Sabine Aussenac est professeure d’allemand depuis 40 ans dans l’académie de Toulouse. A la veille de son départ à la retraite, elle partage avec le Café pédagogique son regard et son expérience de professeure.
C’est la dernière fin d’année scolaire pour vous. Pourriez-vous décrire votre carrière en quelques mots ?
J’ai enseigné, durant 40 ans, dans diverses académies : Toulousaine, j’ai fait mon stage en Auvergne avant d’être nommée « titulaire académique » aux alentours de Bordeaux en début de carrière et de revenir à Clermont-Ferrand, car mon mari m’y avait suivie depuis Toulouse. C’est à Clermont que j’ai eu, durant presque dix ans, le seul poste fixe de ma carrière, au lycée Blaise-Pascal où j’ai enseigné au lycée et au collège. Chaque année, je demandais ma mutation pour la ville rose, mais je n’y suis revenue qu’au hasard d’un remariage avec …un Allemand qui avait trouvé du travail à Toulouse ! À partir de là, je n’ai plus jamais eu de poste fixe. Je suis restée TZR, sur la Haute-Garonne, puis sur le Nord, car nous avions déménagé à Bruxelles et je travaillais à Lille. Enfin, j’ai pu obtenir une mutation dans l’académie de Toulouse deux ans plus tard, mais sans jamais retrouver de poste.
J’ai longtemps espéré « partir dans le Supérieur », car je n’ai jamais rompu mon lien avec la littérature et la civilisation étudiées à la fac. J’ai longtemps tenté de décrocher l’agreg, m’inscrivant souvent mais sans avoir le temps de la préparer, je la passais en touriste, comptant sur ma chance, en ayant travaillé seulement deux œuvres sur cinq… J’ai été admissible deux fois à l’externe (1986 et 2006), une fois à l’interne (2004), mais sans avoir préparé l’oral, manquant le concours de peu. J’ai fini par être à nouveau admissible aux deux, en 2016, et j’ai enfin réussi l’externe. Mais c’était trop tard pour la fac, je n’étais jamais allée au bout d’une thèse, j’avais simplement validé un DEA en 2007. Il est très difficile de se remettre aux études en travaillant.
J’ai passé aussi d’autres concours, comme celui de chef d’établissement en 2007, allant à l’oral à nouveau sans préparation, toute étonnée d’y aller et surprise de voir plus d’hommes que de femmes, puis, boostée par ce semi-succès et voyant que tous ces concours administratifs consistaient, à l’écrit, en des synthèses de documents, j’ai tenté la magistrature et même l’interne de l’ENA. À cette époque, j’étais engluée dans de lourdes procédures de divorce et de surendettement et je fréquentais beaucoup les tribunaux, commençant aussi à écrire, et j’avais envie aussi de faire bouger les lignes sur certains sujets de société, comme les droits des femmes. Bon, il m’a manqué 3 et 10 points pour l’oral, mais je ne regrette pas ces écarts hors de ma zone de confort littéraire, j’ai beaucoup appris ! Et puis le jour où j’ai compris que je m’inscrivais surtout à l’agreg pour le plaisir de rédiger des disserts de 30 pages, j’ai compris que je devais aussi me consacrer…à l’écriture ?
Vous finissez votre carrière TZR, alors ?
Je suis restée TZR, pas par choix, mais parce que les postes en allemand sont excessivement rares dans ma région. En début de carrière, lors de mes dix ans en Auvergne, j’ai beaucoup souffert de cet exil, loin de ma région d’origine et de ma famille. Je me souviens de mes larmes, au moment de l’annonce des résultats des mutations, lorsque je n’arrivais pas à redescendre dans le Sud-Ouest…
C’est un réel défi que d’apprivoiser à chaque rentrée de nouveaux lieux, de se familiariser avec les pratiques des établissements, de s’intégrer dans de nouvelles équipes pédagogiques. Cela permet effectivement de ne jamais « ronronner », de toujours remettre en perspectives ses pratiques, d’innover… Mais exit les projets au long cours, les voyages… Je n’ai ainsi jamais été professeur principal, j’ai aussi été privée des possibilités d’échanges personnels que j’aurais pu finaliser avec le programme Jules Verne, qui permettait à un enseignant français de faire un échange de poste… Cela m’a énormément frustrée. On se retrouve aussi nommée fin août… J’apprenais quasi systématiquement mon affectation pour ma fête, à la Sainte Sabine, le 29 août !! Exit les demandes précises d’aménagements d’emploi du temps… Impossible aussi de préparer les cours à l’avance. Là, je parle des années où j’ai eu des affectations à l’année ; lorsque l’on fait des remplacements de courte durée, c’est encore plus difficile, il faut être très réactif, avoir des séquences toutes prêtes sous le coude, composer avec les pratiques de l’enseignant que l’on remplace, gérer des classes parfois difficiles, qui étaient en conflit avec le professeur… Un challenge !
Quels changements avez-vous pu observer durant votre carrière ?
Il est évident qu’en une si longue période, la société évolue, et j’ai pu observer de l’intérieur les changements sociétaux, administratifs, éducatifs… Quelle différence entre le début de ma carrière d’avant la création des INSPE, avec un simple accompagnement d’un tuteur, et tous les aménagements dont bénéficient aujourd’hui les nouveaux collègues, avec les masters MEF, etc… Tout a changé, évolué à vitesse grand V… J’ai connu les salles des profs avec un côté fumeur, les craies, les ronéo, les grands registres cuir pleine fleur où nous remplissions les bulletins, les mots dans les carnets, et puis au fil des ans la digitalisation, l’ENT… J’avoue m’être familiarisée rapidement avec les TICE et avoir beaucoup apprécié tous ces nouveaux outils, qui permettent tant de liberté et d’originalité lorsque l’on sait les utiliser ! Pouvoir se détacher des manuels papiers et créer des séquences plus riches, agrémentées de vidéo et d’audio, a été un réel plus, même si nous tentions déjà autrefois d’utiliser des documents authentiques en format papier. J’ai par exemple chaque année, depuis très longtemps, créé des blogs d’allemand dans les établissements où j’ai travaillé, pour y fédérer les connaissances et travailler de façon plus interactive…
J’ai tout connu, au niveau des réformes et des diktats de l’Institution, entre l’interdiction de prononcer un mot de français avant la Toussaint -sic, je faisais cours en langue des signes…-, le primat de l’oral (exit la grammaire…), l’interdiction de traduire et/ou de faire de la grammaire inductive -voilà voilà, nous devions attendre que l’élève ‘ait envie de parler au passé’… ? J’avoue avoir été rebelle et avoir fait apprendre du vocabulaire et des verbes forts en douce. Non mais !
Nos élèves ont bien changé aussi. J’ai commencé en 1984, et il me semble qu’il y avait encore un certain respect face au prof qui, hélas, n’existe plus. J’ai pu observer le manque d’attention des élèves, à tous les niveaux, du collège au lycée, leur éparpillement intellectuel, leur incapacité grandissante à demeurer fixés sur une tâche : je leur dis souvent qu’ils sont comme des maternelles, et que je dois changer d’activité plusieurs fois par heure afin de garder leur attention… Ce satané portable, et nos luttes incessantes pour qu’ils n’y touchent pas…
Propos recueillis par Djéhanne Gani