéder d’ici octobre en préparation de la loi d’orientation. Surtout elle révèle l’univers mental de la nouvelle équipe de Vincent Peillon. Elle appelle à une transformation en profondeur de l’Ecole et en même temps à l’affermissement de ses valeurs républicaines. « Le Président de la République a clairement dit la priorité qu’il accordait à l’École de la République. C’est une question de moyens, mais aussi de valeurs », écrit Vincent Peillon. Cet ambitieux programme devra faire face aux réalités économiques et aux arbitrages politiques.
François Jarraud