Apprendre des scolarités abimées, voilà le défi que proposent de relever les auteurices de cette publication des éditions Quart Monde, coordonnée par Régis Félix, ancien professeur et principal de collège, qui s’appuie sur les témoignages de douze femmes et hommes issu·es de la grande pauvreté. Iels ont entre 17 à 59 ans et habitent des régions différentes, mais quelles que soient leurs différences, tous et toutes racontent des scolarités traversées de difficultés, de douleurs, d’échecs, et donnent à voir une Ecole « qui ne sait pas enseigner à tous », et ajoute à la maltraitance sociale celle de l’institution. Un ouvrage pour chercher à comprendre et pallier les mécanismes d’empêchement …
Aller à la rencontre et écouter
Apprendre des scolarités abimées commence par restituer intégralement, sans jugement et sans commentaire, les entretiens des douze témoins, à la fois bouleversants et riches d’enseignements, menés et enregistrés par les auteurices. S’y racontent la peur de l’école et la stigmatisation, les orientations subies et les compétences différentes, jamais reconnues, jamais valorisées, les parents perdus et la reproduction de l’échec de génération en génération : une Ecole « qui va à 130 à l’heure », comme un TGV impossible à suivre.
Mais s’y racontent aussi, « malgré les parcours chaotiques », une immense foi et confiance en l’Ecole, beaucoup de regrets et autant de désirs que le frère, la sœur, le fils ou la petite-fille, ne commette pas les mêmes erreurs ; et souvent les souvenirs lumineux d’enseignant·es, dont les noms, les encouragements et les félicitations restent gravé·es dans la mémoire et accompagnent encore.
On sort de cette lecture souvent assommé·e, mais aussi, et surtout, chaussé·e d’une nouvelle « paire de lunettes », « moins myope » sur la réalité de ces scolarités empêchées.
Chercher à comprendre et construire ensemble
L’ouvrage se poursuit par l’analyse précise d’un des entretiens. Cinquième enfant d’une famille de dix, David est âgé de 27 ans, il vit dans l’est de la France et a deux enfants. L’analyse de son parcours s’articule autour de deux questions : les causes de son échec scolaire « ne relèvent-elles pas davantage des actes du jeune collégien, que de son origine sociale ? » ; et : en quoi « l’institution a-t-elle une responsabilité dans cet échec ? ». David lui-même « reconnait sa culpabilité », dit qu’il « a été aidé et qu’il a tout gâché par son comportement violent ». Il n’est pas « fier de ses actes et il disculpe même l’institution ». Alors en quoi l’Ecole a-t-elle failli ? C’est tout l’enjeu d’une analyse qu’on suit pas à pas pour décrypter, dans les trous du récit, la chaine de causalité qui a fait « basculer », en apparence pour une histoire anodine de lunettes, « toute une trajectoire scolaire » …
S’arrêtant ensuite sur cette question de la maltraitance institutionnelle à l’Ecole, l’ouvrage propose d’identifier « quelques leviers structurels sur lesquels agir pour penser une école bientraitante non seulement pour les plus démunis, mais pour tous les enfants ». On retiendra en particulier la question, cruciale, de la formation : comment doter les enseignant·es notamment, « d’un bagage sociologique suffisant pour leur permettre de mieux comprendre les publics au service desquels ils sont missionnés (…) et mieux connaitre le territoire sur lequel est implanté leur établissement ? ». Un témoin propose par exemple « d’intégrer dans la formation des stages en partenarial avec les associations œuvrant aux côtés des plus démunis ».
Mais les auteurices rappellent aussi la nécessité de travailler sur les représentations de la pauvreté, pour prendre conscience de ce qui fait obstacle à la réussite scolaire des plus démuni·es, sans relever du domaine de « l’absence de biens matériels ». Comprendre par exemple, pourquoi « les contraintes physiques imposées par le fonctionnement de l’école » – comme le fait de rester assis·e – entrent souvent en contradiction avec le vécu familial des enfants de familles pauvres. Comprendre combien il est difficile de trouver sa place dans une Ecole complètement « déconnectée » de son propre univers, et dans laquelle on ne retrouve rien « de son quotidien, de sa culture familiale, de son vécu personnel »…
Si l’ouvrage ne propose pas « une liste de préconisations », il engage en revanche plusieurs pistes de réflexion, pour qu’advienne une autre Ecole : donner davantage de sens aux apprentissages en jetant des ponts « entre des notions inscrites au programme et des élèves inscrits dans un vécu » ; « faire émerger les potentialités de chacun », en luttant contre la hiérarchie des disciplines et le primat de l’écrit ; redonner du pouvoir d’agir aux parents ; écouter la parole de « ceux avec lesquels elle n’a pas réussi »…
Une Ecole, en somme, qui prendrait en considération, et ferait se croiser, les regards, les expériences et les savoirs de chacun·e.
Claire Berest
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