« En 2024, 4990 enfants en situation de handicap sont partis en colo sur 822 893 enfants, soit un pourcentage de 0.61% » dénonce Jean-Michel Bocquet dans cette tribune. Pour lui, « en 10 ans rien n’a changé. Les colos n’accueillent que marginalement des enfants en situation de handicap ». Dans cette tribune, il met en lumière la capacité d’améliorer cette situation avec des propositions, notamment conditionner les aides publiques « à un quota minimum d’enfants accueillis en situation de handicap ».
L’INJEP a publié, comme chaque année en décembre, les chiffres de fréquentation des colonies de vacances et des centres de loisirs[1]. Ces chiffres sont sans surprise : plus d’enfants en accueil de loisirs et une fréquentation en très légère hausse des colos mais sans revenir au niveau d’avant le COVID. Bref, les tendances lourdes se poursuivent, et les politiques publiques censées favoriser le départ en colo ne fonctionnent pas : colos apprenantes et pass colos. Moins de 850 000 enfants partent en colos sur l’année 2024.
Ces politiques, malgré les ambitions politiques affichées, le soutien des acteurs du secteurs, et les campagnes de communication, ne font de maintenir à flot un secteur d’activités qui n’a comme seul intérêt que de pérenniser l’existant. Les chiffres publiés par l’INJEP (les seuls disponibles) ne permettent pas non plus d’avoir une analyse fine de qui part et pourquoi. L’absence d’études sérieuses (c’est-à-dire longues avec des méthodologies scientifiques et autres que des sondages) ne fait que maintenir le secteur des colos dans l’ignorance et dans le refus de voir que des évolutions importantes sont à prendre. Une seule catégorie d’enfants apparait dans les chiffres de l’INJEP (autre qu’une répartition par âges scolaires), les mineurs déclarés en situation de handicap. Les chiffres de cette catégorie en disent long sur la non-évolution des colos, là où les accueils de loisirs et l’école tentent de faire évoluer leurs pratiques. L’INJEP ne les analyse même pas…
Les enfants en situation de handicap
Les chiffres sur les enfants en situation de handicap dans les colos commencent en 2015-2016, cette année n’est pas un hasard puisqu’elle marque les premières réflexions du ministère de la Jeunesse et des Sports sur les questions de mixités dans les colos. Pour savoir si des enfants en situation de handicap partent dans des colos dites « classiques », il est important d’avoir des chiffres. A cette même période, je travaille avec 8 autres chercheurs sur l’évaluation du dispositif génération camps colos qui cherche à construire une colo de demain avec des engagements forts sur les mixités, l’inclusion, l’accueil de toutes et de tous. A l’été 2015, les mineurs accueillis en colo et étant déclarés comme en situation de handicap sont au nombre de 4939, dont 4612 l’été et 0 en hiver (ce chiffre est peu révélateur, sans doute puisque la demande de déclaration n’a pu être faite dès février 2015). Ces 4939 enfants représentent 0.56% de l’ensemble des enfants accueillis. Ce chiffre est à rapporter au chiffre global d’enfants en situation de handicap et est largement inférieur. Le nombre d’enfants en situation de handicap est compliqué à définir, les études portent sur les enfants de 5 à 14 ans et deux critères sont utilisés pour définir le handicap[2] :
- Au moins une impossibilité ou beaucoup de difficultés pour une fonction sensorielle, motrice, physique autre, liée à la mémoire, la concentration ou l’organisation, ou liée au relationnel. 14,5% des enfants ;
- Une restriction forte, depuis au moins 6 mois, dans les activités quotidiennes que les gens font habituellement : 1.7% des enfants.
Que l’on prenne le critère le plus large ou le critère le plus restrictif, les 0.56% d’enfants accueillis en situation de handicap montrent que l’inclusion est marginale dans les colos.
En 2024, 0,61% des enfants partis en colos sont en situation de handicap
L’évolution de l’inclusion est forte en 2016-2017, ce sont plus de 6300 enfants en situation de handicap qui sont accueillis en colos sur un total de 857 763 enfants (0.74%), soit une augmentation de 23.55%. A partir de cette date et, hors de l’année 2019-2020 marquée par le COVID, le chiffre est stable. Il navigue toujours proche et sous la barre des 5000 enfants. En 10 ans rien n’a changé. Les colos n’accueillent que marginalement des enfants en situation de handicap. Pourtant l’aide Colos apprenantes est réservée à certaines catégories de mineurs et en premier lieu les enfants en situation de handicap[3] et les organisateurs affichent des démarches d’accueil d’enfants en situation de handicap ou d’inclusion[4].
En 2024, 4990 enfants en situation de handicap sont partis en colo sur 822 893 enfants, soit un pourcentage de 0.61%. Les chiffres sont clairs, les politiques publiques n’y font rien, l’affichage des organisateurs non plus, l’inclusion en colo ne se fait pas.
