« Le territoire est dévasté » dit Abal-Kassim Cheik Ahamed, président de l’université de Dembéni. Comme lui, le directeur d’une école Guillaume Dupré Wekesa témoigne de la situation catastrophique de Mayotte. Il décrit au Café pédagogique des paysages de désolation : « il n’y a plus rien. Tout est rasé ». Un éclairage cru est jeté sur Mayotte, département le plus pauvre de France, depuis le passage du cyclone Chido. On y comptait près de 300 000 habitants, dont 85% vivant sous le seuil de pauvreté et 60% de jeunes de moins de 25 ans. Un tiers de la population était logée dans un habitat informel. 8% des enfants n’était pas scolarisé selon une étude de 2023, soit entre 5000 et 9000 élèves. Après le passage du cyclone, ces chiffres ne peuvent qu’annoncer une catastrophe… annoncée.
« Je n’ai vu aucun secours, aucune fouille, aucun gilet orange, aucun pompier dans le quartier »
Au lendemain du passage du cyclone, la préfecture annonçait un bilan provisoire de dizaines de morts. Pour le directeur d’école à Mamoudzou, cette évaluation était toutefois d’emblée écartée. Il rappelle que Mayotte compte de nombreuses personnes en situation irrégulière et pour lui « on ne saura peut-être jamais avec précision car certains ont été enterrés tout de suite ».
L’école du directeur se situe sur les hauteurs. Il peut voir à 180 degrés des paysages de désolation. Il décrit des zones inaccessibles de bangas à perte de vue sur les vallons alentours, réduits aujourd’hui à un fatras de tôles. Il évalue à 10 000 personnes le nombre de personnes y vivant : « aujourd’hui il n’y a plus rien. Tout est rasé. C’est fini ». Le cyclone a dévoilé des bangas dans la forêt : « on ne pouvait pas s’imaginer qu’il y avait autant de bidonvilles dans la forêt sous les arbres ».
Des paysages dévastés, des villes détruites
Guillaume Dupré Wekésa décrit une ville détruite mais aussi des paysages dévastés. Il décrit des arbres arrachés, la disparition de la faune et de la flore comme des animaux : « La partie Nord et centre de Mayotte ont été dévastées. On ne voit plus rien, plus de végétation, plus d’animaux, on ne voit presque plus les roussettes, les chauve-souris diurnes ». C’est un paysage apocalyptique que le directeur décrit : « il n’y a plus rien, c’est comme si on avait rasé le paysage ». Le président de l’université de Dembeni, Abal Kassim Cheik Ahamed, décrit les mêmes scènes de ruine : « le territoire est dévasté » nous dit-il. Il poursuit : « il y a beaucoup de destructions, le traumatisme des jours suivants à ce phénomène est violent, on se réveille, on est dans un cauchemar. »
« Le principal problème, c’est le manque d’eau »
L’école était un point d’abri pour la population le jour du cyclone. Elle avait accueilli près de 200 personnes, « où étaient les autres ? » se demande le directeur. Certains ont rejoint les abris pendant le cyclone, « il y a beaucoup de coupures à soigner, des blessures au pieds car beaucoup sont pieds nus ». Tous les jours, le directeur passe ses après-midis dans l’école pour donner des soins médicaux et aider.
« Le principal problème, c’est le manque d’eau » dit Christophe Dupré-Wekesa, précisant l’impossibilité de faire à manger, de se laver, de laver des sanitaires. Autour de 500 personnes sont abritées dans les trois écoles, avec principalement des femmes et des enfants. Le manque d’eau, de nourriture est et « malheureusement il ne pleut pas » dit-il. Il évoque la distribution d’eau de la mairie de la veille : deux packs d’eau, une quantité largement insuffisante au vu du nombre de personnes et de besoin. Il dit avoir entendu parler de la livraison de 30 containers d’eau, mais estime le besoin de 30 tous les 2 jours. Cette situation catastrophique liée au cyclone s’ajoute à une situation catastrophique : déjà avant, l’eau était coupée un jour sur trois, parfois deux jours sur trois. Il déplore aussi que la pluie ne soit pas récupérée, l’absence de réserve d’eau dans les constructions.
