Daniel Bloch, père du bac professionnel, propose aux lecteurs et lectrices du Café pédagogique une série d’articles sur l’enseignement professionnel. Dans ce sixième et dernier épisode, l’ancien invite à « briser la hiérarchie entre les voies générale, technologique et professionnelle ». Un appel salutaire.
En introduisant en 1985 le concept de baccalauréat professionnel, était mis en avant le fait que sa création n’était qu’une étape sur la route conduisant à l’« égale dignité » des voies générales, technologiques et professionnelles. Une « égale dignité » en direction de laquelle nous n’avons, depuis lors, guère progressé. L’idée-force mise en avant tout au long des cinq premiers épisodes de ce « feuilleton » est celle de la nécessité de franchir une seconde étape dans cette voie avec l’instauration de trois voies complètes de formation initiale – chacune conduisant, par paliers successifs ou vers l’emploi ou vers la poursuite d’études. Il s’agit ainsi de briser la hiérarchisation des voies de formation et, par la même, la ségrégation sociale à laquelle elle donne lieu. Tout en sortant de la pensée unique, de confection. Jean-Pierre Chevènement avait caractérisé l’introduction du baccalauréat professionnel en 1985 de « révolution culturelle ». Et c’est bien cette révolution qu’il s’agit de prolonger. Comme l’écrit Jean-Paul Delahaye dans le Monde du 25 juin 2024 : « Il faudra affronter les conservatismes des couches sociales, à droite comme à gauche d’ailleurs, qui veulent préserver leur position dominante dans le système éducatif et qui ont un comportement qui vise plus à conserver ou restaurer pour leurs enfants qu’à refonder pour tous. » Il faut en effet pointer du doigt le conservatisme de ceux qui notamment affublent du vocable méprisant de « massification » ce qui n’a constitué de fait qu’une démocratisation, même si, à l’évidence, subsistent de graves inégalités sociales.
Notre approche est clairement en quadrature avec celle développée par le Rassemblement National (RN) pour qui une hiérarchisation accrue des voies de formation apparait nettement dans un programme affichant la voie professionnelle comme un purgatoire permettant, à terme, et aux meilleurs, de réintégrer la voie générale. Tout à l’opposé de nos propositions visant à instaurer des voies technologiques et professionnelles complètes, où la réussite ne s’inscrit pas dans le seul retour à la voie générale. Qu’est-il écrit en effet dans ce programme ? « Pour redonner au collège une place centrale dans la réussite des élèves, le diplôme national du brevet deviendra donc un examen d’orientation post-3e : en fonction des résultats de l’élève et de ses bulletins scolaires, celui-ci sera orienté vers l’enseignement général et technologique, vers l’enseignement professionnel ou vers l’enseignement des métiers par l’apprentissage. Et, comme c’est le cas dans les pays ayant les meilleurs résultats éducatifs, à l’image de la Suisse, des voies spécifiques permettant de réintégrer les élèves en ayant montré les capacités au cours de leur formation professionnelle ».
L’histoire nous apprend qu’une autre approche est possible, portant non sur la réussite de quelques individus – à l’exemple de l’admission cosmétique d’une poignée de bacheliers professionnels ou technologiques à Sciences Pô – mais sur une promotion « démocratique » du plus grand nombre. Ainsi, avant la création, en 1985, du baccalauréat professionnel, il était possible à de rares titulaires d’un CAP ou d’un BEP « méritant » de poursuivre une formation en vue d’obtenir un baccalauréat, mais il s’agissait alors d’un baccalauréat technologique préparé, difficilement, en lycée général et technologique et non en lycée professionnel, et qui impliquait un retour aux sources pouvant être douloureux. La création d’une voie professionnelle spécifique, conduisant jusqu’au baccalauréat professionnel, en lycée professionnel, avait alors permis de décupler le nombre de bacheliers issus de la voie professionnelle.