L’impossible inclusion en colos
Dans un long article publié dans la revue « question de classe » en février 2024[5], je rappelais que le secteur des colos s’est historiquement construit dans une séparation des publics. Les colos n’étaient pas destinées aux enfants handicapés. Un secteur parallèle s’est construit : les vacances adaptées. Les colos ont fait comme l’école et le travail social en créant des structures spécifiques pour l’accueil d’enfant dit « à besoins spécifiques ». Tout comme l’école, le modèle pédagogique (basé sur les besoins en colo) se montre en grande difficulté dès lors que l’institution doit s’ouvrir à des enfants qui n’entrent pas dans les codes et normes demandées.
Le modèle colonial construit sur l’activité, l’autorité de l’adulte et la réponse aux besoins de l’enfant est bien évidemment en très grande difficulté pour recevoir des enfants ne comprenant pas les règles, se déplaçant avec difficultés ou souhaitant avoir des longues plages d’activités calmes voire solitaires. Le modèle de la colo « classique » n’arrive pas à s’adapter. En absence, au mieux, d’un changement de modèle, au pire, d’une adaptation du modèle actuel, les organisateurs de colos font le choix d’une intégration compensatrice. C’est-à-dire qu’ils acceptent quelques enfants dans les collectifs, dès lors qu’il est possible de compenser le handicap de l’enfant sans que celui-ci ne vienne perturber la « bonne » organisation du séjour. Ce n’est pas la colo qui s’adapte, mais l’enfant et son accompagnateur qui doivent s’adapter. Reste à savoir qui paie l’accompagnateur…
Les procédures d’inscription d’un enfant en situation de handicap sont alors des procédures spécifiques proches du parcours du combattant, les conditions d’accès ne permettent pas le choix des séjours et/ou un accueil universel : Tout enfant de 4 à 17 ans en situation de handicap ou nécessitant une attention particulière peut être accueilli sur nos séjours de vacances dès lors que la vie en collectivité lui est accessible et que les moyens déployés sont en cohérence avec ses besoins affirme l’UFCV[6]. J’oserai poser la question de savoir ce qu’est l’inclusion avec de telles conditions ? et pourquoi parler d’« attention particulière » plutôt que de besoins particuliers ?
Les organisateurs signent des chartes évidemment non contraignantes[7] et internes. Rédigent des plaidoyers pour l’accueil des enfants en situations de handicap[8] en précisant « Pour cela il est nécessaire d’établir un diagnostic et d’avoir une politique interministérielle pour donner des élans de politique locale partagée et complémentaire ». Dit autrement, sans politique co-construite et sans financement, il sera impossible de faire quelque chose. Quant à la rédaction d’un diagnostic, les organisateurs pourraient commencer par une évaluation interne…
Au regard de ces positions, procédures, et démarches, il est facile de comprendre que les enfants en situation de handicap ne partent pas en colos…
… Et pourtant les leviers existent
Dans le plaidoyer de la JPA, le mot « pédagogie » n’apparait pas, il parle d’équipes pédagogiques à former « aux besoins spécifiques et aux handicaps pour que l’accueil de tous puisse se faire ». Si une information est nécessaire notamment pour abattre quelques peurs des jeunes animateurices, l’accueil des enfants en situation ne dépend pas d’une formation aux besoins spécifiques des animateurices.
Les organisateurs de colos ont bien trop facilement la tendance à renvoyer les difficultés (fautes) sur les équipes peu formées, les parents qui ne donnent pas assez d’informations, les enfants qui sont trop complexes ou pas adaptés, les pouvoirs publics qui ne paient pas, etc. Le rôle des organisateurs est de définir un projet éducatif et de le traduire en objectifs et moyens. Les premiers responsables de la trop faible inclusion des enfants en situation de handicap en colo sont les organisateurs qui n’affirment pas avec force et engagement que l’inclusion ET l’accueil universel sont une finalité des colos. Là où l’école est en difficulté au regard des programmes et de structures administratives lourdes, la colo n’a ni programme (sauf si l’organisateur utilise le programme comme outil de vente), ni structure lourde. Les organisateurs doivent ensuite mettre en œuvre des moyens pour répondre à cette finalité d’inclusion et d’accueil universel et le moyen permettant d’agir est le modèle pédagogique. C’est-à-dire comment se construit la colo dans ces organisations, ces règles, ces relations entre enfants, entre adultes et enfants, ces manières de faire et de vivre ensemble, etc. Mais aussi comment les enfants arrivent en colo, quelle démarche ont-ils eue pour « choisir » la colo dans laquelle ils partent ? Qui ils y connaissent ? Avec qui peuvent-ils partir ? Comment ils choisissent leurs copains, animateurices ou accompagnateurices ?
