La mixité ethnoreligieuse, rappelle Françoise Lorcerie, directrice de recherche émérite CNRS, en introduisant l’ouvrage Les personnels scolaires et la pluralité ethnoreligieuse. Confrontations, est devenue un « problème public en France depuis (au moins) la rentrée de 1989 », où émerge la question du port du « foulard islamique » à l’école. Vont alors se succéder « épisodes de polémique enflammée et périodes d’accalmie relative ». L’assassinat de Samuel Paty le 13 octobre 2020, en constitue un tournant dramatique, scellant la fin d’une illusoire sanctuarisation de l’Ecole. Laïcité, intégration, assimilation, identité nationale… toutes ces « notions idéologiques ballottées par le débat politique » viennent désormais s’inscrire dans l’espace scolaire, confronté à une « pluralité ethnoreligieuse » souvent perçue comme opposée à ses valeurs républicaines. Comment l’Ecole « relaie, active et transpose en son sein » cette diversité, et « s’en débrouille » ? C’est ce que questionnent notamment les deux chapitres de cette publication, à lire dans son ensemble, très riche, consacrés aux « relations ethnoraciales au sein de l’organisation scolaire française dans ses fonctionnements ordinaires ».
Relations ethnoraciales et élèves
Julien Garric, maitre de conférences chercheur, coordonnateur avec Françoise Lorcerie de l’ouvrage, s’est intéressé à la « Lecture ethnoreligieuse des situations éducatives dans les collèges de la grande pauvreté ». En France, plus que dans les autres pays de l’OCDE se sont constitués des établissements scolaires « ségrégués à l’extrême » créant un véritable « apartheid scolaire ». L’enquête ethnographique que Garric présente, « a porté principalement sur l’observation et l’analyse de la pratique de l’exclusion ponctuelle », pendant deux ans, dans trois collèges REP+ de l’académie d’Aix-en-Provence. Situés dans un « secteur urbain extrêmement paupérisé et enclavé » ces établissements scolarisent « exclusivement des élèves en lien avec les vagues de migrations postcoloniales ». Pour les personnels scolaires qui y travaillent, « recrutés quasiment exclusivement dans le groupe ethnique national majoritaire », aucune pratique raciste ou discriminatoire ne peut exister dans leur établissement, « puisque tous les élèves sont ethnicisés ».
L’enquête va montrer que cette « homogénéité » n’empêche pas « cette problématique » de réapparaitre « dans les interactions quotidiennes de la vie scolaire » auxquelles sont confrontées les équipes enseignantes de ces établissements, souvent jeunes, sans expérience, et « dans une situation de vulnérabilité ». Appréhendant cet espace social et ethnique auquel elles sont le plus souvent complètement étrangères, elles se protègent et protègent l’Ecole de ce qui leur parait, parfois à tort, comme « une atteinte » à ses valeurs, renforçant finalement les clivages.
Charles, enseignant d’histoire géo plus âgé raconte ainsi qu’« un élève arrêtait pas de dire « Wallah, wallah » qui veut dire dieu, mais ça a pas de connotation religieuse : c’est comme on dirait mince, ou … mon dieu. Mais [l’enseignant débutant] l’a pris comme ça ; il leur a dit : « vous me gonflez avec votre dieu » et il y en a un qui l’a mal pris en disant « oui, vous nous parlez pas comme ça » et après c’est monté « on est un établissement laïque, on a pas le droit ».
A la lecture de cette anecdote, et d’autres témoignages évoqués par Julien Garric, on comprend combien il est urgent, si on veut pouvoir créer du commun, que la formation initiale et continue prenne en compte ce manque d’« expérience de la différence », qui peut mener à des situations de crispation contre productives.
Relations ethnoraciales et personnels scolaires
Le travail de Fabrice Dhume, porte pour sa part sur les situations de « racisme quotidien » (everyday racism) – qui vont parfois jusqu’à « l’agression ouverte » – auxquelles sont confrontés les différents personnels scolaires. Il constate que « quasiment tous les enquêtés membres de groupes minorisés déclarent des expériences, souvent répétées, de situations d’altérisation raciste dans leur cadre professionnel ». Celles-ci sont le fait de toute la communauté éducative mais sont vécues plus ou moins douloureusement selon leur origine. Relativisées quand elles sont du fait des élèves, elles sont vécues de manière plus déstabilisante quand elles impliquent des parents, souvent issus de « catégories sociales plutôt aisées », mais elles restent ponctuelles et limitées. Lorsqu’elles émanent des pairs, elles deviennent beaucoup plus « blessantes », s’incrustant « dans le quotidien des rapports de travail », et instillant « un doute sur la légitimité des membres des groupes minorisés à être à la place professionnelle où ils et elles sont ».
Les enquêté·es en donnent plusieurs témoignages particulièrement parlants : comme ceux de Lila ou Nvida qui n’en peuvent plus d’entendre des collègues leur dire, quand elles travaillent avec une collègue elle aussi minorisée : « Ah, bonjour les cousines ! », « Il y a ta sœur qui te cherche », ou « Ah, vous êtes cachées les jumelles ! », ou de se faire appeler « Tic et Tac ». Comme celui d’Eva « toujours susceptible de devoir faire la preuve de sa fidélité à la laïcité », et soupçonnée de voir sa réussite due à son appartenance à un groupe ethnicisé : « En gros je suis la minorité visible. En fait il fallait une Arabe dans le groupe […]. C’est pas possible qu’on me prenne parce que je suis Madame X…non ! C’est pour avoir des quotas. (…) Mais punaise, il faut que je fasse quoi pour qu’on m’accepte comme je suis, en fin de compte ? ». Ou encore comme celui de Nesrin qui, lors de son entretien d’accès au statut de personnel de direction, s’entend dire par l’inspecteur : « Vous les petites beurettes… J’espère que vous n’êtes pas trop communautaristes, et que vous ne serez pas communautaristes dans vos pratiques professionnelles ».
Autant d’exemples qui « contredisent clairement la thèse politique habituelle, selon laquelle le racisme serait importé de l’extérieur par les publics ». Il semble que, sous cet angle aussi, l’Ecole ait un réel travail de conscientisation, et un besoin urgent de formation, à effectuer …
Claire Berest