Le programme du Nouveau Front Populaire (NFP) n’évoque que de façon très succincte – trop succincte – la question de l’enseignement professionnel. On n’y retrouve malheureusement pas la proposition de la NUPES, visant à rétablir le baccalauréat professionnel en quatre ans en renforçant les enseignements généraux et encore celle visant à faciliter la poursuite d’études après un bac professionnel ou technologique (BTS, DUT, licences professionnelles). On note en revanche l’abolition de Parcoursup. Cette abolition ne va pas de soi, même s’il demeure, pour ce dispositif, d’importantes marges de progrès et plus particulièrement en ce qui concerne l’enseignement professionnel supérieur court. Cette suppression de Parcoursup peut conduire à effacer la politique des quotas, favorables aux bacheliers professionnels comme technologiques, et à supprimer le minimum de cohérence qu’il assure dans les filières générales. Une proposition de nature démagogique, car cette absence de continuité pédagogique est à l’origine d’un incroyable gâchis économique et humain, comme nous l’avons dénoncé sur l’exemple des poursuites d’études des bacheliers professionnels échouant en nombre dans des sections de techniciens supérieurs (STS) ou celui des bacheliers technologiques poursuivant leurs études dans les instituts universitaires de technologie (IUT). Notre proposition, impliquant une régulation des flux, vise, tout en adaptant les programmes aux publics alors majoritaires, à accroître plus encore qu’aujourd’hui la proportion de bacheliers professionnels en STS et de bacheliers technologiques en IUT et de bacheliers généraux en formations universitaires conduisant tous– en trois ans – à une licence professionnelle, et en respectant les grandes priorités nationales. Maintenir Parcoursup, donc, mais dans le cadre de capacités d’accueil accrues, comme peut s’en convaincre sur l’exemple du concours d’admission à la rentrée 2023-2024 des IUT de Grenoble. Parcoursup ne peut créer des places qui n’existent pas, d’où un taux d’insatisfaction considérable. De cela, Parcoursup n’est pas responsable. Ainsi les enseignants de l’IUT 2 de Grenoble auraient eux aussi préféré, plutôt que de classer les 18 451 dossiers de candidature qui leur sont parvenus pour 736 places ouvertes procéder par entretiens individuels, sans le soutien de Parcoursup. Mais pouvait-il en être autrement ?
Concours d’admission au BUT à la rentrée 2023-2024. Un exemple, les IUT grenoblois
IUT 1. Secteur de la production. 649 places, 9664 dossiers reçus, 7107 classés, dont environ les 2/3 provenant de bacheliers généraux et 1/3 de bacheliers technologiques. Le rang du dernier appelé, compte tenu des désistements, est de 3599, avec des proportions d’admis conformes à celles des baccalauréats des candidats, soit 2/3 et 1/3, la nature de certains départements d’IUT les dispensant du quota de 50 % de bacheliers technologiques.
IUT 2. Secteur des services. 736 places, 18451 dossiers reçus dont 1/3 de bacheliers technologiques, 9925 dossiers classés, et un taux de pression de 18 candidats par place pour les bacheliers technologiques et de 32 pour les bacheliers généraux. Le rang du dernier appelé est de 775, avec moitié de bacheliers technologiques et moitié de bacheliers généraux.
Les IUT préparent également au Diplôme de comptabilité et de gestion, en trois ans, donnant le grade de licence. A Grenoble, par exemple, là encore, les données sont sans appel avec 1737 dossiers reçus, pour 60 places. Un taux de pression ici encore voisin de 30.
IUT 1. Secteur de la production. 649 places, 9664 dossiers reçus, 7107 classés, dont environ les 2/3 provenant de bacheliers généraux et 1/3 de bacheliers technologiques. Le rang du dernier appelé, compte tenu des désistements est 3599, avec des proportions d’admis conformes à celles des baccalauréats des candidats
IUT 2. Secteur des services. 736 places, 18451 dossiers reçus dont 1/3 de bacheliers technologiques 9925 dossiers classés, avec un taux de pression de 18 pour les bacheliers technologiques et de 32 pour les bacheliers généraux. Le rang du dernier appelé est de 775, avec pour moitié des bacheliers technologiques et pour moitié des bacheliers généraux.