L’inscription d’un enfant en situation de handicap en colo passe par un chemin spécifique et des documents à transmettre parfois d’ordre médical, l’injonction est faite au parent d’avoir confiance dans l’organisateur. Comment avoir confiance lorsqu’on ne connait pas les personnes, que les informations transmises peuvent devenir les éléments qui entraineront l’exclusion ou le refus d’inscription et que les informations médicales seront interprétées par des personnes qui n’appartiennent pas au milieu médical.
Les aides publiques aux colos devraient être soumises à un quota minimum d’enfants accueillis en situation de handicap. Plus exactement, elles devraient être soumises à un nombre de nuitées exécutées sur l’année, sans doute autour de 8 à 10%, réalisées par des enfants en situation de handicap en inclusion.
Les aides publiques devraient être soumises à la publication de cet indicateur de réalisation de ces nuitées. A l’image de l’égalité homme / femme en entreprise, sans imposition par l’Etat le système ne changera pas. Cette proposition va de pair avec l’évolution dans les centres de loisirs.
Evolution dans les ALSH
Les chiffres publiés sur les ALSH montre, à l’opposé de ceux des colos, une évolution positive et forte. En 2015 (même première année des chiffre), les accueils de loisirs accueillent 6020 mineurs déclarés en situation de handicap, en 2024 le chiffre est de 31666. Avec une augmentation régulière de 3 à 5000 mineurs de plus chaque année. Etroitement liés à l’école, les ALSH ont été obligés d’inclure des enfants en situation de handicap. Le chiffre ne dit pas si l’inclusion est facile ou pas, effective ou pas, régulière ou pas, réussie ou pas… Mais au moins les ALSH essaient et accueillent.
Dès lors que dans une institution un enfant en situation de handicap est accueilli, la manière de faire ensemble change, cet enfant vient questionner et percuter ce que chacun fait et ce qu’il pense. Si l’ALSH affirme avec force que l’inclusion et l’accueil universel est l’une de ces finalités, les équipes seront tenues de se questionner et de construire des réponses, des solutions aux questions que pose l’enfant en situation de handicap. C’est l’entrée dans une démarche pédagogique, c’est le début de la mise en place de nouveaux modèles. C’est la même démarche que font les parents de ses enfants, ils essaient de trouver comment faire… Personne ne sait de manière universelle et personne n’est jamais vraiment formé. Cette démarche pédagogique que beaucoup d’ALSH font, n’est pas du tout engagée dans les colos. Combien de fois est-ce que j’entends à propos d’un enfant en colos : « il n’est pas adapté au collectif », « il met en danger la structure » ou « nous ne sommes pas éduc’ mais anim’ ». Dès lors que la solution de l’exclusion (ou du refus d’inscription) est possible, il ne peut y avoir ni inclusion, ni démarche pédagogique.
Soit les organiseurs s’y engagent, soit il faut les contraindre. Les ALSH s’y sont mis, contraints par la loi sur l’inclusion à l’école. Sinon dans 10 ans il n’y aura encore que moins de 5000 enfants en situation de handicap en colo. En 2016, nous en parlions déjà dans le rapport « Des séparations aux rencontres en camps et colos »[9], nous disions : « Nous posons donc que l’accueil universel des individus consiste à considérer ceux-ci comme des citoyens égaux et dotés des mêmes droits. En articulant cela à l’orientation que pourraient prendre les colos et les camps, il s’agit de poser que ces lieux, les séjours, et ces situations élaborées depuis le point de départ jusqu’au retour à ce point, sont des occasions de faire société, en agissant ensemble ». 10 après ont y est encore…
Jean-Michel Bocquet
[1] https://injep.fr/publication/frequentation-des-accueils-collectifs-de-mineurs-accueils-de-loisirs-colonies-de-vacances-scoutisme-en-2023-2024/
[2] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2024-12/HANDICAP24MAJ021224.pdf
[3] https://www.jeunes.gouv.fr/les-colos-apprenantes-pour-les-familles-1815
[4] https://www.unat.asso.fr/wp-content/uploads/2024/10/Programme-Colloque-colos-classes-dec-2024.pdf
[5] https://www.questionsdeclasses.org/linclusion-cest-la-democratie/
[6] https://vacances-enfants.ufcv.fr/UFCV/inclusion ou pour EPAF : https://www.epafvacances.fr/ve/vacances-ensemble ou pour Djuringa : https://www.djuringa-juniors.fr/p-situation-handicap.html
[7] https://jpa.asso.fr/wp-content/uploads/2021/01/2017-Poster-charte.pdf
[8] https://jpa.asso.fr/wp-content/uploads/2021/01/Plaidoyer_Handicap_JPA.pdf
[9] https://hal.science/hal-03904793v1/file/Des-separations-aux-rencontres-rapport-final-Generationcampcolo.pdf