Après le cyclone Chido, tout à reconstruire : « Il ne reste pas grand-chose ».
Le directeur précise qu’il y a trois écoles dans le quartier, deux écoles élémentaires et une maternelle comptant un total de 2000 élèves. Les écoles avaient été rénovées récemment, elles avaient de bonnes conditions de travail, des salles spacieuses. Ça, c’était avant le cyclone Chido : « des trois écoles, il ne reste plus grand-chose, des murs sont tombés, des fenêtres arrachées. Sur mes quinze salles de classes de l’école, il en reste six avec des fenêtres, celles du rez-de-chaussée, soit l’étage a été arraché avec les toitures, soit il a été complètement ouvert pendant le cyclone et tout a été balayé dedans. Il ne reste pas grand-chose ». Pour ce directeur, envisager la rentrée le 13 janvier « semble impossible, il faudrait des commissions de sécurité, il ne me semble pas possible d’accueillir des élèves dans ces conditions ». Aujourd’hui, l’école est un champ de ruines. La veille de notre entretien, le directeur a transmis au rectorat l’état des lieux du nombre de salles disponible dans les trois écoles : zéro.
Abal-Kassim Cheik Ahamed décrit également les effets de la violence inouïe du cyclone, les toits qui n’ont pas résisté, l’absence d’électricité et de réseau dans plusieurs villages. Toute la population n’a pas de courant, le rétablir pourrait prendre deux ou trois mois.
Faire l’appel, compter les disparus
L’enjeu de la rentrée est pourtant majeur, faire l’appel permettra non pas de compter les absents mais de recenser des disparus. Le décompte des morts s’annonce difficile pour lui : « on va mettre longtemps à savoir, on n’aura jamais un chiffre précis », il sera certainement sous la réalité du fait de situations irrégulières. Il rappelle la situation difficile dans son école : il y a beaucoup d’enfants non scolarisés, du fait du manque d’écoles. Mais à Mayotte aussi, il n’y a pas assez de professeurs. L’équipe pédagogique de son école est constituée de 18 contractuels sur 23 dont la majorité n’a pas une ancienneté de plus de deux ans.
Pour le président de l’université de Dembéni Abal-Kassim Cheik Ahamed, « l’urgence actuelle est d’établir un contact avec le personnel et les étudiants, c’est le plus important dans ce moment traumatisant » nous dit-il. Lors de l’entretien, le décompte était à 112 réponses. L’université comte 288 personnels et1800 étudiants. La remontée d’information est difficile, Crous, ministère et rectorat travaillent de concert. Il nous dit que beaucoup de monde converge vers Mamoudzou pour avoir du réseau et essayer de prendre contact. L’inquiétude pour les proches étant évidemment vive.
Des pillages
La pénurie, la faim mène aux pillages et au vandalisme : « ce qui reste est saccagé, on voit tout ce qu’on a mis tant d’années à avoir, en vrac, les ordinateurs et réserves de nourritures volées ». Le directeur évoque la crainte de la population qui organise des maraudes, « les gens ont faim, ils n’ont rien ». Déjà avant le passage du cyclone, les populations défavorisées manquaient de nourriture, rappelant que la majorité de la population vit dans des bidonvilles.
Les conséquences dévastatrices du cyclone mettent à nu la misère des habitantes et habitants de Mayotte et la démultiplient. Mayotte comptait 117 226 élèves scolarisés par le rectorat de Mayotte dans 221 écoles, 22 collèges et 11 lycées, près de 7500 personnels. Avant le cyclone. Mayotte est désormais un champ de ruines où tout est à (re)construire.
Djéhanne Gani
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