Faire classe dehors est une tendance, certes pas vraiment nouvelle mais qui séduit de plus en plus. « Un élément revient fréquemment parmi les enseignants qui font classe dehors : beaucoup n’imagineraient plus faire classe à nouveau exclusivement à l’intérieur. Ils ont besoin de cette respiration pour eux et leurs élèves » disent Benjamin Gentils, Directeur de la Fabrique des Communs Pédagogiques et Moïna Fauchier Delavigne, porte-parole de l’association dans cet entretien. Le Café pédagogique est allé à leur rencontre à l’occasion de la préparation des Rencontres internationales de la classe dehors qui se dérouleront à Marseille à partir du 14 mai 2025.
Depuis le Covid, l’école dehors est en plein essor. Vous confirmez cette tendance ?
Moïna : Oui complètement. La classe dehors se développe rapidement en France. Je pense aux enseignants qui sortent dans un espace naturel ou culturel de proximité plusieurs heures par semaine ou quinzaine avec leurs élèves. Il y a moins de dix ans, cette pratique était encore très peu connue et peu pratiquée. Aujourd’hui, en particulier depuis le Covid et les confinements à répétition, les enseignants sortent de plus en plus avec leurs élèves. Le phénomène gagne en visibilité et cela est souvent plus admis de sortir pour faire classe dehors. Dans chaque département, des enseignants s’y mettent et ils sont encore plus nombreux à vouloir se lancer. Pour les 4 saisons de la classe dehors en mai 2024, plus de 2 000 écoles, collèges et lycées ont participé. Parmi les participants, beaucoup sortaient pour la première fois.
Et pourtant ce n’est pas nouveau de faire classe dehors, non ?
Moïna : Cependant la classe dehors ne vient pas d’être créée par quelques enseignants. Sa filiation est double avec la pratique de l’éducation populaire et à l’environnement en France, et les écoles en forêt, qui se sont développées depuis plus de 60 ans, surtout à l’étranger. Au Danemark par exemple, 20% des maternelles sont des écoles en forêt. On pourrait citer aussi les philosophes grecs, qui enseignaient dehors, et un peu plus récemment le dehors avait une place importante dans les pédagogies Freinet, ou Decroly – que ce soit l’environnement naturel ou social – ou encore les écoles de plein air au début du XXème – les enfants y apprenaient dehors, pour des raisons de santé. Après la seconde Guerre Mondiale, les classes découvertes se sont également multipliées, permettant à des millions d’enfants de vivre des expériences de plusieurs jours en plein air !
Malheureusement, en parallèle de cet essor de la classe dehors, les enfants, en dehors des temps d’école, vivent de plus en plus à l’intérieur. Ils ne jouent plus dehors en semaine, ne mettent plus un pied dans l’herbe. Cela a un coût important pour leur santé, leur bien-être et leurs apprentissages (voir le dernier rapport du HCFEA à ce propos). Dans les écoles publiques, il est donc d’autant plus important d’offrir ces temps fréquents en nature, ensemble, en mouvement, en lien avec le vivant.
Faire classe dehors est une approche pédagogique alternative, « différente » ?
Moïna : En France, faire classe dehors est désormais légitime. De plus en plus de formations sont données (formation continue ou initiale), des conseillers pédagogiques accompagnent, un inspecteur, Eric Fleurat, a lancé un programme classe dehors dans la cité éducative d’Allonnes dans la Sarthe, ce qui a permis à 80% des enseignants en primaire de s’y mettre. En sortant de la classe et investissant un espace de nature ou même la cour de récréation, un enseignant s’offre un endroit beaucoup plus riche, plus complexe, avec plus de possibles et d’opportunités d’apprentissages. Cela peut faciliter par exemple la pédagogie différenciée et l’observation des élèves. Pour faire classe dehors, il est utile d’être formé et, ou, d’être accompagné au début par des animateurs issus de l’éducation à l’environnement et de l’éducation populaire. Par ailleurs, la classe dehors ne s’oppose pas à la classe dedans, au contraire, elle vient enrichir ce qui se passe à l’intérieur. C’est aussi cette alternance d’espaces d’apprentissages qui est riche.
Y a-t-il un portrait-robot du professeur qui fait classe dehors ?
Benjamin : Non ! Il y a de nombreux enseignants de maternelle, en ville comme à la campagne, mais aussi en élémentaire, qui font des sciences ou du français, des professeurs documentalistes en collège ou en lycée, des enseignants d’EPS, d’Histoire-Géographie, de SVT ou encore de musique et de philosophie. On peut tout faire dehors ! On remarque par ailleurs qu’avec le développement de la classe dehors participe de relancer les classes découvertes.
Moïna : Un élément revient fréquemment parmi les enseignants qui font classe dehors : beaucoup n’imagineraient plus faire classe à nouveau » exclusivement à l’intérieur ». Ils ont besoin de cette respiration pour eux et leurs élèves. Ce temps de classe en plein air est bénéfique à la cohésion du groupe classe et peut aider à inclure les élèves qui ont des difficultés. Les bénéfices des temps d’apprentissage réguliers en extérieur ont d’ailleurs été largement prouvés.
Vous organisez les Rencontres internationales de la classe dehors en mai 2025 à Marseille. De quoi s’agit-il ?
Benjamin : Les Rencontres internationales de la classe dehors s’inscrivent dans le programme classe dehors initié en 2021 par la Fabrique des Communs Pédagogiques (FabPeda). Ces Rencontres sont organisées par la Fabpeda, sous le haut patronage du ministère de l’Éducation nationale, en partenariat avec la ville de Marseille, l’académie d’Aix-Marseille, la Ligue de l’Enseignement, l’Office Français de la Biodiversité, l’INSPE d’Aix-Marseille et avec la contribution de nombreuses organisations associatives, publiques, syndicales et d’universités.
Du 14 au 17 mai 2025, dans le Parc du 26ème Centenaire à Marseille, le volet professionnel des Rencontres Internationales de la Classe Dehors est dédié aux échanges, à la formation et à la mise en réseau des professionnels. Plusieurs centaines d’ateliers, conférences, de tables rondes, de balades pédagogiques, etc. traiteront des multiples facettes de l’apprentissage dehors dans un contexte de crise écologique et sociale. Un médialab permettra tout au long de l’événement de produire des ressources éducatives libres.
En parallèle des rencontres professionnelles, l’initiative « Les enfants enchantent Marseille » se déroulera sur un temps plus long, du 14 au 21 mai 2025. Elle invite les enseignants, éducateurs, animateurs de la ville de Marseille à sortir et à se saisir des espaces publics, naturels et culturels pour au moins une demi-journée afin de mener des activités pédagogiques. Ce sont des milliers d’enfants et de jeunes qui feront pour cette semaine de Marseille, une ville à hauteur d’enfants !
Enfin, nous avons lancé ce mois, le concours « Marseille, ville récréative ». Il s’agit d’un défi lancé aux étudiants et professionnels de l’architecture, de l’urbanisme, du paysage, du design et de l’enseignement afin de repenser les espaces scolaires à l’échelle de la ville en les intégrant à leur environnement et en créant des lieux propices à l’apprentissage en plein air.
Propos recueillis par Djéhanne Gani