La seconde proposition du NFP vise à attribuer une allocation d’autonomie aux élèves de l’enseignement professionnel. Elle a l’avantage de soulever, sans franchement la poser, la question de la coexistence des formations sous statut scolaire et en apprentissage. Une question de nature « existentielle », tant les avantages du statut d’apprenti vis-à-vis de celui d’étudiant sont considérables. Il en est ainsi pour les indemnités de stage : 100 € par semaine au cours des 24 semaines de stages prenant place au cours des trois années du baccalauréat professionnel, soit 2400 € par an, à comparer à 7500 € par an pour les apprentis de 16 ou 17 ans, et même 9100 € pour les 18-20 ans. Sans compter les frais de déplacement, pris en compte seulement pour les apprentis. Une année en apprentissage, ainsi favorisé, revient environ deux fois plus à l’État qu’une année sous statut scolaire. De même, toujours à titre d’exemple, un apprenti ayant obtenu le BTS à la suite d’un bachelor professionnel pourra valoriser ses cinq années de formation au titre de sa future retraite.
La question de l’enseignement supérieur privé à but lucratif – souvent très lucratif – sous contrat d’apprentissage, doit être également abordée, tant sa part au sein des enseignements supérieurs devient considérable – elle approche les 15 %. Ont-elles leur place au sein de Parcoursup dès lors que de nombreux dysfonctionnements sont à porter à charge, avec des pratiques souvent frauduleuses, abusives, du marketing intensif, pour des formations échappant à tout contrôle qualitatif, et cela sans véritable cadre juridique ? Sauf, pour le moins, à obtenir un visa du ministère en charge des enseignements supérieurs
En matière d’enseignement professionnel, le projet Ensemble souffre d’un manque de crédibilité, et plus encore de transparence. Des réformes Blanquer visant à la « transformation de l’enseignement professionnel » déclinées tout au long du premier quinquennat, de nature essentiellement cosmétique, il ne reste déjà pratiquement rien. Les réformes engagées au cours des deux années qui ont suivi l’ont été selon un mode les conduisant immanquablement à l’échec, même si elles ont déjà reçu un début de mise en œuvre. Un fiasco annoncé résultant de ce qu’elles n’ont reçu l’appui d’aucune organisation professionnelle représentative des intervenants dans ces formations, mais pas non plus des représentants des parents d’élèves, des étudiants, et plus significativement encore des représentants des milieux économiques. Un passage en force. Par ailleurs, du « pilotage » des enseignements supérieurs professionnels courts par le ministère en charge du supérieur, tout au long des sept années écoulées, ne subsiste que l’affaissement des effectifs concernés, et la transformation, à moyens ministériels constants, du DUT-2 ans en BUT – 3 ans. S’il fallait caractériser ce qu’il en a été, au cours des sept dernières années, de l’enseignement professionnel, du secondaire on retiendra que ses réformes ont surgi d’où l’on ne sait où, et qu’elles se sont empilées sans que ne soit assuré un minimum de continuité, de cohérence, entre les enseignements au collège et en lycée professionnel. Du supérieur, qu’il n’y ait pas non plus eu de recherche de continuité entre les enseignements secondaires et supérieurs et que les bacheliers technologiques comme professionnels y aient été « invisibilisés ».
La seconde caractéristique de ces sept années : la cohérence, en revanche, entre les politiques conduites par les ministères en charge des enseignements secondaires comme supérieurs, avec celles relevant du ministère du travail, en matière de développement – quoiqu’il en ait coûté – des formations en apprentissage. On aurait pu imaginer une coexistence constructive, efficace, à la française, entre les enseignements secondaires et supérieurs. Tout comme entre les formations sous statut scolaire ou d’étudiant et les formations en apprentissage. Il n’en a rien été.
Daniel Bloch
NB. Je remercie, Lionel Filippi, Directeur de l’Ecole universitaire de technologie de l’Université Grenoble – Alpes pour de nombreuses discussions.
Quelques références :
Daniel Bloch. Une histoire engagée de l’enseignement professionnel, Presses universitaires de Grenoble, 1923.
Daniel Bloch. Quel avenir pour l’enseignement professionnel. Presses universitaires de Grenoble, 2024.
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