La dynamique actuelle en faveur de la coalition humaniste, sociale et écologiste est porteuse d’espoir. Elle laisse entrevoir la possibilité d’une gauche majoritaire à l’Assemblée nationale à l’issue des élections législatives. Si tel était le cas, une des priorités du gouvernement issu de cette majorité sera de réparer le service public d’éducation, atteint par plusieurs années de libéralisme insouciant. En l’absence d’inflexions fortes pour rétablir un mode de fonctionnement républicain, ancré dans les valeurs et les principes qui fondent le service public, le risque de délitement, qui affecte actuellement notre institution scolaire, ne sera pas totalement écarté. Revue de détail des chantiers de la remise en état.
Stopper les défaillances de service public
Chose inimaginable il y a encore quelques années, certains usagers commencent à expérimenter les défaillances de leur service public d’éducation. Celles-ci prennent la forme d’absence sur des longues durées de professeurs, de conseillers principaux d’éducation, d’assistantes sociales, de psychologues, de médecins scolaires ou de d’infirmières. Dans la grande majorité des cas, il s’agit de postes non pourvus. Ce phénomène touche plus fortement les zones rurales ou les quartiers défavorisés et entraîne une véritable rupture d’égalité face au service public. Il prend sa source dans un manque de moyens humains. Les budgets sont là, les postes existent mais ils ne trouvent pas preneurs. Après des années de baisse des salaires réels – du fait d’un point d’indice stagnant bien en deçà de l’inflation – la moyenne de la rémunération des enseignants français a chuté drastiquement au regard de celle de leurs homologues européens. Lorsqu’on organise une baisse des recettes fiscales sur les tranches de revenus les plus élevées, cela conduit mécaniquement à réduire les dépenses de service public. Pour l’éducation, les principales économies ont été faites sur les salaires des enseignants. Relever le niveau des salaires devient une urgence forte pour retrouver l’attractivité du métier et éviter que les déserts éducatifs deviennent une réalité sur de nombreux territoires délaissés par la République.
Restaurer la légitimité des enseignants
La hausse des salaires ne sera pas le seul chantier du gouvernement à venir. Après des années d’infantilisation et de maltraitance institutionnelle, il est temps de restaurer la légitimité pédagogique des enseignants. Non, l’éducation nationale n’est pas une grande machine qui fonctionnerait mécaniquement selon les modes opératoires décidés en haut lieu. Non, les élèves ne sont pas les réceptacles d’un savoir débité selon une logique programmatique contrôlée par une batterie d’outils de mesure. L’éducation a un caractère profondément humain. Elle s’opère au travers d’interactions multiples entre les enseignants, les élèves et les supports pédagogiques qui suscitent ces interactions. Eduquer est un fait social. C’est en oubliant cette vérité simple que les systèmes éducatifs dérivent vers la mécanisation. Au stade actuel du système éducatif français, il devient plus que temps de restaurer la légitimité des enseignants. Il devient plus que temps de réaffirmer haut et fort que, dans le contexte d’éducation complexe que nous connaissons aujourd’hui au 21ème siècle, la seule véritable expertise pédagogique vient de ceux qui sont au contact des élèves : les enseignants. Oui, il est temps d’imiter nos voisins étrangers, de reconnaître la pleine et entière liberté pédagogique aux enseignants et de susciter leur créativité en accordant une marge d’autonomie aux établissements scolaires. Les enseignants sont des ingénieurs. Au-delà de la dimension relationnelle, c’est en grande partie l’espace de créativité professionnelle qui fait l’attrait du métier. En mécanisant l’éducation, cet espace est directement visé. La profession enseignante n’attire plus mais qui voudrait se diriger vers un métier de simple exécutant de directives ministérielles ?
Retrouver la pertinence
Depuis des années – les enquêtes internationales nous le disent – la performance du système éducatif français décline. Mais qu’est-ce que la performance ? Pour les organismes internationaux, comme pour la recherche, la performance d’un système éducatif dépend de sa capacité à apporter des réponses pertinentes aux enjeux complexes de l’éducation. Pour cela, une seule solution : il faut insuffler des procédés d’intelligence collective à tous les endroits du système éducatif. Cette conclusion s’est imposée dès la fin des années 90 : la performance dépend en premier lieu du mode de gouvernance. Les systèmes éducatifs qui accordent et encadrent le pouvoir d’agir aux enseignants ceux sont qui parviennent à construire les réponses les plus pertinentes. Ils deviennent ainsi les plus performants. Rester sur une vision mécanique de l’éducation revient à ne pas remettre en cause l’hypercentralisation de la décision éducative. Dès lors, il y a peu de chance que le système éducatif gagne en performance. Par essence, les prescriptions centrales ne prennent pas en compte les contextes spécifiques des établissements scolaires. Elles imposent une normalisation scolaire, unique et uniforme, très éloignée des réalités de terrain. Cette normalisation est dans l’ignorance totale des contextes spécifiques. Aussi, pour un système éducatif normé comme celui de la France, la question de la pertinence ne se pose pas. Seule compte l’efficacité, c’est-à-dire la capacité à faire appliquer la norme. Dans un système éducatif normé, le seul critère de performance est celui de l’efficacité. Celle-ci se mesure au travers d’outils quantitatifs. Il s’agit de définir des indicateurs d’efficacité relatifs à la bonne application de la norme, sans considération aucune pour le degré de pertinence que la norme impose. Selon cette logique, promue par le New Public Management, un système éducatif peut être très efficace dans sa capacité à faire appliquer la norme mais très peu performant au regard de la pertinence des réponses mises en œuvre. C’est tout le paradoxe des systèmes éducatifs hypercentralisés.
Revenir aux valeurs et aux principes
Sortir d’un système éducatif hautement normatif devient une urgence française. En d’autres termes, il faudrait en finir avec les prescriptions pédagogiques descendantes, faire confiance aux enseignants et surtout, rompre avec le fonctionnement bureaucratique qui entrave la créativité pédagogique. Lorsque la normalisation scolaire dicte les actions, personne n’est responsable de rien, les prises d’initiative restent au bon vouloir de ceux qui s’engagent dans les interstices des procédures, à la marge du fonctionnement général de l’institution. Or, c’est cette marge qui devrait être l’activité normale des enseignants. C’est en débureaucratisant que les systèmes éducatifs deviennent performants. Pour cela, il faut s’entendre sur une vision partagée de l’éducation. Il faut retrouver les valeurs et les principes – trop longtemps ensevelis derrière l’excès de normalisation – qui fondent le service public d’éducation. C’est ce qui est attendu de la prochaine Assemblée Nationale : qu’elle réaffirme haut et fort les valeurs et les principes du service public. Après des années de libéralisme, les usagers comme les agents attendent un retour aux fondamentaux du service public.
Stéphane Germain
Pour une analyse détaillée des différentes atteintes au service public d’éducation, c’est ici